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Actualités - CHRONOLOGIES

Tournée pastorale - Moukhtara, point d’orgue des trois jours du patriarche maronite au Chouf, à Jezzine et à Aley - Comment Sfeir et Joumblatt ont réussi à réécrire l’Histoire

C’est la première fois. Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt se sont tenu la main, samedi, au palais de Moukhtara. Pour l’Histoire. Pour oublier 1860. Oublier 1983. Officialiser, à deux, ce «quelque chose» qu’ils ont déclenché, il y a quelques mois, tantôt ensemble tantôt séparés. Donner, à la nation, l’exemple. Le bon cette fois. Ils ont démarré un train : aux autres maintenant de le prendre. En marche. De ne plus attendre que «ça se fasse». De ne plus attendre un miracle, un homme-providence, le bon plaisir du FMI ou de la Banque mondiale, le bon vouloir de Damas, une conjoncture régionale, un revirement de Washington… Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt sont sans nul doute aujourd’hui deux des plus importants leaders nationaux. Et ils l’ont fait. Réécrire l’Histoire. Y revenir, en ayant tiré toutes les leçons. Revenir à l’origine : à l’esprit de l’axe bipartite druzo-chrétien. Mais pas à sa lettre. Faire le tri : c’est-à-dire que ce binôme séculaire de la Montagne ne sera plus dirigé, comme au siècle passé, contre les autres. Les autres communautés. Il s’occupera désormais uniquement de prosélytisme. De prêcher, en quelque sorte, et pour les autres régions du Liban, la bonne parole politique. La coexistence, le dialogue, l’entente nationale, comme bases incontournables pour la résurrection du pays. Et, surtout, pour sa survie économique. Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt, en annonçant tous deux hier la fin définitive et irréversible «de la guerre fratricide» entre leurs deux communautés, ont prouvé aux Libanais, peuple comme dirigeants, que rien n’est impossible. Aussi simple que cela puisse paraître. Rien n’est impossible à condition, évidemment, de le vouloir. Et d’agir. Sfeir et Joumblatt continueront certes à creuser tous deux leur chemin – le leader druze sera en tournée à Hasbaya, Jezzine, Khiyam, Chebaa, etc, dimanche prochain – mais leur message a été plus que clair : il y a une relève à prendre. Un mouvement national qu’il faudra accompagner, encourager, développer. Et c’est aux plus hauts niveaux que cela devra se faire. L’indescriptible effervescence Quoi qu’il en soit, il n’y avait plus de place, avant-hier samedi au palais de Moukhtara, ni pour une mitre ni pour une coiffe druze. Ce n’était pas que la foule était historique. C’était plutôt qu’une fois passée la grille du palais Joumblatt, une heure déjà avant l’arrivée du patriarche maronite, plus aucun mouvement n’était possible. Il fallait choisir sa place, et n’en plus bouger : à l’entrée, sur le petit parking intérieur, le long de l’allée menant à la place du palais, quelque part au milieu des centaines de chaises blanches disposées en U sur la même place, quelque part au milieu des plantes sur le petit promontoire réservé aux médias, sur l’un des trois grands escaliers donnant sur la place… À 14h00, c’était l’effervescence. Derrière la grille, jusqu’à l’intérieur du village, les jeunes du PSP, et les moins jeunes aussi, commençaient à affluer, à s’agglutiner, à s’impatienter, à vouloir entrer. Et les hommes de la sécurité du palais qui leur expliquaient, patiemment, gentiment, qu’on n’entrait pas avant l’invité, mais qu’on le suivait. Et petit à petit, l’intérieur commençait à se remplir, d’un nombre incroyable de scouts – il y avait même les Égyptiens de Port-Saïd, de porteurs de drapeaux – rouge pour le PSP, les jaune et blanc du Vatican, les couleurs de Bkerké, le drapeau libanais. D’un simple regard, on pouvait jauger, juger : l’enthousiasme de tous ces jeunes, leur certitude, quel que soit leur âge, de participer à un véritable acte citoyen, humain, et profondément libanais. Ils ont fait une haie d’honneur au patriarche, ils se tenaient les mains : les jeunes de Moukhtara étaient, hier, le Liban. «C’est vrai qu’on nous a demandé de venir, d’être là pour le patriarche. Que c’est un événement historique. Mais nous serions venus dans tous les cas. La moitié de mes amis, ce sont des chrétiens». Un des jeunes druzes du PSP dixit. Qui ne cache pas sa fierté d’être chez Walid bey. Même sous un soleil de plomb. De temps en temps on les déloge, «allez vous asseoir quelque part derrière», et eux, immanquablement, donnent la même réponse : «Oui mais nous, on veut voir». Le sentiment que quelque chose d’important se prépare, qu’il est sur le point d’avoir lieu. Et un à un, tous arrivent. Les cheikhs druzes, les curés, les édiles, les hommes, les femmes, les enfants, cela devient de moins en moins gérable, malgré l’excellente réputation d’organisateurs des druzes. N’importe qui se fait un plaisir de jouer les placeurs, les pseudo-maîtres de cérémonie, les mouches du coche. Et pendant que les escaliers se noircissaient de jeunes scouts, les sifflements et les hourras commençaient de se faire entendre dans tout le village et (le très sympathique) Alaeddine Terro, le député sunnite du bloc Joumblatt, faisait, le premier, son apparition sur la place du palais. Il déjeunait, comme tous ses collègues de la Rencontre démocratique, à la table du seigneur de Moukhtara. Une demi-heure avant l’arrivée, la tension était à son comble, et les images parlaient de plus en plus d’elles-mêmes : cheikhs et évêques côte-à-côte. Un des cheikhs justement, qui rappelle à L’Orient-Le Jour combien cette visite est «importante pour l’entente, pour la réconciliation, surtout qu’elle est destinée à tous, à toutes les communautés, une visite pour ressouder le Liban, pour que l’on puisse retrouver le vrai Liban». Lentement, sûrement, les centaines de sièges se remplissent tous, l’arrivée de l’ancien chef de l’État Amine Gemayel, accompagné d’Élie Ferzli, est saluée par des applaudissements. Et puis il arrive. L’événement supra-national Indescriptible. Walid Joumblatt, ses fils Taymour et Arslane, sa fille Dalia, vont l’accueillir. Les sifflements, les applaudissements, les vivats, les hourras, et… la bousculade. Énorme. Tous les jeunes de Moukhtara veulent s’approcher du patriarche, les hommes de la sécurité commencent à s‘énerver un peu, la barrière qu’ils font de leurs corps tient difficilement l’incroyable poussée qu’exercent, presque inconscients, tous ceux qui veulent voir Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt main dans la main. Les bouteilles d’eau volent, le patriarche lève la main, le seigneur de Moukhtara commence à applaudir suivi… par tous. Nasrallah Sfeir va saluer un à un chaque cheikh druze, et puis les deux hommes – «c’est grâce à eux que le nouveau Liban va pouvoir voir le jour» dit une femme druze en quasi extase – vont s’asseoir. Le premier à se lever, à parler : Walid Joumblatt. Des mots à la (dé)mesure de l’événement. Mémorables. «Permettez-moi de proclamer que l’époque des guerres fratricides entre Libanais est révolue à jamais», a-t-il commencé par dire (voir encadré), avant de rappeler, devant tous, la constance de sa position à l’égard de la présence syrienne. Un discours entrecoupé, chaque trente secondes, par des applaudissements de plus en plus vigoureux. Idem pour les mots du patriarche maronite, qui a salué, avec beaucoup d’insistance, le «rôle historique de la famille Joumblatt» : sitt Nazira, Kamal bey, puis Walid bey. En rappelant que Kamal Joumblatt avait été «la victime de sa franchise» (voir encadré). Avant de repartir, acclamé, porté en héros, pour Jezzine. Samedi était une «journée historique». C’est maintenant un poncif. Samedi, Moukhtara a été le point d’intersection entre deux lignes politiques et nationales qui devaient – c’est mathématique – se croiser tôt ou tard. C’est chose faite. Sans doute, même, ne font-elles plus qu’une. Ce qui s’est passé ce week-end ressemble de très près à un événement supra-national : si Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt ont réécrit l’Histoire, les habitants de la montagne, eux, ont donné une belle et inoubliable leçon au Liban d’abord, à la région tout autant. En accueillant d’un seul élan le patriarche, en répondant présents à leur leader, ils ont prouvé que tous les massacres du monde, n’importe quel passé, ne pouvaient pas résister à la volonté de renaître.
C’est la première fois. Nasrallah Sfeir et Walid Joumblatt se sont tenu la main, samedi, au palais de Moukhtara. Pour l’Histoire. Pour oublier 1860. Oublier 1983. Officialiser, à deux, ce «quelque chose» qu’ils ont déclenché, il y a quelques mois, tantôt ensemble tantôt séparés. Donner, à la nation, l’exemple. Le bon cette fois. Ils ont démarré un train : aux autres...