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Les Phéniciens dans la modernité ! - Les Libanais y sont-ils ?
Par PEYREFITTE ALAIN, le 12 avril 2001 à 00h00
Les Phéniciens eux-mêmes n’ont pas vraiment découvert le secret. Pourtant, ils ont les premiers – comme Renan l’avait bien vu – tourné le dos à leur terre et cherché à fonder leur prospérité collective sur l’échange. C’était là un comportement entièrement nouveau. À ce jour, il n’y a rien à retirer à l’analyse enthousiaste qu’en a faite Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l’Histoire. Il oppose l’audace confiante des Phéniciens aux constructions statiques des Babyloniens et des Égyptiens : «Chez les Phéniciens, nous rencontrons pour la première fois l’audace de naviguer sur mer, ainsi que l’industrie qui transforme de façons multiples, pour l’usage et l’ornement des hommes, les objets naturels». Hegel est plus pénétrant encore, quand il discerne, au fond de cette démarche neuve, un individu personnellement responsable : «À l’audacieux courage du navigateur, on doit reconnaître le principe que l’homme ne compte que sur lui-même, qu’il doit bâtir à partir de lui-même, que l’individu doit faire lui-même ce qu’il doit être». Voilà clairement l’«éthos» de l’autodétermination, en opposition à la détermination passive que subissent Babyloniens et Égyptiens – relation fataliste de dépendance. Pour Hegel, ces peuples «dépendent du sol ferme, ainsi que du cours des saisons et du soleil, qui détermine toute la subsistance de l’homme». Sécurité passive d’un côté, confiance active de l’autre : «L’âme courageuse des marins se confie à la chance, au hasard ; dans ce milieu qui n’a rien de solide, ils en sont réduits à leur intelligence, à leur vigilance... C’est là un principe bien autre que de tout recevoir d’une nature bienveillante». Sur les bords de l’Euphrate et du Nil, les sociétés humaines ont pu prospérer parce que la nature y était douce, «bienveillante», et elles y ont prospéré dans le respect craintif de cette nature nourricière. Les Phéniciens, eux, ont levé l’inhibition du respect. Ils ont découvert la fécondité infinie d’une émancipation par rapport à la nature : «Le respect de la nature disparaît devant la confiance spécifique de l’homme en lui-même et devant son intelligence qui sait dominer la nature». Hegel conclut, sur le ton exalté d’un panégyrique : «Toute la vie a comme base les arts de la navigation sur la mer périlleuse. Le courage de l’intelligence humaine – non le courage comme tel, mais l’audace de l’habilité personnelle – constitue dès lors de ce qu’il y a de plus haut». Cependant, Hegel n’a pas vu qu’il manquait quelque chose d’essentiel à la réussite novatrice des Phéniciens. Coureurs des mers, entreprenants et assimilateurs, ils ont bien fondé leur prospérité sur l’échange – mais sur l’échange à son niveau zéro, celui du troc. Les Phéniciens ont eu le génie de comprendre que le troc pouvait être source de plus grands profits si l’on diversifiait au maximum les produits, et si l’on échangeait entre sociétés qui ne donnaient pas la même valeur aux objets échangés. Al-Mina et Ougarit (au nord et au sud de l’embouchure de l’Oronte), Tyr et Sidon seront bien des cités-entrepôts de commerce entre Égéens et arrière-pays syrien ; tout comme les comptoirs africains, sardes ou ibériques permettront le contact avec des peuples, c’est-à-dire des besoins et des produits, jusqu’alors inconnus. Les Phéniciens resteront pourtant à côté de l’idée d’un marché créateur de prix. Ils ont inventé l’alphabet, mais ils n’ont pas inventé la frappe monétaire des métaux précieux.
Les Phéniciens eux-mêmes n’ont pas vraiment découvert le secret. Pourtant, ils ont les premiers – comme Renan l’avait bien vu – tourné le dos à leur terre et cherché à fonder leur prospérité collective sur l’échange. C’était là un comportement entièrement nouveau. À ce jour, il n’y a rien à retirer à l’analyse enthousiaste qu’en a faite Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l’Histoire. Il oppose l’audace confiante des Phéniciens aux constructions statiques des Babyloniens et des Égyptiens : «Chez les Phéniciens, nous rencontrons pour la première fois l’audace de naviguer sur mer, ainsi que l’industrie qui transforme de façons multiples, pour l’usage et l’ornement des hommes, les objets naturels». Hegel est plus pénétrant encore, quand il discerne, au fond de cette démarche...
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