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CONFÉRENCE - De l’imitation servile des schémas occidentaux au refuge dans la cellule-tribu - La famille libanaise, entre tradition et modernité
Par H. A.M., le 18 avril 2001 à 00h00
«Où en est la famille aujourd’hui», est le thème abordé par Nada Chaoul lors d’une conférence donnée au collège Notre-Dame de Nazareth. La famille qui joue encore au Liban «un rôle central tant dans la vie publique et politique que dans la vie privée et dans le développement personnel de l’individu». La famille qui passe par une crise due aux «bouleversements majeurs des schémas familiaux en Occident», bouleversements qui se répercutent sur notre société particulièrement perméable et qui se heurtent à nos valeurs traditionnelles. La famille qui est «lieu de soutien, de solidarité et d’épanouissement de l’individu, mais qui peut devenir un carcan, un lieu de contrainte et d’aliénation de la liberté individuelle». Nada Chaoul a, dans un premier temps, évoqué la déconstruction des piliers de la famille en Occident. Une famille autrefois patriarcale, au sein de laquelle les aspirations personnelles étaient souvent sacrifiées face aux intérêts féodaux du groupe. Avec la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ancêtre de toutes les déclarations des droits de l’homme, la déconstruction de la famille a vu le jour, privilégiant les intérêts et projets personnels de l’individu au détriment de ceux du groupe, et remplaçant le pouvoir du père biologique sur ses enfants par celui de «l’État, puissance tutélaire, gardienne des droits des citoyens». Les piliers de la famille subissent alors de véritables assauts sur «deux axes majeurs, celui du couple, fondé sur l’institution du mariage et celui de la filiation, autrement dit du rapport aux enfants». Sacrement indissoluble dans l’Église catholique, le mariage n’est plus qu’un simple contrat civil, qui peut prendre fin par un divorce par consentement mutuel, alors que de plus en plus de couples refusent de recourir au mariage et vivent en concubinage sous la protection de la loi, homosexuels y compris. Quant à la femme, libérée du joug de ses tâches ménagères grâce au développement technologique, elle est entrée en force dans le monde du travail, et son pouvoir économique a eu pour effet de renforcer son pouvoir de décision à l’intérieur du couple, et à l’égard de ses enfants. «Force est de constater que la femme occidentale moderne est en pleine possession de ses moyens et qu’elle vit une plénitude de rôles tant au niveau social que personnel», explique Mme Chaoul. L’homme occidental perd ses privilèges de masculinité La situation de l’homme occidental semble moins enviable, vu la perte de ses privilèges de masculinité, reprend-elle. Et même l’attribution automatique du nom de famille du père à ses enfants vient d’être annulée en France. Avec le bouleversement des données biologiques de la procréation et l’émergence des nouvelles techniques de fécondation, la possibilité d’avoir des enfants en dehors du cadre du couple traditionnel crée d’importants problèmes bioéthiques et ne peut qu’accentuer ce bouleversement du paysage de la famille, tel qu’il a existé durant plusieurs siècles. Sur le plan légal, la France garantit des droits d’héritage égaux à tous les enfants, quelles que soient les circonstances de leur naissance. Formée ainsi d’enfants et de parents de plusieurs mariages ou concubinages successifs, la famille occidentale reste un refuge et un rempart, car il s’agit d’une famille voulue par un choix libre, et non imposée par la fatalité et les codes sociaux. Nada Chaoul a, dans une deuxième partie, présenté l’ambivalence des caractères de la famille libanaise. En effet, la cellule familiale est différente selon qu’elle soit chrétienne ou musulmane. Basée sur le sacrement du mariage indissoluble dans les communautés catholiques, sur la monogamie, sur l’admission de l’adoption d’enfants et sur le caractère accessoire de la dot, «elle est fondée sur un mariage envisagé comme un simple contrat» dans les communautés musulmanes, où la polygamie, le divorce et la répudiation imposent aux femmes une inégalité successorale basée sur la loi coranique, alors que l’adoption est rejetée et que la dot constitue un élément essentiel du mariage. Vu le caractère plural du pays et les nombreuses communautés qui y cohabitent, on a affaire à diverses familles libanaises. Des familles qui présentent de nombreuses similitudes, dès qu’elles appartiennent à la même catégorie socio-économique, malgré leur appartenance à différentes communautés confessionnelles. Et d’expliquer que les transformations rapides des modes de vie qui ont bouleversé les habitudes libanaises ont mené certaines familles à une «imitation servile et même caricaturale des schémas de vie occidentaux, sans adaptation aux spécificités du milieu libanais», alors que d’autres ont rejeté en bloc ces schémas, se réfugiant dans un «ultratraditionnalisme» et diabolisant les valeurs occidentales jugées comme «perverses et décadentes». Mais il est important, ajoute Mme Chaoul, de ne pas schématiser et de ne pas oublier les effets de la guerre et de la crise économique sur les familles. La modernité favorise l’éducation de la femme Abordant les traits de modernité dans les comportements, Nada Chaoul parle de «nucléarisation de la famille libanaise», constituée à 76 %, à Beyrouth, du père, de la mère et des enfants, de la baisse du nombre d’enfants, notamment dans la famille chrétienne, et de la transformation des rôles dans les familles qui attribuent la responsabilité de l’éducation et la prise de décisions importantes aux deux parents. Une modernité qui favorise l’évolution du niveau éducatif et universitaire de la femme. De cette modernité, certes, découle le recul de l’âge du mariage, mais aussi une instabilité caractérisée par une augmentation des mésententes conjugales et des divorces. Des divorces dont les causes sont les mauvaises conditions économiques, l’infidélité, l’intervention des parents dans la vie du couple, mais aussi les mariages précoces, les mariages-refuge, les mariages d’intérêt et la résurgence de comportements sexuels débridés. La traditionnalité dans les mentalités apparaît, selon Nada Chaoul, au niveau public, dans l’attachement à la famille-tribu, aux associations de famille qui constituent une force politique non négligeable et jouent un rôle crucial dans l’héritage politique des familles. Au niveau privé, elle se traduit par la nécessité de l’approbation des parents dans le choix du conjoint, par le mariage comme but ultime de la femme, qui doit privilégier les tâches ménagères et qui s’investit peu au niveau professionnel. Une traditionnalité qui devient difficile à gérer en période de crise économique où la femme est tenue d’assurer un revenu au foyer. Et de conclure en rassurant quant à la pérennité et l’avenir de la famille libanaise, qui aurait pour vocation de se réaliser à la fois dans la tradition et la modernité, marques des sociétés plurales.
«Où en est la famille aujourd’hui», est le thème abordé par Nada Chaoul lors d’une conférence donnée au collège Notre-Dame de Nazareth. La famille qui joue encore au Liban «un rôle central tant dans la vie publique et politique que dans la vie privée et dans le développement personnel de l’individu». La famille qui passe par une crise due aux «bouleversements majeurs des schémas familiaux en Occident», bouleversements qui se répercutent sur notre société particulièrement perméable et qui se heurtent à nos valeurs traditionnelles. La famille qui est «lieu de soutien, de solidarité et d’épanouissement de l’individu, mais qui peut devenir un carcan, un lieu de contrainte et d’aliénation de la liberté individuelle». Nada Chaoul a, dans un premier temps, évoqué la déconstruction des piliers de la...
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