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Actualités - REPORTAGE

HISTOIRE - Tout le folklore autour de l’Epiphanie est venu de l’Occident « Voici que des mages venus d’Orient se présentèrent à Jérusalem… »(PHOTO)

Si les textes ne rapportent pas explicitement que les mages étaient des rois, leurs offrandes – l’or, l’encens, la myrrhe – n’en sont pas moins des cadeaux de rois. La piété, inspiratrice de l’imagination, comble le vide des documents. Dieu s’est fait homme pour sauver l’Humanité tout entière. Et en naissant à Bethléem, il s’est manifesté à tout le monde : c’est bien là le sens du mot grec «Épiphanie». N’est-il pas en droit de recevoir l’hommage des différentes classes de la société, sans exception, depuis les rois jusqu’aux bergers ? Cependant, l’Épiphanie, tout en gardant son sens et son symbole, a glissé progressivement pour indiquer surtout la manifestation de la royauté divine de Jésus, devant qui les rois de la terre se prosternent, et, partant, à fêter les «Rois» avec tout le cortège des accessoires : les cadeaux, la galette à la fève, l’élection du roi de la fête. On est naturellement conduit à trouver là une superposition des festivités païennes de Rome, les Saturnales, dont la célébration coïncidait avec celle de l’Épiphanie, en l’honneur de Saturne, qui enseignera l’agriculture aux hommes et leur assura l’âge d’or. À part l’échange de cadeaux en nature, fruits, friandises, gâteaux, on donnait libre cours à la débauche, sous l’œil bonasse d’un simulacre «roi de la fête» désigné par le sort. Par un processus paradoxalement opposé, tout le folklore autour des «mages», ainsi devenus «rois», y compris leurs noms et leurs personnalités, avec tout le déploiement des réjouissances jusqu’à le fève de la galette, nous provient d’Occident. L’Orient ne semble pas avoir attaché ultérieurement une importance plus qu’ordinaire aux cérémonies mondaines se déroulant à l’occasion de la visite des «mages» à Bethléem sous la conduite de l’étoile. Mais qui sont-ils au juste, ces «Rois Mages», et combien sont-ils ? «… voici que des mages venus d’Orient se présentèrent à Jérusalem…». Ces quelques mots de l’Évangile selon Saint-Mathieu (II, 1) ne nous renseignent pas outre mesure. Trois ou douze ? La tradition la plus ancienne, et la plus répandue en cite trois, qu’elle identifie avec des noms bien sonnants et des traits bien distinctifs et personnels, et indique leur appartenance à trois régions, voire à trois races, représentant tout le genre humain, y compris la race noire en la personne du roi d’Éthiopie au teint basané. L’iconographie, à son tour, est venue corroborer cette tradition, quant au nombre du moins. Le plus ancien document qui en ait mention semble être une illustration d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de Paris, remontant au VIe siècle. Dans un manuscrit syriaque de Berlin, du XIIe – XIIIe siècle, une miniature représente trois personnages à cheval guidés par une étoile, l’un d’âge mûr à barbe blanche, l’autre à la barbe noire, le troisième assez détérioré. Comme l’ouvrage copie les sermons de saint Jean Chrysostome, on est porté à croire que l’Église byzantine a adopté et le chiffre et la différenciation des types. On a avancé, à certain moment, que l’Église syriaque et l’Église arménienne comptaient douze mages, préfigurant ainsi les douze apôtres du Christ. Mais alors, faute de documents à l’appui, nous pouvons admettre que ce fut à une époque postérieure qui n’eut pas de précédent ni de suite, que ce soit dans la tradition orale, ou dans le folklore oriental ou occidental. Nous relevons, il est vrai, dans un Évangéliaire de l’Institut oriental de Léningrad, copié à la fin du XVIIe siècle, un tableau d’un siècle seulement plus ancien, représente l’adoration des mages. La Vierge y est assise de face, sous l’étoile, l’Enfant dans son giron. Douze personnages, qui en entier, qui en buste, tous couronnés sauf un, encapuchonné comme un moine, sont rangés plus bas sur deux lignes. Ils offrent chacun un cadeau. Pour plus de précision, un scribe a cru devoir ajouter cette légende : «Sous César Auguste, des rois de Perse, douze mages suprêmes s’approchèrent de Jésus et ne subirent aucun dommage ; ils ne tinrent pas compte d’Hérode et le méprisèrent. Dessiné l’an 1908». L’an 1908 de l’ère Séleucide correspond bien à l’an 1597 de l’ère chrétienne. Puis le scribe reproduit sur deux lignes les versets correspondants de Mathieu (II, 1 – 11). Ce document assez tardif, le seul dont nous ayons connaissance, ne saurait nous inclure à généraliser un fait isolé. Toujours est-il qu’il est mondialement retenu que les mages sont trois rois, répondant aux noms de Melchior, Gaspar et Balthazar, et correspondant aux trois races humaines. Pour cerner de près la genèse de cette thèse désormais définitivement admise, consultons le contexte historique. Dans l’Orient perse, l’empire proprement dit, comme les pays satellites et ceux imprégnés de sa civilisation, les mages avaient une importance capitale, sur le plan religieux, scientifique et social. Ils étaient les détenteurs de la foi de Zaratoustra ou Zoroastre, prêtres du dieu du bien Ahura-Mazda, communément dit Ormuzd, en lutte perpétuelle, jusqu’à sa victoire définitive, contre le dieu du mal Ahriman. Éminents astrologues, ils étaient experts à expliquer la succession des événements de la terre d’après la position et la révolution des astres ; cela explique leur interprétation de la nouvelle étoile, que les uns ou les autres d’entre eux avaient vue au firmament, comme étant celle du «roi des juifs qui vient de naître», et leur départ immédiat vers Jérusalem où ils sont «venus pour l’adorer». Mathieu n’entendait peut-être pas par le mot «mage» un prêtre d’Ahura-Mazda, ou un sujet ethniquement perse; mais plutôt un astrologue étranger, appartenant au monde des gentils, par opposition aux juifs. Il ne considérait pas sans doute «mage» et «perse» comme synonymes, contrairement à l’opinion courante. Des hypothèses Les «mages» de l’Évangile n’étaient peut-être pas «rois» ; mais rien ne stipulait l’incompatibilité entre l’autorité religieuse, ou la science astrale, et le pouvoir politique, le roi persan étant, sans contredit, le prêtre suprême, tout comme l’empereur romain. Les mages n’auraient pas entrepris un tel voyage de leur propre chef. Ayant informé leurs souverains de l’étrange apparition de l’étoile, ils auraient été mandés par eux et chargés de leurs offrandes. Autrement, il faudrait supposer que les monarques eux-mêmes se sont déplacés, avec les mages comme guides à la tête du cortège, et que l’Évangéliste n’a retenu de toute cette histoire que l’événement miraculeux, l’apparition de l’étoile, reconnue par les mages, qui les a guidés jusqu’à Bethléem. Cela étant, et à défaut d’autres indications, l’onomastique pourrait nous conduire à quelques suggestions. Les trois noms qui nous sont parvenus, Melchior, Gaspar et Balthazar, avaient été fixés dans un moule européen, plus précisément français. Il est donc difficile de les interpréter comme tels, étant des noms de rois de l’Orient. Recourons donc à l’étymologie. À l’époque du Christ, trois langues primordiales, à part les idiomes particuliers, étaient répandues dans le monde romain, à savoir: le grec, apanage des milieux intellectuels; le latin, rouage des cercles administratifs ; et l’araméen, moyen d’échange entre les peuples de l’Orient, adopté par le Christ lui-même pour s’adresser aux foules. Il est donc indéniable que les trois noms en question, désignant des personnages venus de l’Orient, à Jérusalem, soient des noms araméens, quelque peu déformés par la suite par la forme linguistique de l’Occident. et si réellement il s’agissait de rois perses, leurs noms ont dû être transposés en araméen. Dans Melchior, en premier, nous repérons aisément la racine m l k, commune à toutes les langues sémitiques qui n’écrivent que les consonnes, à partir du cananéen; elle désigne le «roi». Quant à la terminaison ior, ne serait-elle pas, sans grand risque d’erreur, la forme de la ville d’Ur ? Melchior serait donc la transcription de «m l k u r», le roi d’Ur. Serait-il étonnant que le monarque de cette ville de Chaldée, au sud de la Babylonie, patrie d’origine d’Abraham, se soit rendu à Bethléem en une sorte de pèlerinage, pour adorer le fils d’Abraham, roi des juifs ? Ne trouverait-on pas là un écho répondant à l’esprit de Mathieu qui, quelques lignes avant de citer les mages, commence son évangile par établir la «généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham» ? Suivant maintenant le voyage d’Abraham à partir d’Ur. Accompagné de son père Térah, de ses frères, et de toute la tribu des Térahites, il monte très haut vers le nord-ouest, et s’arrête un bon nombre d’années à Harran, importante ville d’Aram, avant de redescendre, avec sa propre famille, vers le sud-ouest, en direction du pays de Canaan. Son fils Isaac a épousé, à Harran, Rebecca, petite-fille de Nahor, le propre frère d’Abraham; et le frère de celle-ci, Laban, était resté avec nombre d’autres à Harran. Et c’est justement auprès de lui que Rebecca envoya son fils Jacob pour prendre femme. Lequel Jacob servit son oncle sept années complètes pour épouser sa fille aînée, Lia, qui lui donna, entre autres, Juda, ancêtre de David; puis il le servit autant pour épouser la cadette, Rachel, mère de Joseph et de Benjamin. Après donc un long séjour, comblé de biens, et pourvu de nombreux troupeaux et d’un harem respectable destiné à engendrer les douze tribus d’Israël, Jacob «retourna auprès d’Isaac son père dans le pays de Canaan». Harran occupe donc une place de première importance dans l’histoire d’Israël, qui lui doit la Constitution du peuple juif, et la succession des générations, depuis Abraham jusqu’à David, et de David jusqu’au Messie, qui est justement Jésus-Christ. Un roi lépreux À la naissance de Jésus, cette ville était le centre le plus important de l’Orient pour le culte du dieu Sin, la lune, position qu’elle a conservée jusqu’aux IXe siècle. Les astrologues, des devins, les voyants, se pressaient dans son temple, discutant leurs observations. Son prêtre prophète, Baba al-Harrani, quelques décennies avant le scintillement de l’Étoile, a prophétisé, disant: «Je vis, comme si l’esprit me parlait, un enfant de lumière et de feu naître de la terre, pour le bonheur et le malheur, pour l’élévation et la chute… Les fils de la Perse viendront offrir leurs présents au rayon de lumière (…). Comme est saint le gouvernement de la divinité !» C’est ce qu’on lit dans son recueil, La Révélation, écrit en araméen au premier siècle avant le Christ. Sur le plan politique, Harran dépendait du grand royaume araméen d’Osrohène, qui vécut près de quatre siècles (125 a.C. – 250 p.C.), avec pour capitale la ville d’Ourhaï, ou al-Roha (Ourfa, Edesse). Son roi était Abgar V, surnommé «Okama, le Noir», fils de Ma’nou, la coutume faisant alterner ces deux noms. La tradition syriaque rapporte fermement, et sans l’ombre d’un doute possible, que ce roi, Abgar (4 a.C. – 50 p.C.) , atteint de lèpre, a écrit une lettre à Jésus, le priant de venir le guérir, et lui offrant l’hospitalité pour le mettre à l’abri de l’animosité des Juifs. Jésus lui répondit qu’il devait continuer sa mission, mais qu’une fois monté au ciel, «auprès de Celui qui m’a envoyé», il lui enverrait l’un de ses disciples. Le messager, excellent artiste, peignit un portrait du Christ, et le rapporta à son souverain avec la réponse de Jésus. Addaï, ou Taddeus (Taddée), l’un des soixante-dix, arriva donc auprès du roi Abgar, après l’Ascension, mandé par saint Thomas, l’apôtre de l’Orient; il le guérit, le baptisa, et convertit tous le peuple. L’Église syriaque croit si fermement en l’authenticité de ces événements qu’elle continue à commémorer la dite correspondance le 18 août de chaque année, et l’Église maronite également, mais avec moins de pompe. Par contre, l’Histoire atteste que la conversion de la Cour eut lieu plus tard, vers la fin du IIe siècle, après qu’une bonne partie du peuple eût embrassé la foi chrétienne, et justement sur l’instigation d’un «mage», araméen nommé Bar-dayssan (Bardesane) (154 – 222). Cet astrologue émérite trouva dans l’enseignement du Christ une réponse à beaucoup de problèmes qu’il se posait, et dans la nature du firmament une preuve de la création du Tout-Puissant. Il adopta donc la nouvelle religion, se fit même ordonner prêtre, et se lança à la prédication, se basant sur la Science comme sur l’écriture au service de la Vérité, ce qui lui valut, par la suite, une guerre sans merci de la part de Saint Ephrem, lequel ne reconnaissait comme base de foi que le bien-fondé de la Sainte Écriture. Bardesane n’eut aucune peine à faire admettre ses arguments à son vieil ami d’enfance, le roi Abgan IX (176 – 216), et tout le royaume devint chrétien. Si l’on ajoute, au titre de mage de Bardesane, le surnom de «Okama» ou «Le Noir» dévolu à Abgar, V ou IX, sans doute pour son teint foncé, on serait en droit de proposer une filière qui porta l’iconographie traditionnelle à représenter l’un des trois Rois Mages sous des traits noirs, illustrant ainsi les races connues à l’époque à qui l’Évangile – la Bonne Nouvelle – fût annoncé. Et, qui plus est, le «Noir» de la Crèche étant le plus jeune, il représenterait cet Abgar même qui venait de monter sur le trône, quatre ans avant l’apparition de l’étoile. « Fils de la Perse » Quant au nom de Abgar, n’aurait-il pas été déformé en Gaspar originairement Gabbar ? On y retrouve les lettres essentielles, mais interverties, b(p), g, r. Si une critique austère s’attelle à infirmer cette interprétation, il n’en resta pas moins que les autres données ne seraient pas à négliger. Le nom de Balthazar, par contre, est plus clair : «Force de Balti», ou de «Bel», telle est son acception. Mais dans le Balthazar en question, il serait plus véridique de remplacer Balti par le dieu Bêl de Babylone, l’équivalent de Baal phénicien. Il fut porté comme tel par les rois de Babylone, Sémites, Mèdes ou Perses. Et c’est en lui sans doute que nous retrouvons le troisième mage, «fils de la Perse», annoncé déjà par le prophète de Sin, Baba al-Harrani, confirmé par les inscriptions explicatives miniatures, et attesté par les costumes des figurations, autant d’indices qui concourent à prouver qu’il s’agit de «roi de Perse». Voici donc établie la personnalité de chacun des trois Rois Mages. Il ne s’agit rien moins que de Melek-Ur ou Melchior, le roi d’Ur; de Abgar V, roi d’Urhaï ou Edesse, transcrit en Gaspar; et de Balthazar, roi perse de Babylone. Si la présence des «mages» à Bethléem ne fait historiquement l’ombre d’aucun doute, l’apparition des «rois mages» au nombre de trois bien différenciés sur la scène de la Crèche, où ils sont projetés d’après une croyance traditionnelle, se perd dans la nuit des temps. Aucun indice n’apporte une lueur quelconque avant le VIe siècle, si l’on s’en tient au manuscrit de Paris sus-mentionné. On serait curieux, par ailleurs, d’avoir quelque détail sur leur vie, privée ou publique, avant leur voyage vers la Judée, et après leur retour dans leurs pays. Là non plus, aucun renseignement ne satisfait cette curiosité. On les trouve brusquement à Jérusalem, puis à Bethléem, sans savoir comment, sans connaître leur identité; puis on les perd aussitôt de vue, comme un feu follet, comme l’étoile, filante, sans préliminaires et sans résultantes. On rapporte, il est vrai, que sainte Hélène aurait retrouvé leurs dépouilles, plus de trois siècles plus tard. Sur la fin de ses jours, elle se rendit à Jérusalem, dans le but de trouver le vrai bois de la croix sur laquelle Jésus fut cloué. Ses longues recherches, menées avec patience et minutie, aboutirent à fin en 327. Elle fit ériger par la suite la basilique du Saint-Sépulcre entre le Golgotha et l’emplacement du Tombeau. C’est alors, sans doute, qu’on aurait supposé la suite de ses investigations, couronnées de succès également, aboutissant à découvrir les corps des Rois Mages. Transportés en grande pompe à Constantinople, ils auraient été par la suite transférés à Milan, sans savoir quand, ni pourquoi. L’empereur Frédéric Ier Barberousse (1152 – 1190) ayant détruit cette ville au cours de son expédition en Italie (1162), les aurait ramenés à Cologne et déposés dans une chasse magnifique. Et puis, on n’en parle plus. Mais nous ne prêtons pas grand crédit à cette pieuse légende. En tout état de cause, les quelques festivités déployées à l’occasion de la naissance de Jésus et de sa manifestation à l’univers, et surtout celles concernant les «mages», ont accompagné l’annonce de la Bonne Nouvelle au monde occidental. Elles nous sont revenues, à partir du Moyen-Âge, enrichies de tout l’appareil folklorique propre à l’Occident.
Si les textes ne rapportent pas explicitement que les mages étaient des rois, leurs offrandes – l’or, l’encens, la myrrhe – n’en sont pas moins des cadeaux de rois. La piété, inspiratrice de l’imagination, comble le vide des documents. Dieu s’est fait homme pour sauver l’Humanité tout entière. Et en naissant à Bethléem, il s’est manifesté à tout le monde : c’est bien...