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Actualités - CHRONOLOGIES

UNIVERSITÉ - Le projet de réunification de certaines sections divise le pays - Vingt mille étudiants de l’UL en grève depuis un mois

Les vingt mille étudiants des sections dites chrétiennes de l’Université libanaise sont en grève depuis déjà quatre semaines, un mouvement qui a pour conséquence le report des examens de fin d’année à une date inconnue. Ils entendent ainsi protester contre la décision de principe des pouvoirs publics de réunifier leurs sections avec celles de Beyrouth-Ouest. Le 17 mai, le gouvernement avait annoncé, à l’issue d’un Conseil des ministres, qu’il avait été demandé au conseil de l’UL de prendre les mesures nécessaires pour réunifier les sections de Beyrouth et du Mont-Liban à partir de la prochaine année universitaire 2001-2002. Le lendemain, coup de théâtre : une source proche du Premier ministre Rafic Hariri soulignait qu’«aucune décision n’a été prise en la matière» et que «de toute façon, M. Hariri est personnellement opposé au rassemblement des étudiants, préférant se contenter actuellement de permuter les professeurs entre les différentes sections». Si la première annonce a pris tout le monde de court, la mise au point du lendemain a fait l’effet d’une bombe dans un ciel politique déjà lourd. Encore une fois, le pays se retrouve divisé autour d’une question dont l’enjeu est important puisqu’il s’agit du devenir de 75 000 étudiants, de 3 000 cadres enseignants et autant d’administratifs. Avant ces développements, tout le monde s’attendait à une confrontation entre l’État et l’Université à propos d’un projet de réforme élaboré très discrètement par les autorités de tutelle, et considéré par la Ligue des professeurs de l’UL – regroupant l’ensemble du corps enseignant – comme une «hérésie académique et administrative». Ce projet a été rendu public, et les professeurs de l’UL se préparaient à la bataille au moment où ils ont été surpris par la remise sur le tapis de ce projet de réunification des sections. À l’appel de toutes leurs formations politiques, unanimement opposés à une telle mesure, les étudiants des sections II (chrétiennes), passé les premières hésitations, ont décrété une grève ouverte, bloquant les examens de fin d’année dans toutes les facultés. L’esprit de la réforme globale de l’UL, préparée par les cercles du pouvoir, pèche, d’après ses opposants, notamment la Ligue des professeurs, par un «dogmatisme désuet et rétrograde». Toutes ces années, durant lesquelles les «gens de l’Université», comme ils se plaisent à se qualifier, ont lutté pour sauver l’autonomie «académique, financière et administrative» de l’Université, n’auraient servi à rien car le nouveau projet «se propose d’annuler tous les acquis en la matière», estime M. Élie Dagher, représentant de la faculté de droit au conseil de l’UL et membre de la Ligue des professeurs. À l’américaine Le projet prévoit la création d’un «conseil de tutelle» constitué – à l’image américaine – d’un «Board of Trustees». Ce conseil serait formé d’un président, qui est le ministre de l’Enseignement supérieur, et d’une assemblée «composée de notables, de personnes en vue et de représentants des organismes sociaux et économiques». Cette assemblée compterait un maximum de 35 membres et un minimum de 22, élus pour un seul et unique mandat de trois ans. Au cours de ses deux réunions annuelles prévues par le projet, le conseil de tutelle aura à «donner son aval au programme de travail que lui aura soumis le conseil de l’Université» et ce sera lui qui autorisera ou non celui-ci à «créer, fusionner ou éliminer les facultés, à approuver l’organigramme administratif et technique de l’Université ainsi que son règlement interne». Il aura aussi à approuver «le budget annuel, les contrats d’engagement des professeurs ainsi que les cahiers de charges des différentes adjudications». Voilà pour l’essentiel. Les opposants à ce projet, que l’on retrouve dans toutes les catégories politico-confessionnelles au sein du corps professoral, estiment que «cette nouvelle configuration va à l’encontre de toute logique de progrès et de simplification». À l’exemple d’Antonio Khoury, ancien directeur de la faculté des sciences, on se demande «comment définir les notables et les personnes en vue». «À supposer qu’une définition soit trouvée, comment va-t-on pouvoir organiser de telles élections avec toutes les ingérences politiques et confessionnelles que connaît le pays», fait-il remarquer. Un autre professeur estime que «l’État, par ce texte, entend étouffer l’Université». Comme beaucoup de ses collègues, il se dit convaincu que «ce conseil de tutelle constituerait une nouvelle tentative de la part de ceux qui entendent tout régenter dans le pays pour éliminer toute velléité d’autonomie, même de la part d’une institution chargée de l’enseignement supérieur». «Car autrement, comment comprendre, ajoute un autre professeur, qu’après toutes ces années au cours desquelles les diverses fractions politiques libanaises ont défendu l’idée de l’autonomie de l’UL, il se trouve des technocrates, qui au nom d’on ne sait quelle dérive autoritaire, se permettent de proposer une réforme qui va à l’encontre de cette autonomie». «Héritière d’une tradition jacobine contre laquelle le corps professoral a toujours lutté pour obtenir davantage d’autonomie, en vue d’une plus grande souplesse dans l’application de ses programmes, l’UL aurait besoin d’une tout autre réforme qui la rendrait plus compétitive, avec des règlements plus flexibles», estime le représentant du Parti national libéral au sein du mouvement estudiantin. «Cela permettrait à l’Université de s’adapter rapidement aux nouvelles donnes internationales, loin des tractations politco-confessionnelles qui l’ont jusqu’ici étouffée et qui ont eu pour effet de la transformer en une chasse gardée en faveur des puissants des différents régimes», poursuit-il. Les conflits entre des conseils d’administration et des directeurs exécutifs, deux organismes nommés ou élus suivant des critères visant à respecter les équilibres du pays, est chose courante au Liban. À l’UL, le recteur se trouvera, d’après le projet proposé, «chaperonné» par un conseil de tuteurs avec qui il risque d’avoir un conflit soit d’intérêts, soit de perspectives. On comprend dès lors les risques de blocage auxquels l’Université ne manquera pas d’être confrontée. Ordre et désordre Le nouveau projet a, par ailleurs, réservé une autre «surprise désagréable» : il propose une refonte complète de son organigramme administratif et académique. Actuellement, le schéma est le suivant : les facultés et les instituts actuels sont administrativement dirigés par des doyens secondés lorsqu’il y a lieu par des directeurs en charge uniquement de leurs sections. Il existe des conseils de facultés, composés généralement des chefs de département et des représentants du corps professoral, mais leurs décisions constituent beaucoup plus des recommandations à caractère non contraignant, mais quand même servant de cadre de travail auquel les doyens sont tenus, moralement, de se conformer. Cette pyramide relativement simplifiée est chapeautée par un conseil de l’Université, au sein duquel le poids du recteur reste très proéminent. Que propose le nouveau projet ? L’article 12 du texte de la réforme envisagée prévoit la création de cinq unités universitaires formées comme suit : 1. L’unité des sciences et de la technologie, qui comprend les facultés des sciences, d’ingénierie, d’agronomie, un institut supérieur de technologie et un centre de recherche scientifique et technologique. 2. L’unité des sciences médicales, comprenant les facultés de médecine, de médecine dentaire, de pharmacie, de santé publique, une école de vétérinaires, un institut universitaire pour la technologie médicale et sanitaire, un centre de recherche et des centres médicaux universitaires. 3. L’unité des langues et des sciences de la communication : les facultés des lettres et des langues, de l’information, des beaux-arts, un institut technologique et un centre de recherche. 4. L’unité de droit et des sciences politiques et administratives : la faculté de droit, de sciences politiques et administratives, la faculté de sciences économiques et de gestion, la faculté de tourisme, un institut universitaire pour l’ensemble de ces spécialisations et un centre de recherche. 5. L’unité des sciences humaines, avec les facultés de pédagogie, des sciences sociales, des sciences humaines ainsi qu’un institut universitaire et un centre de recherche. Tout cet échafaudage est censé être régi par un conseil de l’Université qui comprend 31 membres, avec comme président le recteur et comme membres différents représentants des unités universitaires, du corps professoral, des représentants des conseils scientifiques, des étudiants, auxquels viennent s’ajouter «cinq personnalités nommées par le conseil des tuteurs». «C’est beaucoup», protestent les opposants. Une superposition de deux conseils aussi élargis ne va pas faciliter le travail. Et si on admet que les cinq derniers membres ajoutés au conseil de l’Université par la volonté du conseil des tuteurs vont certainement défendre le point de vue de ceux qui les auraient élus, il y a fort à parier que c’est le premier qui va se retrouver toujours en minorité lors d’une confrontation avec le conseil de tutelle, souligne-t-on. «Cette nouvelle restructuration vise, sans trop entrer dans les détails des différentes dispositions administratives délimitant le rôle des uns et des autres, de façon claire à réduire sérieusement le rôle du recteur et du conseil de l’Université au profit du président de tutelle et de son conseil», affirme le président de la Ligue des professeurs, Bahige Rahbane. En fait, le projet prévoit les démarches à suivre en cas de conflit entre les deux organismes. S’il le prévoit, c’est que donc cette éventualité est plus que probable. Alors pourquoi créer un organisme qui va immanquablement provoquer un conflit ? «Le monde de l’Université ne peut fonctionner dans un esprit de lutte pour le pouvoir. Or, le nouveau projet a été conçu dans cet esprit», observe M. Khoury. Coup de tête ou coup de semonce ? C’est dans ce contexte qu’a éclaté la «bombe» de la réunification des sections. Les représentants des étudiants PNL, Kataëb, du mouvement aouniste et des ex-FL se sont unis pour mobiliser leurs troupes et refuser le projet. Pour leur part, les représentants des professeurs mènent depuis la mi-mai une campagne de sensibilisation auprès des ministres et des députés ainsi que de l’opinion. À l’appui de leur thèse, ils avancent notamment le fait que «ce dossier de la réunification reste le plus délicat, socialement et politiquement, et le moins urgent académiquement». «Si notre thèse est défendable, cela veut dire que cette décision n’est que politique et ressemble fort à une mise au pas de la part de ceux qui se trouvent gênés par le vent de liberté qui continue à souffler sur les sections II», souligne Joseph Élias, professeur à la faculté d’information. «Le jour où une chaîne de télévision locale a organisé un vaste débat autour de ce sujet, il ne s’est trouvé aucun responsable, pas même le recteur de l’UL, ni le ministre de tutelle, pour avoir le courage de venir participer à cette rencontre, de peur de se voir piégé par les étudiants et les professeurs présents sur le plateau», précise une des organisatrices de la rencontre. Tous les représentants estudiantins que L’Orient-Le Jour a rencontrés ont affirmé en chœur que «cette décision a été voulue comme un coup de semonce à l’adresse de tous ceux qui organisent des manifestations à répétition et qui tiennent un discours contraire à la ligne officielle de l’État». «Ce dernier, affirme le représentant du courant aouniste à la faculté des sciences, J. Jabbour, est conscient du fait que ce mouvement de contestation partait uniquement, et pratiquement toujours, des sections des régions Est. Il s’est donc décidé à mettre un terme à cette “débauche” de liberté et à remettre les pendules à l’heure». Tout le monde semble convaincu que la question de la réunification n’était pas à l’ordre du jour du Conseil des ministres du 17 mai. Les ministres ont été pris de court, comme d’ailleurs l’opinion publique, par l’annonce de cette décision. Interrogés sur la teneur des débats au sein du Conseil des ministres lors de la séance au cours de laquelle cette décision a été prise, plus d’un ministre a choisi de se montrer évasif, préférant s’en tenir à la thèse officielle suivant laquelle «l’UL ne peut plus rester divisée à un moment où tout le pays est unifié». Actuellement, les choses sont au point mort : plus de vingt mille étudiants sont en grève dans une indifférence officielle générale. Sin-in et manifestations se multiplient à l’Est, tandis que les examens et les corrections des copies se poursuivent à l’Ouest, au Sud, dans la Békaa et au Nord. Les professeurs et les étudiants des sections II sont décidés à aller jusqu’au bout dans leur bataille. Ils multiplient les campagnes d’information et les contacts politiques. Va-t-on réagir au niveau de l’État ? Tout le monde l’espère. Des solutions demeurent possibles. L’une d’elles serait la proposition de M. Hariri, qui a estimé que «la mesure pouvait attendre» et que «la réunification pouvait commencer par l’échange des professeurs entre les différentes sections». Une autre proposition consisterait pour le Conseil des ministres à se décharger à nouveau sur le conseil de l’Université, qui doit être recomposé après que de nouveaux doyens, dont les postes sont à pourvoir depuis plus d’un an, auront été nommés.
Les vingt mille étudiants des sections dites chrétiennes de l’Université libanaise sont en grève depuis déjà quatre semaines, un mouvement qui a pour conséquence le report des examens de fin d’année à une date inconnue. Ils entendent ainsi protester contre la décision de principe des pouvoirs publics de réunifier leurs sections avec celles de Beyrouth-Ouest. Le 17 mai, le...