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courrier - Francophonie ou cacophonie ? - « Francophonie ! Francophonie ! Francophonie ! »
Par KANAAN ELIE, le 12 juillet 2001 à 00h00
Il ne suffit pas de sauter comme des cabris en criant : «Francophonie ! Francophonie ! Francophonie !» pour que la francophonie se réalise. Le général De Gaulle m’excusera de le plagier, lui qui disait il y a plus de trente ans, lors d’une conférence de presse restée célèbre : «L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! Il ne suffit pas de sauter comme des cabris en criant : L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! pour que L’Europe se réalise !». Tout au long de cette année, proclamée «Année de la francophonie» au Liban, les initiatives, les manifestations de toutes sortes (théâtre, colloques, festivals, congrès, conférences, etc.) continueront à être organisées jusqu’à culminer fin octobre avec le IXe Sommet de la francophonie, qui se tiendra dans notre capitale avec comme thème : Le dialogue des cultures. Si la francophonie du Liban est plusieurs fois séculaire, elle a aussi été consacrée par la Constitution libanaise promulguée le 23 mai 1926. En effet, l’article 11 de cette Constitution, tel qu’amendé par la loi constitutionnelle du 9 novembre 1943 (adoptée par la Chambre des députés au moment de la proclamation de l’Indépendance), dispose que «l’arabe est la langue nationale officielle. Une loi spéciale déterminera les cas où il sera fait usage de la langue française». Miracle de la chirurgie sémantique : le Liban avait «un visage arabe» (selon l’expression de feu Riad el-Solh) et une langue française ! En vertu de l’alinéa «b» du préambule de la Constitution issue du chambardement constitutionnel de l’accord de Taëf (loi constitutionnelle du 21 septembre 1990), le Liban est devenu un «pays d’identité et d’appartenance arabe». Mais il a conservé sa langue française. Là aussi, les constituants de 1990, qui n’ont pas hésité à faire des coupes claires dans les attributions du président de la République, n’ont pas touché au statut privilégié reconnu à la langue française par la Constitution libanaise. Nulle part, il n’est fait mention de la langue anglaise. Pourtant, les constituants de 1943 auraient pu faire une fleur aux Anglais qui avaient soutenu l’indépendance totale et immédiate du Liban, trop heureux de bouter les Français hors du pays. Les administrations officielles devraient donc s’en tenir à la Constitution, à commencer par les panneaux et enseignes qu’elles utilisent pour la présentation de leurs divers services au public. Car c’est la partie la plus visible de leur utilisation d’une langue étrangère. Or, que voit-on en parcourant les rues de la capitale ? Si certaines administrations affichent leurs noms en arabe et en français, tels la Banque du Liban, la Direction générale de la sûreté générale, l’Office du Litani, l’Électricité du Liban, etc., d’autres ont opté pour l’anglais. Si ce dernier choix s’explique par le fait que certaines de nos excellences et certains de nos directeurs généraux ne pipent pas un mot de français, par contre il ne s’explique pas en ce qui concerne certaines autres administrations où le français était (et est peut-être encore) pratiqué sur une grande échelle. C’est ainsi qu’en sortant de l’Aéroport international de Beyrouth, les voyageurs arrivant au Liban (et potentiellement les participants au Sommet de la francophonie) sont «accueillis» par deux panneaux rédigés uniquement en anglais : «Lebanese Armed Force» et «Beirut Air Base», et deux panneaux disant la même chose en arabe. Mieux encore, lors des championnats militaires mondiaux d’athlétisme organisés par l’armée libanaise au début de ce mois à Beyrouth, les pancartes qui précédaient les diverses délégations lors du défilé d’ouverture indiquaient les noms des pays participants en arabe et en anglais. Et dire que le français reste la première langue officielle de l’olympisme. Et pourtant, il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore lire dans la presse les avis des adjudications de l’armée, qui précisaient que les soumissionnaires pouvaient acquérir le cahier des charges spécial de telle ou telle adjudication rédigé en arabe, mais que le cahier des charges général n’était disponible qu’en français. Pourquoi donc cet abandon subit du français ? Autre exemple anglomaniaque : le Conseil du développement et de la reconstruction signale le moindre des travaux qu’il exécute en plantant, sur le bord des routes, de grands panneaux jaunes sur lesquels il inscrit en anglais (et en rouge) l’historique du projet. Pour arrêter cette cacophonie sur le plan officiel, il appartient au président Lahoud, président en exercice du Conseil de la francophonie, futur président du prochain Sommet de la francophonie : – d’ordonner que soient éliminés, de préférence avant le Sommet de la francophonie, tous ces signes extérieurs d’anglomanie anticonstitutionnellement étalés sur les édifices et les routes publics ; – ou de demander la révision de la Constitution libanaise aux fins d’abroger la seconde phrase de son article 11 et, ainsi, de faire disparaître toute allusion au français en tant que seconde langue officielle du pays ! Toutefois, le summum summorum de la cacophonie anglomaniaque est atteint par les deux plus hautes autorités de l’Exécutif qui ne sont pas d’accord sur le nom anglais de la République qu’elles gouvernent, l’une l’appelant «Republic of Lebanon», l’autre préférant «Lebanese Republic». Face à cette cacophonie, je suis tenté de leur suggérer : «Lebanana Republic» ! Élie KANAAN P.-S. : Si les particuliers et les entreprises privées sont libres du choix des langues qu’ils utilisent notamment dans leurs publicités, par contre des associations soutenues par l’argent public et incluses dans les manifestations de l’Année de la francophonie, devraient avoir la pudeur de faire leur publicité en français.Je pense notamment au Festival international de Baalbeck et au Festival de Beiteddine qui, même dans leurs placards publicitaires exclusivement arabes, trouvent moyen de mettre le nom de leur festival en anglais !
Il ne suffit pas de sauter comme des cabris en criant : «Francophonie ! Francophonie ! Francophonie !» pour que la francophonie se réalise. Le général De Gaulle m’excusera de le plagier, lui qui disait il y a plus de trente ans, lors d’une conférence de presse restée célèbre : «L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! Il ne suffit pas de sauter comme des cabris en criant : L’Europe...
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