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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - Un philosophe, Jean Greish, dissèque le thème de l’hyperterrorisme - Pour le meilleur ou pour le pire, l’homme est un être terrible

Comment des humains peuvent-ils faire subir des atrocités à d’autres humains ? Depuis les actes terroristes qui ont frappé au cœur de New York, M. Jean Greish s’évertue à élucider «le grand jeu de la vie» qui ressemble de plus en plus à un jeu de massacre. Auteur de plusieurs traités de philosophie, enseignant-chercheur attaché au CNRS, il a planché sur le sujet : «Tueurs sans gages : le philosophe face à l’hyperterrorisme». Une expression empruntée au géopolitique français François Heisbourg qui l’a lancée le soir du 11 septembre. Elle a été choisie en raison du nombre élevé des victimes ; de la logistique employée et du degré de complicités requises pour l’exécution d’un tel plan, mais aussi en raison de l’ampleur des questions qu’a soulevé un tel acte. Après Boston, où il a donné la même conférence, c’est la librairie Le Point qui l’a reçu dans le cadre du Salon lire en français et en musique. Dans un premier temps, le conférencier ramène son auditoire à la voix lointaine d’Antigone, où Sophocle met en opposition la conscience humaine et la raison d’État. Citant le célèbre chant du chœur qui se présente à ses débuts comme un éloge de «l’ingéniosité humaine», le conférencier met en exergue l’avertissement que comportent les derniers vers : l’homme, «maître d’un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance», peut prendre «la route du bien ou du mal», «monter très haut dans la cité», ou «s’exclure de la cité». Embrassant la théorie de Martin Heidegger, Greish souligne que, «pour le meilleur ou pour le pire, l’homme est un être terrible». Terrible, il l’est par la possibilité qu’il a de recourir à une violence meurtrière, voire suicidaire ; mais aussi en allant jusqu’au bout d’un amour qui échappe à toute raison. Prenant ensuite pour guide un auteur contemporain, Eugène Ionesco, Greish choisit la pièce Tueur sans gages, créée à Londres en 1967. «Elle nous tend un miroir dans lequel nous pouvons déchiffrer nos propres angoisses et les questions que nous nous posons suite aux évènements», explique-t-il . Pour rappel, Bérenger, le héros de la pièce, découvre une «cité radieuse» où tout le monde semble vivre épanoui. Mais bientôt les rêves de Bérenger se transforment en cauchemar : dans la cité rôde un tueur anonyme. Les gardiens de la paix occupés à régler la circulation refusent de s’occuper de l’assassin. L’architecte de la cité, qui porte plusieurs casquettes, représente la rationalité technocratique et bureaucratique et ignore tout des besoins existentiels des individus. Et quand Bérenger découvre, dans la serviette de son ami Édouard, les plans d’action des prochains assassinats, il est tout secoué. Dès lors, il n’a de cesse de chercher les raisons des actes du tueur. «Je veux comprendre ; vous allez répondre ; vous allez me dire pourquoi …». Comme seule réponse, jusqu’à la fin de la pièce, Bérenger n’aura droit qu’à un ricanement et un léger haussement d’épaule. Ce qui le plonge dans un désarroi encore plus total et «affole son intellect». Finalement, il avoue sa défaite dans une exclamation pathétique «Oh … que ma force est faible contre ta cruauté sans merci ! … et que peuvent les balles elles-mêmes contre l’énergie infinie de ton obstination ?». Dans son Principe responsabilité, un ouvrage dont «la lecture pourrait intéresser ceux qui doivent affronter les talibans», dit Greish, Hans Jonas a tenté d’apporter une réponse. Devançant son auditoire, il expose les objections qu’on pourrait lui adresser, à titre d’exemple, d’avoir escamoté les disparités entre le thème de la pièce et la situation dans laquelle le monde se trouve depuis le 11 septembre. Certes, Ionesco présente le tueur comme un terroriste. Mais contrairement au tueur sans gages de la pièce, Oussama Ben Laden livre les raisons de ses actes. «Toutefois, réplique le conférencier, le mollah Mohammad Omar, le chef suprême des talibans, présente une figure énigmatique, borgne comme l’est le tueur de Ionesco, il ne parle jamais aux mécréants, mais seulement à ses fidèles les plus proches. Autant dire qu’il ne parle pas». Deuxième objection soulevée : quelle catharsis on peut attendre d’une pièce dont la dernière scène nous montre Bérenger s’exposant passivement au couteau du tueur. «C’est avec un malaise croissant que le spectateur assiste à l’effondrement moral de Bérenger. Ce malaise lié à la fascination morbide qu’exerce sur nous la violence meurtrière, n’est-il pas aussi le nôtre ?», s’interroge Greish. Il ajoute : «Un malaise aussi profond peut-il nous rendre plus intelligents et clairvoyants, a-t-il le même pouvoir heuristique que Jonas attribue à la peur, c’est-à-dire nous aide-t-il à nous poser de meilleures questions ?». Troisièmement, le pari «herméneutique» est de dire que les points de suspension de la tirade finale : «Mon Dieu, on ne peut rien faire !… Mais pourquoi… Mais pourquoi ? …», nous invitent à imaginer une autre conclusion de la pièce, ce qui engage un travail de pensée. De fait «Bérenger découvre en lui-même et contre sa volonté des arguments en faveur du tueur. Cette consigne a de quoi accroître encore notre trouble», fait remarquer Greish. Renvoyant son auditoire à la notion kantienne de «grandeur négative», le conférencier met en garde contre «la démonisation de la malfaisance». «Tout comme Hitler, Ben Laden est un être néfaste, mais il n’est pas le Diable en personne», dit-il. Pour incompréhensibles qu’ils soient, ses actes sont l’«œuvre d’un être libre» qui pourrait agir autrement, si seulement il était animé par des intentions différentes.
Comment des humains peuvent-ils faire subir des atrocités à d’autres humains ? Depuis les actes terroristes qui ont frappé au cœur de New York, M. Jean Greish s’évertue à élucider «le grand jeu de la vie» qui ressemble de plus en plus à un jeu de massacre. Auteur de plusieurs traités de philosophie, enseignant-chercheur attaché au CNRS, il a planché sur le sujet : «Tueurs sans...