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Histoire - L’avènement du Liban dans le concert des nations - Le Pacte national et les événements qui ont conduit à l’indépendance
Par BOUSTANY Hareth, le 24 juillet 2001 à 00h00
En 1943, à la veille des élections législatives, l’opinion libanaise peut se répartir entre quatre groupes. Le premier, celui des jeunesses attachées par tradition et par conviction à l’idée libanaise et que rejoignent les défenseurs des autorités évincées par l’action du général Catroux, voit dans le déroulement des élections l’occasion d’éprouver une dernière fois la sincérité de ceux qui, ayant remis en cause l’indépendance du Liban, ont prétendu qu’elle ne deviendrait effective que par la mise en place d’autorités nouvelles légalement élues. Ce groupe, dont le porte-parole était l’hebdomadaire phalangiste Action, réclame à l’avance des pouvoirs qui vont émaner des élections et la révision de la Constitution. Le deuxième groupe est constitué par des nationalistes arabes qui s’étaient éloignés depuis 1920 de la politique libanaise parce qu’ils considéraient alors que la majorité du Liban ne partageait pas leur conception de l’arabisme et leur hostilité à la politique mandataire. Après une évolution favorable perceptible entre 1935 et 1941, les tenants de ce groupe, notamment Riad el-Solh et Abdel-Hamid Karamé, adhèrent délibérément au nouveau Liban et revendiquent l’indépendance complète immédiate. Les deux autres groupes, qui se disputent le pouvoir depuis deux décennies, ont adopté, par suite des événements, des attitudes nouvelles. Le parti de cheikh Béchara el-Khoury s’est allié à des organes politiques plus ou moins anglophiles d’Égypte, de Syrie et d’Irak, obtenant d’eux des assurances quant au respect futur de l’entité libanaise en contrepartie d’une promesse de collaboration interarabe. L’autre, celui de l’ex-président Émile Eddé, se méfie de cette dernière politique et penche pour un retour au traité franco-libanais de 1936. Les quatre groupes, malgré leurs différences, s’accordent sur un principe fondamental, à savoir que l’indépendance ne doit plus être remise en cause et que le Liban ne peut arriver à la fin de la guerre et à la future conférence de la paix avec une hypothèque comme celle du Mandat. La campagne électorale se ressent fortement de cette unanimité. Tous les candidats en présence, sans distinction, se réclament de l’indépendance totale du Liban et de son intégrité territoriale. Les élections législatives se déroulent le 24 et le 31 août 1943, dans une atmosphère de lutte d’influence entre Français et Britanniques, qui en arrivent même, début septembre, à s’opposer au choix de certains candidats à la présidence de la République, les Britanniques écartant d’emblée les personnalités accusées d’être francophiles tandis que les Français refusent la candidature des anciens ministres «coupables» d’avoir réclamé jadis de plus larges attributions pour le gouvernement libanais ou d’entretenir des relations d’amitié avec des fonctionnaires britanniques… Le 21 septembre, la Chambre des députés procède à l’élection de Béchara el-Khoury comme président de la République. Celui-ci nomme Riad el-Solh président du Conseil des ministres. Le nouveau cabinet, qui comprend des éléments représentatifs des diverses tendances du Parlement, présente, le 7 octobre, au président du Conseil une déclaration ministérielle qui proclame : son souci de sceller l’unité nationale en défendant aussi bien la pérennité de l’entité libanaise que le principe d’une franche collaboration avec les pays arabes voisins ; son désir de rendre effective l’indépendance par la prise en charge de tous les services publics détenus jusqu’alors par l’autorité mandataire et par la révision de la Constitution et son épuration des réserves contenues principalement dans son article 90. Ce document vaut au gouvernement un vote de confiance unanime. Les principes et le programme énoncés sont à la base de ce qu’on appelle le Pacte national. Les jours suivants, Riad el-Solh et ses ministres s’emploient à prendre en main tous les services de l’État. À cet effet, ils s’entendent succinctement avec le gouvernement syrien présidé par Saadallah Djabri, et les deux gouvernements adressent des notes similaires au représentant de la France libre, l’ambassadeur Jean Helleu. Ce dernier se rend alors à Alger pour rendre compte auprès du Comité français de libération nationale des demandes syrienne et libanaise et en rapporter une réponse qu’il espère favorable. Mais, au matin du 5 novembre 1943, l’opinion libanaise prend connaissance avec stupeur d’un long communiqué du Comité d’Alger se référant non à la passation des pouvoirs, mais au paragraphe de la déclaration ministérielle du 7 octobre relatif à la révision de la Constitution. Le Comité déclare que les articles de la Constitution libanaise concernant le Mandat sont des textes «résultant d’obligations internationales souscrites par la France et toujours en vigueur, et ne pouvant être modifiées qu’avec son assentiment». D’aucuns ont vu dans ce communiqué une tentative de diversion, une manière d’engager d’interminables discussions juridiques qui permettraient au Comité d’Alger de gagner du temps et de ne pas procéder aux passations de pouvoirs réclamées par la Syrie et le Liban. En tout état de cause, cette prise de position affirmant le maintien en vigueur du Mandat, dont la caducité saute pourtant aux yeux, constitue un défi que l’autorité libanaise ne peut ignorer sans risquer, par son silence, de sembler renoncer à une souveraineté déjà proclamée et reconnue. Aussi, ce même 5 novembre, le gouvernement libanais réplique-t-il par un communiqué qui affirme que la révision de la Constitution entre dans les attributions des autorités libanaises, conformément aux termes des articles 76 et suivants de cette même Constitution. Ce communiqué annonce également la convocation de la Chambre pour voter un projet d’abrogation de certains articles de la Constitution devenus incompatibles avec la nouvelle indépendance du Liban. L’Indépendance Le 8 novembre, la Chambre vote à l’unanimité la révision de la Constitution, au milieu de la liesse générale. Le 11 novembre à l’aube, l’ambassadeur français Jean Helleu, rentré la veille d’Alger, procède à un coup de force en faisant arrêter à leur domiciles le président de la République, le président du Conseil, tous les ministres et un député, qu’il fait enfermer dans la citadelle de Rachaya. Dans la matinée, il annonce une nouvelle suspension de la Constitution, prétend organiser de nouvelles élections et charge l’ex-président Émile Eddé de former un gouvernement de transition. Cette dernière mesure rappelle à plus d’un titre les méthodes employées quelques années plus tôt par les hauts-commissaires Martel et Puaux : lorsque Émile Eddé était au pouvoir, ils «protégeaient» contre lui le Destour de Béchara el-Khoury afin de faire reléguer au second plan le traité d’indépendance. À présent, il s’agit d’utiliser le «bloc national» eddéiste pour annuler les effets de la révision constitutionnelle. Mais cette fois, les circonstances ont bien changé. Eddé ne refuse pas la mission qui lui est confiée mais ne s’en acquitte pratiquement pas, et aucun gouvernement de transition n’est formé. Dans le même temps, les ministres non appréhendés et les députés se retirent à Bchamoun pour assurer, sous la présidence de Habib Abou Chahla, vice-président du Conseil, la continuité du gouvernement légitime. De son côté, la population se met en grève dans tout le pays. Des manifestations de plus en plus virulentes ont lieu dans les principales villes. On avait tablé sur des dissensions d’ordre confessionnel. Il faut déchanter : les organisations de jeunesse, d’ordinaire opposées entre elles, s’unissent sous la seule direction de Pierre Gemayel, chef supérieur des Phalanges libanaises (Kataëb), pour résister au coup de force. Alarmé par ces nouvelles, mais aussi par le tollé qu’expriment les communiqués radiophoniques émanant de Londres, de Washington, de Berlin, de Moscou et des autres capitales et par l’effervescence de tout le monde arabe, le Comité d’Alger envoie à Beyrouth un conciliateur, le général Catroux. Tandis qu’il essaie, en vain, de négocier avec les prisonniers de Rachaya, l’autorité militaire britannique se montre menaçante à l’égard de la France libre. Le 19 novembre, Casey, le ministre d’État britannique dans le Moyen-Orient, se rend à Beyrouth pour remettre à Catroux un ultimatum exigeant la remise en liberté des hommes d’État libanais. Le 21 novembre, le Comité d’Alger publie un communiqué annonçant le rétablissement dans ses fonctions de président de la République de Béchara el-Khoury et la mise en liberté des ministres libanais. Cette mesure vise à empêcher le retour au pouvoir des ministres, notamment Riad el-Solh. Mais le 22 novembre, président et ministres, arrivés à l’aube à Beyrouth, sont conduits par une foule délirante au Grand Sérail, siège du gouvernement. Dès le 7 décembre, ils proclament la loi constitutionnelle qui consacre le nouveau drapeau libanais en remplacement des couleurs françaises. Le 22 décembre, le général Catroux signe enfin, avec les Premiers ministres de Syrie et du Liban, une convention en vertu de laquelle les services dits d’intérêts communs passent sous l’autorité des deux gouvernements. La révision constitutionnelle produit tous les effets escomptés, les entraves du Mandat sont écartées, et le Liban peut désormais occuper sa place dans le concert international.
En 1943, à la veille des élections législatives, l’opinion libanaise peut se répartir entre quatre groupes. Le premier, celui des jeunesses attachées par tradition et par conviction à l’idée libanaise et que rejoignent les défenseurs des autorités évincées par l’action du général Catroux, voit dans le déroulement des élections l’occasion d’éprouver une dernière fois la sincérité de ceux qui, ayant remis en cause l’indépendance du Liban, ont prétendu qu’elle ne deviendrait effective que par la mise en place d’autorités nouvelles légalement élues. Ce groupe, dont le porte-parole était l’hebdomadaire phalangiste Action, réclame à l’avance des pouvoirs qui vont émaner des élections et la révision de la Constitution. Le deuxième groupe est constitué par des nationalistes arabes qui...
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