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ÉDUCATION - Rentrée scolaire sur fond de crise économique - II – Pour joindre les deux bouts, - une solution pour les parents : la débrouille
Par EL-HAGE ANNE-MARIE, le 09 octobre 2001 à 00h00
Chaque année, depuis l’apparition de la crise socio-économique, la rentrée scolaire devient un poids de plus en plus lourd pour les parents d’élèves, notamment dans le secteur privé. L’achat des livres scolaires, des cartables, des fournitures et des uniformes à prix abordables devient un vrai casse-tête, voire même une gageure. Qu’ils appartiennent à la classe défavorisée ou à la classe moyenne, qu’ils soient médecins, commerçants ou employés, les mêmes interrogations les tiraillent : «Cette année on s’est débrouillé, qu’en sera-t-il l’année prochaine ?». Même la classe aisée, qui dépensait sans compter auparavant, exprime ses craintes et devient parcimonieuse. Car si on pare au plus pressé, c’est que la rentrée scolaire n’est pas uniquement synonyme d’achats divers, mais surtout d’écolages qui grèvent des budgets de plus en plus réduits. Après un tour d’horizon du marché du livre scolaire (voir «L’Orient-Le Jour» du 2 octobre), quelques parents d’élèves, appartenant à diverses classes socio-économiques, apportent leurs témoignages en cette rentrée quelque peu morose. Cette année, les trois enfants de Nayla sont scolarisés dans un collège privé de religieuses de la région de Kfarhabab. L’aînée est tout juste en classe de onzième alors que les deux petits sont en douzième et maternelle. La jeune femme, dont le budget mensuel se limite à 1 000 dollars, pour nourrir, habiller et instruire ses enfants, avoue réfléchir à dix fois avant d’entreprendre une dépense. «L’année passée, explique-t-elle, la direction de l’école m’avait accordé une réduction, car j’avais clairement exposé notre situation financière. Malgré cette aide, j’ai accumulé une dette de 600 000 LL envers l’établissement pour la scolarité de l’an passé et je ne sais toujours pas s’il m’accordera une réduction, cette année, alors que j’ai déjà reçu la facture de l’écolage qui s’élève à 3 000 000 de LL pour le premier trimestre». Essayant tant bien que mal d’aider son mari qui est employé, Nayla donne des leçons particulières qui ne lui rapportent guère plus de 150 dollars par mois, parfois moins. Vu sa situation financière délicate, Nayla a tenté d’équiper ses enfants à moindre prix pour la rentrée, achetant le strict nécessaire et recherchant les occasions intéressantes. «J’ai payé 60 dollars pour les livres de mon aînée à la librairie du coin où j’ai obtenu une réduction. Quant aux cartables, j’ai profité d’une occasion et en ai acheté deux, à 36 000 LL l’un». Certes, Nayla aurait bien aimé faire plaisir à sa fille et lui offrir un sac Barbie, mais elle n’a pas pu se le permettre, le sac coûtant près de 68 000 LL. «Elle s’est d’ailleurs résignée, quand je l’ai persuadée que toutes ses camarades auraient le même», dit-elle, ajoutant qu’à leur âge, les enfants sont encore faciles à convaincre. Si cette mère de famille a su se débrouiller pour assurer à ses enfants les fournitures nécessaires, même avec un budget très restreint, il n’en a pas été de même pour l’uniforme du collège qu’elle a jugé inabordable. «Pour équiper un enfant en classe de onzième, un seul uniforme complet, incluant les vêtements de sport, ne coûte pas moins de 250 dollars», déplore-t-elle. Nayla a donc sélectionné le strict minimum, payant malgré tout la somme de 90 dollars pour sa fille et de 20 dollars pour le tablier d’un des garçons, l’autre ayant déjà son tablier de l’année précédente. « Je me suis contentée d’une seule tenue par enfant que je laverai quotidiennement et que je ferai sécher sur les radiateurs», dit-elle, ajoutant qu’elle espère que la tunique de sa fille, qu’elle a achetée un peu grande, durera au moins trois ans. Quant au pantalon d’hiver de l’uniforme, elle n’envisage pas de l’acheter pour le moment. «Le tissu coûte 10 dollars alors que la façon revient à 30 dollars, dit-elle. Je l’achèterai plus tard et le ferai coudre ailleurs». Tout en regrettant que l’école publique ne soit pas assez bonne pour qu’elle y inscrive ses enfants, Nayla se demande si elle aura encore les moyens de payer les scolarités lorsque ses enfants atteindront les classes secondaires. Le strict nécessaire pour chaque enfant Il n’y a pas si longtemps, Michèle et son mari médecin participaient encore au financement de la caisse de solidarité du collège religieux où ils ont mis leurs cinq enfants, dans la proche banlieue de Beyrouth. «Nous sélectionnions systématiquement le tarif C, de 40 % plus élevé que le tarif de base proposé par l’école, pour aider les familles nécessiteuses, raconte Michèle. Mais au fil des années, nous sommes passés au tarif B. Cette année, le travail de mon époux a nettement diminué suite à la crise économique et nous devons assumer les écolages des cinq enfants, c’est pourquoi nous ne pouvons plus nous permettre d’aider les plus défavorisés, regrette-t-elle, et avons opté pour le tarif le moins cher, qui reste inchangé par rapport à l’année passée». Pour faire face aux nombreuses dépenses inhérentes à la rentrée scolaire, Michèle n’a acheté que le strict nécessaire. «J’avais tendance à renouveler systématiquement cartables et trousses chaque année, dit-elle, mais cette saison, vu la dégradation de notre situation, je n’ai acheté de sac qu’à la petite dernière dont c’est la première année au collège, les cartables de mes autres enfants étant encore en bon état». Quant aux trousses, hormis quelques stylos et bics à petits prix, Michèle n’a pas jugé bon de les renouveler, ses enfants étant devenus plus soigneux en grandissant, mais aussi moins exigeants. Par contre, les enfants ont grandi et cette mère de famille nombreuse a dû se résoudre à renouveler une partie de l’uniforme de ses aînés et à acheter un uniforme neuf à sa benjamine. Si la dépense ne s’est finalement élevée qu’à 300 000 LL, c’est parce que les prix ont baissé cette année, la direction du collège ayant ouvert la voie à la concurrence entre fabricants. Une baisse de prix accueillie avec enthousiasme par Michèle, à l’instar des autres parents d’élèves de l’établissement. Mais le seul regret de la jeune femme est de n’avoir pas eu la possibilité d’acheter de livres scolaires usagés à ses enfants. Car, si son fils cadet a hérité de quelques livres de son frère aîné, cette opération s’est avérée impossible chez les plus jeunes, encore dans les classes primaires, la plupart des exercices ayant été travaillés au crayon sur les livres mêmes. De plus, les listes de livres ne sont pas les mêmes chaque année, même lorsque les programmes n’ont pas changé. Michèle a finalement déboursé la somme de 650 000 LL pour les manuels scolaires neufs, avouant qu’elle a lourdement ressenti, cette année, le poids de la rentrée scolaire. Des scolarités jugées trop lourdes Yasmine a trois enfants dont deux seulement vont à l’école, chacun dans un établissement laïc différent. Des établissements de prestige, l’un à Adma, l’autre à Bsalim, dont la scolarité figure parmi les plus élevées du pays. Certes, aucune augmentation n’a été jusque-là annoncée dans ces deux établissements, mais Yasmine doit s’acquitter d’un premier versement semestriel de 2 555 dollars pour son fils qui est en cinquième et d’un autre versement trimestriel de 2 350 000 LL pour sa fille, qui est en huitième, déplacements inclus. «Nous avions déjà réglé des frais d’enregistrement, au mois de février, s’élevant à 500 dollars pour l’aîné et 600 000 LL pour la cadette», explique la jeune femme. «De plus, ajoute-t-elle, j’ai déboursé près de 700 dollars pour équiper mes enfants pour la rentrée scolaire, alors que mon aîné n’achète pas ses livres mais les loue auprès de son établissement, et que j’ai acheté la majorité des choses durant les soldes». Une dépense que Yasmine juge énorme, malgré les économies qu’elle a tenté de faire. Mais elle avoue qu’il n’est pas toujours facile de dissuader un enfant d’acheter le cartable qui lui plaît. Et d’ajouter, qu’avec des scolarités si élevées, les établissements scolaires devraient assurer gratuitement l’équipement des enfants. Car Yasmine exprime sa difficulté, sa gêne d’avoir à payer des scolarités qui grèvent son budget. «La scolarité nous étrangle, nous payons des sommes très importantes. Et même si nous arrivons encore à régler les scolarités de nos deux enfants, c’est au prix de nombreux sacrifices», déplore-t-elle. En effet, Yasmine, dont le mari travaille dans une société d’assurances, économise sur ses dépenses personnelles et son habillement pour permettre à ses enfants de continuer à faire leurs études sur les mêmes bancs que leurs amis. Mais elle avoue qu’elle serait prête à les changer d’établissements et à les inscrire dans des écoles moins chère, si les scolarités venaient à augmenter. «En cas d’augmentation, conclut-elle, je n’aurai pas le choix, je serai obligée de les changer d’établissement». Cette année, ils se sont débrouillés, mais qu’adviendra-t-il d’eux l’année prochaine et les années suivantes si la crise persiste ? Certains établissements scolaires considèrent déjà d’un œil plus sérieux les difficultés vécues par les parents et redoublent d’efforts pour les aider à l’économie. Encore faudrait-il que cet effort se généralise, dans l’intérêt de tous.
Chaque année, depuis l’apparition de la crise socio-économique, la rentrée scolaire devient un poids de plus en plus lourd pour les parents d’élèves, notamment dans le secteur privé. L’achat des livres scolaires, des cartables, des fournitures et des uniformes à prix abordables devient un vrai casse-tête, voire même une gageure. Qu’ils appartiennent à la classe défavorisée ou à la classe moyenne, qu’ils soient médecins, commerçants ou employés, les mêmes interrogations les tiraillent : «Cette année on s’est débrouillé, qu’en sera-t-il l’année prochaine ?». Même la classe aisée, qui dépensait sans compter auparavant, exprime ses craintes et devient parcimonieuse. Car si on pare au plus pressé, c’est que la rentrée scolaire n’est pas uniquement synonyme d’achats divers, mais surtout...