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HISTOIRE - Beyrouth tente de retrouver une place qui fut prépondérante - La vie culturelle et artistique au Liban - - Par Hareth BOUSTANY
Par BOUSTANY Hareth, le 16 août 2001 à 00h00
Si les grands cercles littéraires et artistiques qui ont fait les beaux jours de la vie culturelle libanaise avant la guerre ont pratiquement disparu, il n’en reste pas moins qu’un gros effort est fourni depuis quelque temps pour redonner à Beyrouth la place prépondérante qu’elle occupait auparavant dans ce domaine. Les centres culturels étrangers ont rouvert leurs portes, et quelques clubs et cénacles locaux organisent chaque semaine des conférences traitant des questions d’actualité (politique locale, régionale ou internationale) ainsi que des sujets relatifs à l’environnement ou à l’écologie. Ils accueillent également des séminaires scientifiques ou littéraires, avec l’aide des nombreuses universités qui existent à Beyrouth. Quatre grands Salons et foires du livre se tiennent chaque année à Beyrouth : un Salon du livre arabe, un Salon du livre français et deux Salons ouverts à toutes les cultures. Certains théâtre ont repris leurs activités et l’on peut découvrir des pièces de théâtre local ou des textes étrangers traduits en arabe s’ils sont écrits en une langue peu connue des Libanais. Mais la plupart des pièces françaises ou anglaises se donnent dans leur langue d’origine. Si le Liban d’avant la guerre était l’imprimeur du monde arabe et de la Méditerranée grâce à son expérience dans ce domaine qui remontre à la fin du XVIe siècle, ce n’est malheureusement plus le cas en raison de l’inflation que connaît le pays et du coût élevé des taxes à l’importation sur les matières premières. Le Centre culturel français, le Goethe Institut ainsi que les départements audiovisuels de l’Université Saint-Joseph et de l’Université Saint-Esprit Kaslik organisent régulièrement des projections cinématographiques. Quant aux galeries d’art, elles rivalisent dans la recherche de nouveaux talents en peinture ou en sculpture. Il faut dire que le Liban détient sans doute la plus forte concentration au monde d’artistes, sans pour autant qu’ils soient tous de qualité. Grâce à son trilinguisme et à son ouverture sur l’Occident, le Liban du XXIe siècle joue un rôle important dans l’ouverture du monde arabe à la culture occidentale. On a vu de grands écrivains et poètes de langue française côtoyer leurs homologues de langue arabe. Les pays du Maghreb et du Proche-Orient se sont longtemps arrachés les instituteurs issus des universités du Liban ainsi que les manuels écrits par eux et imprimés sur place. Les premiers traités de littérature arabe, de philosophie musulmane, de théologie, d’exégèse, de dialogue intercommunautaire, mais aussi de politique locale, régionale et internationale sont nés au Liban. La première grande encyclopédie en langue arabe s’imprime aussi dans ce pays. Entre les années 1950 et 1975, la démocratie et la liberté d’expression ont fait du Liban le foyer, un peu turbulent certes, de tous les laissés-pour-compte du monde arabe. Mais la langue de réflexion et d’expression préférée des Libanais après l’arabe reste sans conteste le français. Cette langue est en effet partout présente au Liban, dans de nombreux quotidiens politiques, dans plusieurs revues culturelles, à la radio, à la télévision, sur les enseignes et dans les conversations. Ce fait découle certes des anciens rapports établis entre la France et le Liban. Il est dû, d’une part, à l’influence des croisés (1098 – 1291) qui, faisant du français la langue officielle et juridique du pays, ont facilité sa pénétration plusieurs siècles plus tard avec les congrégations missionnaires. D’autre part, les Capitulations de François 1er (1535) ont accru le prestige économique et, surtout, moral de la France, considérée dès lors comme la protectrice des chrétiens d’Orient. Un rôle que consacreront par la suite les discordes confessionnelles nourries par les autorités ottomanes et donnant lieu à de nombreuses interventions de la France en faveur des chrétiens du Liban. La littérature Terre d’asile, le Liban forme un pont entre l’Occident et l’Orient, et semble avoir toujours connu le bilinguisme et de nombreux contacts avec d’autres civilisations et d’autres cultures. L’évolution de la langue et des lettres s’y est fait sentir dès le retour de la première promotion d’étudiants du Collège maronite de Rome, au début du XVIIe siècle. Ceux-ci ouvrirent les premières écoles du cycle primaire et imprimèrent, au couvent Saint-Antoine de Qozhaya (Liban-Nord), les premiers manuels scolaires. Le collège d’Aïn Warka, fondé en 1789, a également contribué à la renaissance littéraire contemporaine. La traduction a elle aussi permis le développement rapide des lettres et des arts au Liban. Aux environs de 1910, la poésie libanaise s’est répandue à travers les pays arabes. Les grands écrivains et poètes ont adopté la prose narrative pour refléter les changements survenus depuis la Première Guerre mondiale : le pays, dont les assises économiques et politiques étaient annihilées par la Sublime Porte, a subi, avec la guerre, la famine, la terreur et l’émigration. La crise de 1916 puis la proclamation de l’État du Grand-Liban et le mandat français sont les principales étapes qui jalonnent ce XXe siècle et offrent aux hommes de lettres libanais de nouvelles sources d’inspiration. À côté des grands écrivains libanais qui ont écrit des chefs-d’œuvre en libanais ou en arabe, d’autres écrivains doués, tel Gibran Khalil Gibran, ont écrit en anglais, et d’autres ont composé en français. Pour le poète Salah Stétié, «c’est finalement en français que la patience littéraire de tout un siècle devait produite ses effets les plus éclatants». Et c’est en français que se révèle de nos jours l’œuvre poétique d’auteurs comme Georges Schéhadé, Fouad Gabriel Naffah, Andrée Chédid, Nadia Tuéni, Vénus Khoury Ghattas, Amine Maalouf et tant d’autres… La littérature libanaise de langue française est relativement jeune. Le XIXe siècle, que l’on appelle la renaissance, ne compte pas beaucoup d’œuvres majeures écrites en français et n’est en réalité qu’une prérenaissance avant l’effloraison. Cette dernière a lieu au XXe siècle, surnommé par quelques penseurs «le siècle de la félicité de l’Esprit». Parallèlement à la pourriture politique, à la misère sociale et aux maux de toutes sortes, on assiste dans ce siècle à un développement intellectuel remarquable. En dépit de la poussée démographique, des impératifs économiques et de l’évolution politique qui ont modifié l’équilibre linguistique du Liban, le grand nombre d’œuvres récentes vient confirmer les prémices de la première moitié du XXe siècle. La littérature libanaise d’expression française occupe un espace propre, voire prépondérant, parmi les littératures du monde francophone. Nous citons ici quelques écrivains ou poètes bilingues, tous décédés, qui occupèrent une place importante dans la littérature libanaise. Peintre, sculpteur, poète, philosophe, Gibran Khalil Gibran est né en 1883 dans la région de Bécharré. Cet autodidacte de génie a vécu à Paris où il a étudié la peinture et la sculpture, puis aux États-Unis où il s’est adonné à l’écriture. Peintre prolifique et écrivain fécond, il a touché à tous les genres : nouvelle, roman, essais ; mais il est surtout connu dans le monde entier comme l’auteur du Prophète et du Jardin du prophète. Mort en 1931, il repose à Bécharré, dans un ancien couvent transformé en musée. L’œuvre de Charles Corm (1893 – 1963) est très marquée par le Liban de l’époque phénicienne et par les événements douloureux qui ensanglantèrent ce pays ; sa Montagne inspirée raconte cette histoire à travers des poèmes épiques écrits en français. L’écrivain Michel Chiha est considéré comme le théoricien et le père des textes constitutionnels fondamentaux de la République libanaise. Poète, penseur, philosophe et économiste, il s’est donné corps et âme à la défense des peuples opprimés et à leurs justes causes. Parmi ses œuvres, signalons un recueil de poèmes, La Maison des champs, et ses Essais. Le penseur cheikh Abdallah el-Alayli est le fondateur d’une école prônant l’ouverture sur les autres et la tolérance. Grand défenseur de la langue arabe, auteur de dictionnaires, il était devenu à la fin de sa vie le grand spécialiste de cette langue et une référence incontournable en matière de jurisprudence musulmane. Fouad E. Boustany est l’encyclopédiste du XXe siècle. Pédagogue, écrivain, historien, ce fondateur de l’Université libanaise et son premier recteur reste l’esprit le plus universel de ce siècle au Liban. Auteur prolifique, il a réalisé une imposante encyclopédie universelle en langue arabe et une anthologie de la littérature arabe qui reste l’ouvrage le plus vendu dans les pays du Proche-Orient et du Maghreb (tirée à plus de deux millions d’exemplaires). Ses romans et nouvelles à caractère historique témoignent de son grand talent de conteur. Farjallah Haïk, romancier de langue française, a écrit des fictions inspirées de la vie quotidienne dans les villages libanais. Ses livres ont connu un grand succès et ont été publiés en France. Enfin, l’écrivain, journaliste et politologue Chakib Arslan (mort en 1946) fut l’un des principaux penseurs dont les écrits ont réveillé les nations arabes et les ont incitées à secouer le joug ottoman dans la première moitié du XXe siècle. L’architecture Issue de la première habitation monocellulaire de Byblos, la maison libanaise n’a pas cessé d’évoluer depuis le VIe millénaire avant notre ère. La petite cellule rectangulaire à coins arrondis s’agrandit avec le développement de la famille. On lui accole une deuxième chambre en L et, plus tard, une troisième qui lui donne la forme d’un U. Les murs sont en pierre taillée, et la largeur de la chambre ne peut dépasser la longueur des troncs d’arbres employés (pins ou chênes) pour la structure du toit. Une fois les troncs d’arbres installés, on les recouvrait de lattes de bois sur lesquelles était étalé une sorte de mortier fait de sable, de glaise ou d’argile mélangé à du gravier et à du foin. Le tout était tassé avec un rouleau en pierre, puis recouvert d’une espèce de ronce très résistante, à son tour enduite de mortier. ces maisons rectangulaires en L ou en U se rencontrent encore aujourd’hui dans les hautes montagnes et dans les villages éloignés de la Békaa. Elles constituent le type même de l’architecture populaire traditionnelle. Une autre architecture, héritée aussi de la maison à sept piliers des Cananéens, s’est développée parallèlement. Mais celle-ci a bénéficié des progrès techniques et esthétiques que les Phéniciens ont empruntés aux différentes civilisations qu’ils fréquentaient ou dont ils ont eu à subir l’influence : grosse pierre taillée des Grecs et des Romains, colonnes élancées, chapiteaux sculptés et décorés qui remplacent le sobre chapiteau seulement orné de palmettes des Phéniciens, salles voûtées en berceau ou arcades de l’époque byzantine. L’élégance de l’architecture byzantino-arabe est éclipsée un temps par le lourd appareillage médiéval des croisés, abandonnée ensuite pendant la période de l’occupation mamelouk. À Sidon et à Tripoli, le visiteur pourra découvrir par ailleurs une urbanisation et une architecture conviviales et provinciales. La sympathique anarchie des ruelles étroites et des maisons qui se chevauchent dans les souks offre un avant-goût de l’Orient profond et une idée de ce qu’étaient les villes du Levant il y a à peine un siècle. À partir du XVIe siècle, la tendance va se tourner vers l’Occident, en particulier Venise et Florence, tout en respectant l’intimité orientale : la maison en U se ferme pour former une cour intérieure sur laquelle donnent toutes les ouvertures. Les façades sont généralement en pierre calcaire dans les montagnes, en pierre siliceuse sur la côte. La couleur varie entre le jaune et le gris, les joints restent très discrets. Les portes et les fenêtres sont cernées d’un cadre rectangulaire en pierre de taille bouchardée. L’abondance de fenêtres géminées, avec leurs bacs à fleurs et de fenêtres à trois arches, est très significative. Les premières, d’inspiration florentine, sont surtout visibles dans la région de la montagne, tandis que la côte présente, pour sa part, une architecture plus élancée, d’inspiration vénitienne. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour voir apparaître des maisons d’inspiration vénitienne surmontées d’un toit en tuiles rouges dans les centres de villégiature de montagne. À la différence des villes italiennes, où les maisons sont accolées de part et d’autre d’une rue étroite, les habitations des villages libanais se dressent au milieu d’un jardin. Les villes et les villages de la montagne ayant conservé leur patrimoine architectural sont : Jezzine, dans le Sud; Moukhtara, Baadaran, Beiteddine et Deir el-Qamar (dans le Chouf), Aïndara, Hammana, Falougha, Mtein, Aïntoura, Ras el-Metn et Choueir, dans les cazas de Aley et du Metn; Zouk Mikhaël, Ajaltoun, Reyfoun, Feytroun, Achkout, Ghosta dans le Kesrouan ; Amchit et Douma dans le Nord. Le contact entre l’Europe et le Liban au Moyen Âge et sous la Renaissance a été fructueux à plus d’un égard. Mais nous devons cependant rappeler le profond enracinement indigène de l’architecture libanaise, qui a minimisé l’influence classique des XVIe – XVIIe siècles, en particulier l’inspiration antique. En revanche, les styles romans et gothiques vont être copiés à partir du XIXe siècle, notamment pour les éléments architectoniques tels les arcs multilobés, brisés ou en accolade, les chapiteaux sculptés d’ornements foliés ou figurant des têtes d’animaux, les rosaces vitrées, les moulures, etc. L’architecte libanais a su adapter ces données pour les intégrer à son habitat et à son environnement. Les arcs des anciennes maisons libanaises, aujourd’hui négligés et défigurés, ne s’ouvrent malheureusement plus sur des paysages paradisiaques. L’œil se heurte inexorablement aux masses de béton ou de verre dressées chaotiquement, sans aucun souci d’urbanisme. Les mélodies traditionnelles libanaises tirent leur origine des mélopées tristes et nostalgiques que fredonnaient les pâtres dans les montagnes ou les travailleurs des ports de la côte. La vie extrêmement dure que menaient les habitants de ce pays n’incitait pas à la joie et à l’allégresse. Il faut dire aussi que les instruments de musique étaient plus qu’élémentaires. Citons entre autres le pipeau, la flûte à deux becs, la flûte de Pan, ainsi que le tambourin et le petit tambour local (derbaké), dont la caisse cintrée était en terre cuite couverte d’une peau de chèvre tendue. Le premier à avoir mis des paroles sur ces musiques du fond des âges fut Ephrem le Syriaque, père de l’Église universelle qui vécut au IVe siècle. Il composa des poésies religieuses rythmées sur lesquelles il adapta les mélodies traditionnelles. On le considère comme le père de la musique chantée. Au Ve siècle, Romanos le Mélode, fin lettré, poète et musicien de Beyrouth, édicta les premières lois de la musique religieuse en unifiant les mélodies araméennes et byzantines. C’est sur ces airs et ces mélodies que sont basés tous les chants liturgiques des Églises d’Orient, qu’elles soient araméennes ou byzantines. On suppose que les chants des muezzins s’en sont inspiré. La musique profane émane de cette tradition religieuse. La nature abrupte des montagnes du Liban, la vie dure que menaient les habitants expliquent la prégnance de la tristesse et de la nostalgie dans cette musique. Quant aux chants guerriers, ce ne sont que des phrases musicales répétitives que l’on fait enfler à souhait pour que les vallons et les flancs des montagnes puissent les répercuter et les faire parvenir aux oreilles des amis et des ennemis à la veille des grandes batailles. Il faut attendre le XXe siècle pour que des musiciens libanais tels que les frères Rahbbani, Zaki Nassif et Philémon Wehbé, entre autres, fassent évoluer la mélodie en la modernisant et en y introduisant des instruments occidentaux. Pourtant, toute musique libanaise, même la plus allègre, porte en elle une nostalgie et une tristesse.
Si les grands cercles littéraires et artistiques qui ont fait les beaux jours de la vie culturelle libanaise avant la guerre ont pratiquement disparu, il n’en reste pas moins qu’un gros effort est fourni depuis quelque temps pour redonner à Beyrouth la place prépondérante qu’elle occupait auparavant dans ce domaine. Les centres culturels étrangers ont rouvert leurs portes, et quelques clubs et cénacles locaux organisent chaque semaine des conférences traitant des questions d’actualité (politique locale, régionale ou internationale) ainsi que des sujets relatifs à l’environnement ou à l’écologie. Ils accueillent également des séminaires scientifiques ou littéraires, avec l’aide des nombreuses universités qui existent à Beyrouth. Quatre grands Salons et foires du livre se tiennent chaque année à Beyrouth :...
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