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Actualités - REPORTAGES

La principale localité chrétienne du Sud s’apprête à accueillir, demain, le chef de l’Église maronite - Sfeir à Jezzine, la première visite d’un patriarche depuis 1960

Attendue depuis très longtemps, la visite du patriarche maronite, à Jezzine, demain samedi, survient à un moment où cette région, longtemps contrainte à un isolement forcé, n’a pas encore réussi à reprendre sa vitesse de croisière, notamment sur le plan économique. Incontestablement, Jezzine revit de nouveau, dans une certaine mesure. Elle respire, certes, un air de tranquillité et de calme, mais le «social» et la prospérité ne suivent pas. Elle subit, à l’évidence, les retombées de la crise économique qui frappe le pays, mais certains facteurs propres à cette localité se répercutent également sur la situation globale de cette région. Au niveau économique, Jezzine n’a pas encore été rattachée à Saïda, son port d’attache traditionnel. La guerre y est pour beaucoup, mais le paramètre psychologique n’est nullement à négliger sur ce plan. La visite du patriarche maronite à Jezzine – la première du genre depuis celle de l’ancien patriarche Paul Méouchi, originaire de Jezzine, en 1960 – a précisément pour but d’insuffler à cette région un nouveau souffle. Depuis que cette zone est à nouveau sous le contrôle de l’État, on y est tranquille. C’est un coin sûr et les bulletins des FSI ne font pratiquement pas mention d’irrégularités qui viendraient perturber la quiétude des habitants. Mais, chose étrange, cette paix, sérieuse et sûre, n’a pas réussi à faire redémarrer une économie qui est restée jusqu’ici au point mort. Traditionnellement, la région de Jezzine était prisée par les habitants de Saïda qui venaient nombreux passer leur été dans les quelques hôtels du chef-lieu et du village de Roum. Ils louaient aussi de très nombreuses maisons partout dans les villages de la région. Cette année, Roum, à titre d’exemple, n’a accueilli aucun estivant. Pas une maison n’a été louée. Chacun dans la région va de son explication historique et politique pour fournir une explication à cette situation. Mais le fait est là : la reprise économique dans la région de Jezzine est inexistante. L’estivage a toujours constitué l’activité économique la plus importante de cette région. Durant les trois mois d’été, la population parvenait à accroître ses revenus grâce aux «Beyrouthins», entendre par là toutes les familles qui revenaient à la fin de l’année scolaire passer l’été dans la maison familiale. Sans compter les «Sidoniens», ces familles à majorité sunnite de la ville de Saïda, qui trouvaient dans cette région proche, à majorité chrétienne, un havre de paix, mais aussi et surtout un calme social qui cadrait tout à fait avec leurs traditions. Les Sidoniens étaient si liés à la région que certains de leurs commerçants n’hésitaient pas à y transférer partiellement et provisoirement leur commerce en louant de petites boutiques dans le but de rester proches de leur clientèle ou en acquérir une autre qu’ils réussissaient le plus souvent à fidéliser d’un été à l’autre. La guerre est venue modifier sensiblement ces données. Les familles de la région ne se retrouvent plus automatiquement fin juin chez elles «à la montagne», c’est-à-dire dans leurs villages d’origine. Les familles ont éclaté et le lieu de villégiature d’une large tranche de cette population est devenu leur lieu d’habitation au Metn et au Kesrouan. En effet, cette grande masse d’estivants qui faisait tourner la machine économique de juillet à septembre a choisi, du fait de la guerre, un habitat qui lui sert aussi de lieu d’estivage. Ce sont les villages de la région qui ont fait les frais, à l’évidence, d’une telle option. Ils subissent de plein fouet cette mutation sociale dont les conséquences se font sentir de jour en jour. Quant aux habitants de Saïda qui se retrouvaient le temps d’un été à Jezzine, ils sont partis ailleurs, notamment à Aley et dans certains villages du Chouf et de l’Iqlim el-Touffah. De ce fait, les maisons de la région de Jezzine, aussi bien le chef-lieu que les villages confondus, sont restées vides. Surboum immobilier Un visiteur qui effectuerait un tour rapide dans les villages du caza ne manquerait pas de s’apercevoir que les chantiers sont nombreux actuellement dans la région. Depuis quelques mois, sur recommandation des autorités désirant faciliter le retour des déplacés dans les villages où beaucoup de maisons ont été détruites, «un mot d’ordre» a été donné pour que les FSI ne soient plus aussi strictes à propos des licences de construction. Cette initiative a créé une fièvre au niveau de la construction dans de nombreux villages et on voit partout des chantiers, avec naturellement le lot de plaintes et de malentendus entre voisins. Il reste que cette initiative a été très bien perçue partout au Sud et, de ce fait, on pourrait peut-être assister à partir de l’été prochain au retour d’une nouvelle génération de familles qui viendraient renouer avec leur terroir, une tradition qui a fait les beaux jours de toutes les localités de la montagne libanaise. Mais ce regain d’activité a son aspect négatif : la belle roche de Jezzine est de plus en plus sollicitée. Son extraction, bien que légale – car autorisée par des licences d’exploitation – défigure un des paysages montagneux les plus beaux du Liban. Pendant de longues années, le trafic du sable, extrait des grands espaces de pinèdes, a menacé sérieusement certaines forêts de pins. Avec le retour à la légalité, cette activité s’est déplacée plus loin vers le Sud. Mais les carrières de pierre sont restées, elles, actives. Le passage montagneux entre Jezzine et Kfarhouné, en direction du Sud, est d’une beauté féérique. Dans ce secteur, les excavatrices et les compresseurs sont en action depuis de longues années, arrachant les blocs de pierre qui seront sciés et vendus pour en faire des pierres de revêtement. La pierre de Jezzine est très prisée pour sa couleur rose ramagée et son imperméabilité. Mais son extraction défigure complètement le paysage. Plus d’une ONG s’est penchée sur ce dossier. Mais entre survivre ou sauver une pierre, et encore moins un paysage, la bataille reste, dans l’état actuel des choses, inégale. Agriculture et tourisme vert Sur le plan de l’agriculture, force est de relever, d’emblée, que la pluie s’est faite rare dans l’ensemble du pays, et toute la région de Jezzine en a, évidemment, souffert. Mgr Sfeir aura beau scruter la falaise qui a fait la renommée du chef-lieu grâce à sa fameuse chute, il n’y verra aucune trace. Tous les cours d’eau de la région sont à sec, et le rationnement de l’eau dans les villages est plus que draconien. L’agriculture à Jezzine faisait vivre une large partie de la population. Les grands vergers de pommiers ont eu leurs heures de gloire. Beaucoup sont abandonnés, et leurs arbres complètement desséchés. Ils se dressent comme les tristes témoins d’une époque jadis prospère. Pour donner un coup de pouce aux agriculteurs luttant pour leur survie, l’État achète depuis plusieurs années la récolte de pommes pour le compte de l’armée. Incontestablement, il s’agit là d’une bouffée d’oxygène pour de nombreux foyers, mais les effets bénéfiques restent limités vu le nombre restreint de familles qui en profitent. La région de Jezzine, avec ses paysages très variés et ses forêts de pins, peut servir de cadre à un «tourisme vert» qui fleurit déjà dans les autres régions libanaises. Aucune initiative n’a été prise jusqu’ici par les experts qui ont initié plusieurs parcours dans d’autres régions du pays. Actuellement, le seul tourisme qui existe est celui des tours organisés qui font de Jezzine une simple étape. Ouverte sur la Békaa à travers le passage de Machgara qui contourne les «trois jumelles de Niha», et sur le Sud à travers son passage de Jarmak qui donne sur le Litani, la région de Jezzine peut servir de point d’ancrage pour des projets touristiques rentables. Mais les entrepreneurs manquent, et cette région qui a toujours souffert d’une importante émigration interne, n’arrive pas encore à trouver les moyens de rattraper un retard déjà chronique depuis les années cinquante et soixante et qui s’est accentué dramatiquement du fait de la guerre. Les nouvelles industries touristiques tardent à occuper un terrain qui leur est incontestablement favorable. Écoles et université Depuis plus d’un mois, tous ceux qui empruntent la route de Jezzine à partir de Saïda, car c’est là la route officielle de la région, ont dû certainement remarquer que les équipes de démineurs de l’armée sont à pied d’œuvre sur le site de l’université de M. Rafic Hariri, qui n’était pas encore Premier ministre lorsqu’il a créé ce complexe universitaire, dans les années 80, à Kfarfalous. Une rumeur, nullement fondée, mais persistante, veut que la confiance dans la région de Jezzine ne sera rétablie que le jour où l’université Hariri rouvrira ses portes. Les plus sceptiques, quant au sort de la région, prétendent que tant que cette université restera fermée, cela voudra dire que le sort final de cette zone n’est pas encore scellé. D’où ce climat d’expectative qui se traduit par une pénible récession économique. Dans la région de Jezzine, les esprits sont obnubilés par la hantise de l’implantation des Palestiniens. Toutes les assurances prodiguées sur ce plan ne suffisent pas à tranquilliser les esprits. Les gens réclament du concret, et la réouverture du complexe universitaire construit par Hariri, qui comprend entre autres un centre hospitalier, est considéré par certains comme un signe irréfutable du retour à la vraie paix. Un autre symbole de normalisation qui se fait attendre est le retour des élèves chiites au collège de Machmouché. Ce collège des moines libanais, plus que centenaire, a toujours eu parmi ses élèves internes des candidats chiites dont certains ont joué un rôle important dans la politique libanaise. Ces élèves ne sont pas encore de retour, et les commentaires vont bon train pour expliquer que «ce retard n’est pas normal, autrement ils seraient déjà là». D’aucuns poussent la métaphore pour comparer le retour de ces élèves à celui des hirondelles annonciatrices du beau temps. C’est dire combien les esprits sont encore inquiets et comment le politique se retrouve partout, même au niveau de l’interprétation d’un simple phénomène de société. Le collège de Machmouché, comme dans toutes les institutions de l’enseignement privé, croule sous les dettes. De nombreux parents n’arrivent pas à régler les scolarités de leurs enfants. Le supérieur du collège, le père Khawand, est resté discret sur le montant des sommes encore à percevoir. Il s’est simplement contenté de dire qu’elles sont «énormes». Visite et malentendu Mais quelles que soient leurs difficultés, les habitants de Jezzine sont heureux de rencontrer le patriarche Sfeir. Seul ombre à ce tableau : la coïncidence entre cette visite et celle du patriarche grec-ctaholique Laham, le même jour à l’Est de Saïda. Les habitants de l’Est de Saïda ont vécu dans la région de Jezzine de nombreuses années lors de leur exode forcé. Grecs-catholiques ou pas, ils souhaitent être là pour accueillir Mgr Sfeir. Idem pour les habitants de Jezzine. Le patriarche Laham à Saïda, c’est tout Jezzine qui aurait participé à l’accueil. Mais dans ce cas, la population devra choisir. En tout état de cause, les deux visites ont une valeur symbolique plus qu’importante et tout le monde, pas seulement à l’Est de Saïda et à Jezzine, réalise la vraie portée religieuse, politique et sociale de ces rencontres.
Attendue depuis très longtemps, la visite du patriarche maronite, à Jezzine, demain samedi, survient à un moment où cette région, longtemps contrainte à un isolement forcé, n’a pas encore réussi à reprendre sa vitesse de croisière, notamment sur le plan économique. Incontestablement, Jezzine revit de nouveau, dans une certaine mesure. Elle respire, certes, un air de tranquillité et...