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Actualités - REPORTAGE

Otages français - Un cheikh libanais affirme n’avoir pas reçu l’argent promis Au cœur de la polémique sur l’existence de la rançon, Iskandar Safa se considère comme une victime(photos)

Il avait négocié dans le plus grand secret la libération des otages français au Liban entre 1986 et 1988 et il se retrouve aujourd’hui lui-même otage d’un feuilleton politico-judiciaire qui le dépasse. Iskandar Safa, l’homme d’affaires franco-libanais établi en France depuis 1984, ne compte pas, selon son avocat libanais, Me Maroun Haddad, se présenter à la convocation de la juge Isabelle Prévost-Desprez, tant qu’il aura le sentiment d’être un bouc émissaire. Il était pourtant en droit d’espérer un tout autre genre de remerciements de la France pour son rôle dans la libération des otages. Mais pour reprendre un proverbe indien que son avocat affectionne : «Quand les éléphants se disputent, c’est l’herbe qui en pâtit».Le nom de ce jeune homme discret n’avait jamais été prononcé dans l’affaire des otages français. La seule allusion était venue de Jacques Chirac, alors Premier ministre, qui s’était contenté de remercier «un grand ami de la France et de l’Iran», avant de refermer le dossier, pour toujours croyait-on. Mais le passé rattrape aujourd’hui les principaux acteurs de ce feuilleton et, comme en 1988, une échéance électorale se profile à l’horizon. L’ouverture d’une enquête judiciaire sur l’éventuel détournement d’une partie de la rançon que l’on dit avoir été versée pour obtenir la libération des otages n’est-elle qu’un nouvel épisode de la guerre que se livrent la gauche et la droite françaises à la veille de l’élection présidentielle ? Du flair et des affaires Dans l’entourage d’Iskandar Safa, on n’est pas loin de le penser. Un rapide rappel des faits s’impose. Iskandar Safa est originaire de Deir el-Kamar et son père, Adib, était directeur de cabinet du président Béchara el-Khoury, c’est dire que la famille est bien introduite dans les milieux politiques, libanais et arabes en général. En 1977, pour lui éviter la guerre, sa mère l’envoie ainsi que son frère finir ses études à l’étranger. Diplômé de l’Insead, il effectue un stage en Arabie séoudite puis revient à Paris, où il gère la chaîne des hôtels Nova Park. C’est là qu’il rencontre Jean-Charles Marchiani qui venait de quitter la chaîne Le Méridien et cherchait du travail. Entre les deux hommes, le courant passe et leurs relations ne cesseront de se consolider au fil des ans. Safa crée ensuite sa propre société, la Triacorp International, et négocie des ventes de matériel militaire avec les pays du Golfe. En 1985, il est sollicité une première fois dans l’affaire des otages, mais c’est en 1986, lorsque le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua confie à Marchiani les négociations avec les émissaires, que son rôle devient effectif. Dès le départ, un point avait été toutefois précisé : il n’y aurait aucune contrepartie financière. Safa accepte très vite d’intervenir car, d’une part, il souhaite aider la France, terre d’accueil de nombreux Libanais pendant la guerre, et, d’autre part, ces enlèvements le choquent sur un plan purement humanitaire. Les négociations nécessitent de nombreux allers-retours au Liban, mais aussi dans d’autres capitales de la région et les frais sont couverts par la Triacorp. «Safa paie 240 197 francs», précise son avocat et, non seulement, il n’a jamais été remboursé, mais sa société subit un redressement fiscal… La nationalité pour faciliter les transactions Contrairement à d’autres intermédiaires libanais qui ont joué un rôle dans la libération des otages, Safa n’obtient même pas la nationalité française. D’ailleurs, il ne la demande pas, mais ses liens avec Marchiani se renforcent en raison des risques encourus pendant les négociations. Au début des années 1990, Safa travaille avec la Sofremi (une société qui exporte le matériel militaire du ministère de l’Intérieur) en qualité de consultant chargé de trouver de nouveaux marchés. Il rapporte ainsi deux contrats juteux avec le Koweït et l’Arabie séoudite et le ministre de l’Intérieur de l’époque Pierre Joxe est très satisfait de cette collaboration. Mais en 1993, C’est Pasqua qui est nommé ministre de l’Intérieur et il ne veut plus faire appel à Safa soupçonné d’avoir des sympathies à gauche. Entre-temps, Safa rachète les Chantiers maritimes de Normandie (CMN), une société qui construit des bateaux de plaisance et militaires, basée à Cherbourg. Avant son rachat, la société était en difficulté et Safa était le seul acquéreur à s’être présenté. C’est pourquoi on ne peut dire qu’il a usé de son influence pour conclure la vente. Même si, en France, des voix s’étaient élevées protestant à l’époque contre le fait que des capitaux libanais et arabes participent à la construction de navires militaires et traitent avec le ministère de la Défense français. Pour mettre un terme à la polémique, Safa demande la nationalité française et ne l’obtient qu’au bout de deux ans, en 1999. C’est dire, selon son avocat, s’il a utilisé le trafic d’influence, alors qu’il est établi en France depuis 84, a joué un grand rôle dans la libération des otages et a plus d’un millier de salariés. En janvier 2001, la DST envoie une note à la police, dans laquelle tout est écrit au conditionnel et qui soupçonne le détournement d’une partie de la «rançon de 3 millions de dollars» qui aurait atterri sur le compte en Suisse de Safa, qui l’aurait à son tour restituée à l’entourage de Pasqua et Marchiani. Selon l’avocat de Safa, la DST n’a pas jugé bon d’enquêter sur le contenu de la note, se contentant de l’envoyer à la police, qui, à son tour, n’a pas effectué un complément d’enquête et envoie la note au parquet. L’enquête judiciaire est ouverte en juin 2001. Or, de juin au 8 décembre 2001, Safa n’a pas quitté la France et nul n’a demandé à l’entendre. Il s’est rendu le 8 décembre dans le Golfe, avec la bénédiction du ministère de la Défense pour finaliser un contrat pour les CMN et le 10, il apprend par son bureau à Paris qu’il est convoqué par la police. Il contacte le commissaire et demande un report de la convocation. Il envoie aussi son avocat auprès de la juge Isabelle Prévost-Desprez pour faire la même demande et elle répond en lançant contre lui un mandat d’arrêt international, sans même passer par le mandat d’amener. Comment, dans ces conditions, ne pas flairer le mauvais coup ? Cheikh Abdel Meneem el-Zein : Des promesses non tenues Safa doit répondre de deux chefs d’accusation : le détournement de la rançon et le trafic d’influence. En ce qui concerne le premier, son avocat rappelle que toutes les parties concernées ont nié l’existence d’une rançon, Pasqua, mais aussi Maurice Ulrich (directeur de cabinet de Chirac), Marchiani et Michel Charasse, conseiller et ancien ministre de Mitterrand. Lorsqu’on lui parle du préfet Christian Prouteau qui affirme qu’une rançon a été payée, Me Haddad précise que le préfet Prouteau faisait allusion au contrat Eurodif (un milliard de dollars). C’est donc ce qu’il aurait voulu dire en évoquant «une rançon bien plus importante que les fameux 3 millions de dollars». Cette somme a été remboursée par la France à l’Iran, mais il ne s’agissait pas de rançon puisque l’argent appartenait au départ à l’Iran qui l’avait prêté à la France. «C’est en tout cas la seule rançon payée». Une personnalité libanaise qui affirme avoir joué un rôle d’intermédiaire dans l’affaire des otages français avait révélé qu’une rançon avait été effectivement payée, mais par les intermédiaires eux-mêmes et non par l’État français. Selon cette personnalité, «six intermédiaires avaient été choisis, dont trois Libanais, qui avaient payé de leur propre poche et le paiement avait eu lieu à Abidjan au bénéfice d’un dignitaire chiite libanais, non pas par le biais d’une valise pleine de billets, mais par virements». Or, justement, interrogé par Radio France Internationale, cheikh Abdel Meneem el-Zein, président de l’Institut islamique et social de Dakar et guide spirituel de la communauté chiite libanaise du Sénégal, a confirmé hier qu’un accord avait été conclu avec les autorités françaises sur la somme de 3 millions de dollars, destinés aux intermédiaires et non aux ravisseurs. «Mais cette somme n’a pas été versée, de même que les promesses verbales de la construction d’un immeuble pour l’institut ou d’octroi de la nationalité française n’ont pas été tenues». Cette somme existe-t-elle réellement ? Qui l’a versée et qui en sont les bénéficiaires ? Le mystère demeure total, même si de nombreux experts estiment que la libération des otages n’aurait pu se faire sans que des sommes n’aient été versées aux intermédiaires et à des petits chefs locaux pour faciliter l’opération. Mais ce n’est pas pour autant l’État français qui les a versées. Ces sommes sont-elles à l’origine des enveloppes envoyées par Safa, par le biais de ses chauffeurs, à l’épouse de Jean-Charles Marchiani et à la collaboratrice de Charles Pasqua, Marie-Danièle Faure ? C’est ce que cherche à préciser l’enquête judiciaire. Mmes Marchiani et Faure ont été mises en examen, après une garde à vue de 48 heures et des poussières. Deux des chauffeurs de Safa ont été interrogés. Le premier, un Syrien d’origine ayant des problèmes avec la police française, a affirmé avoir remis des enveloppes «qui pourraient contenir de l’argent», et le second, Nagib Chbeir, est encore incarcéré, sans que rien n’ait filtré sur ses déclarations. Mais la réponse du premier chauffeur à une question de l’enquêteur sur la possibilité que les enveloppes puissent contenir de l’argent a paru suffisante à la juge pour délivrer un mandat d’arrêt international à l’encontre de Safa. Ce dernier, qui se déplace entre le Golfe et le Liban, estime que ce traitement est totalement injuste. Il ne se rendra donc en France que lorsqu’il sera sûr de faire l’objet d’une enquête équitable. Il attend donc un signe de bonne volonté de la part de la justice française… ou alors que la tempête attisée par l’approche des élections se calme… Scarlett HADDAD
Il avait négocié dans le plus grand secret la libération des otages français au Liban entre 1986 et 1988 et il se retrouve aujourd’hui lui-même otage d’un feuilleton politico-judiciaire qui le dépasse. Iskandar Safa, l’homme d’affaires franco-libanais établi en France depuis 1984, ne compte pas, selon son avocat libanais, Me Maroun Haddad, se présenter à la convocation de la juge...