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Actualités - CHRONOLOGIES

THÉATRE - « Le Tableau » * de Ionesco, dans une mise en scène de Marcel Ghosn - La bourse ou la vie ?

Le capitalisme a engendré un monstre. Un monstre gonflé. Un boursicoteur à l’humeur aussi changeante que les fluctuations du Dow Jones en ces temps d’instabilité planétaire. Cet original, ce bouffon, ce «nouveau riche» (comme on dit chez nous), ce composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison, de fraîcheur et de cynisme est l’interlocuteur rêvé par Ionesco dans Le Tableau, la pièce la moins connue du dramaturge français. Le jeune Marcel Ghosn, qui croit dur comme fer que l’œuvre de Ionesco, bien que vieille de cinquante ans, est «prête à rebondir à chaque nouvelle mise en scène», en signe au théâtre Béryte une version poussée dans le burlesque, le grotesque, voire la caricature. Cette exagération se manifeste d’abord par les costumes. Chemise rose et bretelles sur silhouette ventripotente pour le rejeton de Wall Street ; bermuda large, cheveu long et au vent pour l’artiste et abaya et fichu noirs pour Alice, la sœur du «gros monsieur». Fanfaronnade et exubérance à outrance dans le jeu et l’expression vocale de Basel Madi ( le Gros Monsieur). Arzé Khodr tire son épingle du jeu à force de grincement de dents et de douceur mielleuse et Henry-Laurent Khattar, parfait dans son rôle de l’artiste dépassé par les évènements. Ce trio s’agite dans un décor minimal. Le Gros Monsieur reproche à sa laideron de sœur de ne pas être un ornement, une œuvre d’art. «C’est parce ma sœur est laide que je dois acheter un tableau». Cela tombe bien, car un artiste se présente à sa porte. Il est prêt à lui céder son chef-d’œuvre contre la modique somme de 400 000 FF. On assiste alors à une scène de marchandage épique qui aurait pu rentrer dans les annales du théâtre si Ionesco avait été au meilleur de sa forme. Toujours est-il que le résultat des discussions se solde par une conclusion pressentie par tout spectateur averti. L’artiste sorti, la relation frère-sœur change de fond en comble. Alice mène son amour de frère à la baguette, en l’occurrence un bâton qui vient frapper de manière régulière la table de travail du boursicoteur. Ce dernier perd peu à peu son arrogante assurance de conquérant. Qui est le bourreau et qui est la victime ? Bien sûr, le parti pris de la farce a les défauts de ses qualités, on y gagne en énergie ce que l’on perd en finesse. Bien sûr, malgré son rythme soutenu, la narration se fait parfois redondante (certains lazzi paraissent superflus) ou au contraire trop vite expédiée (certaines répliques, certains effets passés à la trappe auraient mérité meilleur sort). Mais bon, il faudrait être vraiment hypocrite pour ne pas voir dans ce «Tableau» une honnête composition, à déguster en famille. Car Le tableau est une comédie à l’humour direct et sans détour. Idem pour le texte. Et les thèmes développés. L’art versus l’argent. Le succès versus le bonheur. «La bourse c’est la vie, il faut choisir», dit à un moment l’expert en finances. Les réflexions qu’il ménage avec tant de verve sur la valeur de l’art et la part du génie, la quête effrénée de la beauté et de la richesse à n’importe quel prix trouvent un écho dans notre monde actuel. Il est cet élément incontrôlable, tour à tour séduisant et malicieux, grotesque ou admirable, convaincant mais scandaleux, enfantin et soudainement abject. Le résultat de ce travail en trio donne une sorte de sauce piquante aigre-douce créée par l’atmosphère déjantée, le jeu caricatural et l’implication des comédiens. Le rire semble se réveiller par lui-même, sous une alchimie particulière. «Ce tableau ne peut me plaire que dans certaines limites financières», dixit le Gros Monsieur. Moralité de l’histoire : «Un artiste doit être un prêtre de la beauté. Il n’est pas un commerçant». Comme toujours, il faut se hâter de rire de tout, de peur d’en pleurer. * Ce soir et du 24 au 27 octobre, 20h. Au théâtre Béryte de l’USJ, campus des sciences humaines, rue de Damas.
Le capitalisme a engendré un monstre. Un monstre gonflé. Un boursicoteur à l’humeur aussi changeante que les fluctuations du Dow Jones en ces temps d’instabilité planétaire. Cet original, ce bouffon, ce «nouveau riche» (comme on dit chez nous), ce composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison, de fraîcheur et de cynisme est l’interlocuteur rêvé par Ionesco dans Le Tableau, la pièce la moins connue du dramaturge français. Le jeune Marcel Ghosn, qui croit dur comme fer que l’œuvre de Ionesco, bien que vieille de cinquante ans, est «prête à rebondir à chaque nouvelle mise en scène», en signe au théâtre Béryte une version poussée dans le burlesque, le grotesque, voire la caricature. Cette exagération se manifeste d’abord par les costumes. Chemise rose et bretelles sur silhouette...