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Actualités - BIOGRAPHIES

Hommage - Cette mort qui fait rupture - ( À Édouard Azouri )

Toute existence est paradoxe. Comte-Sponville nous rappelle, s’il en était besoin, que «à cause de la mort, nous les hommes, habitons tous une cité sans murailles». Et pourtant, Nadia Tuéni dont notre ami disparu chérissait l’œuvre, affirmait tout aussi éloquemment : «À cause de la mort… Ton corps est le seul continent». Habitacle et terrain de l’esprit, lieu du plaisir et de la souffrance, notre corps nous fait exister quand il emplit l’espace et nous fait disparaître quand la mort l’envahit. Édouard Azouri qui vient de nous quitter l’avait pressenti : «Et quand la mort camarade insatiable et farouche… Entrouvrira ma porte avec l’horrible faux… Je sortirai débout et l’insulte à la bouche…». Quoi de plus vrai ! Dans notre désir d’éternité, nous refusons la mort sans vouloir admettre qu’après tout, seule la mort serait immortelle. Qui laisse une œuvre derrière lui, meurt mais ne disparaît pas. Édouard Azouri est l’un des derniers pionniers de la psychiatrie au Liban qui rend son tablier avec, à son actif, un demi-siècle de pratique médicale et d’enseignement universitaire. Après le décès trop tôt survenu en 1992 d’Édouard Moretti, médecin au diagnostic neuro-psychiatrique imparable, introducteur au Liban de l’électrœncéphalographie rigoureuse, de Henri Ayoub en 2000, médecin-chef qui structura et porta à bout de bras l’Hôpital psychiatrique de la Croix et aujourd’hui d’Édouard Azouri, la psychiatrie au Liban est orpheline de pères en qui le professionnel s’alliait harmonieusement à l’humain et la technicité à l’humanisme. Ce psychiatre, solidement formé aux règles de l’art en France comme aux États-Unis, aura consacré sa vie à soigner les malades mentaux et à faire bénéficier les étudiants en médecine et en psychologie de son expérience singulière dans le domaine de la pathologie mentale. Toujours ouvert aux divers courants de la psychopathologie, interpellé par le séisme provoqué par le souffle de l’antipsychiatrie des années soixante, intéressé par la psychanalyse dont il contestait souvent les assises, Édouard Azouri est resté jusqu’au dernier souffle, sensible à toutes les nouveautés, témoignant ainsi d’une immense curiosité intellectuelle et d’une aptitude, rare dans les milieux professionnels, à se remettre en question. Que dire de l’étendue de sa culture et de sa passion pour la langue française dont il avait une maîtrise complice et dont il habillait son émotion, convertie en poèmes ! Son œuvre littéraire et poétique, couronnée par les palmes académiques françaises et par le Jasmin d’argent, destiné aux poètes francophones, porte la trace de son goût de vivre et de son culte pour la beauté, qu’elle soit femme ou nature, de son attachement pour Paris et la France et de sa dévotion pour le paysage libanais. Quand il me fit l’amitié de me demander de préfacer son recueil Poésies II, il me donna l’occasion de lui dire alors toute mon admiration que je renouvelle aujourd’hui pour l’ensemble de son inlassable activité, son sens de l’amitié, son humour inépuisable et son profond humanisme. Son dernier message, lu par son fils – un testament, peut-être ! – il l’a destiné ces derniers jours, aux auditeurs d’un colloque en l’intitulant «le signe et le scalpel». De son style aussi clair qu’adamantin il a voulu montrer que le champ restreint du scalpel, qu’il soit métallique, chimique ou électronique, est littéraire, non seulement pour se faire entendre mais pour toucher et partager. Molière avait bien écrit : «Quand la médecine sera sérieuse, les médecins cesseront de se déguiser». Dans la chaîne de la médecine, de la psychiatrie, de l’écriture et plus encore dans celle de l’amitié, il y aura désormais un maillon qui fera défaut, qui répondra absent à l’appel tout en restant vivant dans nos consciences.
Toute existence est paradoxe. Comte-Sponville nous rappelle, s’il en était besoin, que «à cause de la mort, nous les hommes, habitons tous une cité sans murailles». Et pourtant, Nadia Tuéni dont notre ami disparu chérissait l’œuvre, affirmait tout aussi éloquemment : «À cause de la mort… Ton corps est le seul continent». Habitacle et terrain de l’esprit, lieu du plaisir et de la souffrance, notre corps nous fait exister quand il emplit l’espace et nous fait disparaître quand la mort l’envahit. Édouard Azouri qui vient de nous quitter l’avait pressenti : «Et quand la mort camarade insatiable et farouche… Entrouvrira ma porte avec l’horrible faux… Je sortirai débout et l’insulte à la bouche…». Quoi de plus vrai ! Dans notre désir d’éternité, nous refusons la mort sans vouloir admettre...