Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINIONS

Racisme, mondialisation et révolution génétique : vers de nouvelles menaces ? -

Dans le cadre de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (Durban, Afrique du Sud. 31 août - 7 septembre 2001), l’Unesco organise l’un de ses entretiens du XXIe siècle, sur les nouveaux visages du racisme à l’âge de la mondialisation et de la révolution génétique, le 3 septembre à Durban. Participent notamment à ce débat prospectif le prix Nobel de littérature Nadine Gordimer, le biojuriste George J. Annas, le généticien Axel Kahn et les chercheurs Elikia M’Bokolo et Achille Mbembe. Les organisateurs du débat présentent dans l’article qui suit les grandes lignes de la vision prospective de l’Unesco. Au cours des deux derniers siècles, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui est indissociable de ces trois fléaux, ont souvent tenté de s’appuyer sur de pseudo-théories biologiques de l’inégalité «raciale». L’inanité de ces théories et la vacuité de la notion même de race ont largement été démontrées au cours des dernières décennies. La déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, adoptée par la conférence générale de l’Unesco le 11 novembre 1997, et que l’Assemblée générale des Nations unies a faite sienne, le 9 décembre 1998, dispose en son article 1 que «le génome humain sous-tend l’unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine, ainsi que la reconnaissance de leur dignité intrinsèque et de leur diversité». Pourtant, le racisme et la discrimination raciale ont survécu à la déconstruction scientifique de la notion de «race» et tentent désormais de se légitimer au moyen d’arguments qui visent à affirmer l’inégalité des cultures. La mondialisation, marquée par une croissance des inégalités sociales et de l’incertitude, s’accompagne aussi, par réaction, d’une explosion des phénomènes communautaires et d’une exacerbation des passions identitaires. En témoigne notamment la généralisation, dans toutes les régions du monde, de la violence ethnique, «raciale» ou confessionnelle, qui prend souvent des formes paroxystiques : massacres entre voisins, «nettoyage ethnique», retour des génocides. Par ailleurs, on voit essaimer, dans la plupart des régions du monde, des formes diverses d’apartheid social et urbain qui semblent très souvent reposer sur une discrimination structurelle de type «racial», explicite ou implicite, ne nécessitant même plus le recours conscient à des représentations de type raciste. Dans cet univers de cités murées et de quartiers impénétrables, la notion même d’espace public, pourtant inséparable de celle de démocratie, tend à régresser, voire à s’effacer. Ce séparatisme grandissant de l’espace urbain est redoublé par l’essor de formes diverses d’apartheid scolaire et éducatif. Un tel système de «racisme invisible» et de discrimination raciale masquée est tout aussi redoutable que le racisme et la discrimination affichés. Il semble donc nécessaire de faire un effort de réflexion prospective et de rouvrir le champ de l’exploration scientifique, en recourant davantage aux concepts et aux outils offerts, par exemple, par la psychologie et la psychanalyse, afin de mieux éclairer la persistance des préjugés racistes. De surcroît, la révolution de la génétique contemporaine – si elle ouvre de grands espoirs à l’humanité – suscite des questions inquiétantes. Derrière la tentation du perfectionnement de l’espèce, ne voit-on pas se profiler le fantôme de l’eugénisme – et, plus exactement, d’un eugénisme commercial, avec le risque d’une «espèce humaine à deux vitesses», où une hypothétique «post-humanité» déboucherait sur le risque d’une déshumanisation, ou d’une domestication de l’espèce humaine par elle-même ? Il est évident que la réflexion éthique doit accompagner les progrès scientifiques et leurs applications technologiques afin qu’ils ne débouchent pas sur de nouvelles formes de discrimination. En premier lieu, l’identification de séquences de gènes caractéristiques de certaines populations vivant dans un espace géographique déterminé comporte-t-elle un risque d’instrumentalisation de ces données à des fins de discrimination raciale ou ethnique ? En second lieu, les nouvelles techniques de reproduction humaine comportent-elles un risque de sélection des embryons, et, partant, de discrimination ? Une telle sélection pourrait être mise en œuvre en vue de favoriser certains phénotypes, que ce soit en réduisant les naissances de personnes ayant un certain profil génétique, ou en favorisant la naissance de personnes ayant, par exemple, les qualités physiques souhaitées pour accomplir un certain travail. En troisième lieu, les recherches sur le patrimoine génétique peuvent alimenter la tentation de remettre en cause la notion même de liberté humaine. Avec le séquençage du génome humain, de nombreux généticiens travaillent à l’heure actuelle sur des séquences génétiques dont l’expression pourrait entrer en ligne de compte dans des prédispositions à certains comportements (dépression, colère, mémorisation, etc.). En outre, de nouvelles théories apparaissent, telles que la sociobiologie, qui essayent de fonder dans la biologie des comportements individuels et sociaux et qui peuvent conduire à un dessaisissement de la liberté de la personne humaine. Le débat bioéthique doit prendre en charge l’ensemble de ces questions afin d’assurer le respect de la dignité et des droits et libertés fondamentales de la personne humaine et d’éviter la stigmatisation de certains individus par rapport à d’autres. Cela suppose aussi une réflexion prospective et une action préventive à l’échelle internationale et nationale, notamment dans trois domaines : • L’éducation : elle constitue un outil précieux pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale, à condition bien entendu qu’on refuse les formes diverses d’«apartheid éducatif» en voie de consolidation et que l’effort porte tant sur l’éducation formelle, à tous ses niveaux, que sur l’éducation non formelle et informelle. Les programmes éducatifs devront être repensés en profondeur pour relever les défis qui ont été identifiés, avec l’aide, notamment, des nouvelles technologies et de l’éducation «en réseaux». • La bioéthique : des cadres éthiques devront être élaborés à l’échelle nationale et internationale pour prévenir les menaces les plus graves pour les droits humains et une fonction de veille prospective, de débat et de forum devra être assurée à l’échelle mondiale. • La politique de la ville et les droits humains : face au durcissement des diverses formes d’«apartheid urbain», qui constitue un défi pour la lutte contre la pauvreté mais aussi pour la démocratie, ne va-t-il pas falloir repenser les politiques urbaines afin d’assurer, outre la sécurité des citadins, le renouveau de l’espace public et de la cité, dans ses dimensions politiques, culturelles et écologiques ? Changer la ville est une obligation si l’on veut changer la vie au XXIe siècle et lutter efficacement contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. Aucune des évolutions précédemment évoquées n’est inéluctable. Il appartient aux gouvernements de faire preuve de volonté civique, en prenant la mesure des défis identifiés et en adoptant les politiques appropriées. Il appartient aussi aux principaux acteurs de la société civile de se mobiliser afin que celle-ci ne devienne pas dans son principe incivile et que chaque être humain se voie reconnaître effectivement la jouissance de tous ses droits. *Pierre Sané est sous-directeur général pour les sciences sociales et humaines à l’Unesco, et ancien secrétaire général d’Amnesty International. Jérôme Bindé est directeur de la division de l’anticipation et des études prospectives de l’Unesco, principal coauteur du rapport prospectif mondial Un Monde nouveau (éd. Odile, Jacob/ éd. Unesco) et coordonnateur de l’ouvrage Les Clés du XXIe siècle (éd. du Seuil/ éd. Unesco). Les auteurs ont bénéficié, pour les aspects relatifs à la génétique, du concours de la Division des sciences humaines, de la philosophie et de l’éthique des sciences et des technologies.
Dans le cadre de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée (Durban, Afrique du Sud. 31 août - 7 septembre 2001), l’Unesco organise l’un de ses entretiens du XXIe siècle, sur les nouveaux visages du racisme à l’âge de la mondialisation et de la révolution génétique, le 3 septembre à Durban. Participent notamment à ce débat prospectif le prix Nobel de littérature Nadine Gordimer, le biojuriste George J. Annas, le généticien Axel Kahn et les chercheurs Elikia M’Bokolo et Achille Mbembe. Les organisateurs du débat présentent dans l’article qui suit les grandes lignes de la vision prospective de l’Unesco. Au cours des deux derniers siècles, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance...