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SOCIETE - Des statistiques officielles et officieuses contradictoires - Les jeunes dans l’enfer de la toxicomanie
Par EL-HAGE ANNE-MARIE, le 23 mars 2001 à 00h00
À l’heure où des sources policières officieuses évaluent à 17 % le nombre d’étudiants et à 6 % le nombre d’étudiantes qui s’adonnent à la drogue, la brigade des stupéfiants réfute cette estimation qu’elle trouve démesurée, ne rapportant, par ailleurs, que 500 arrestations annuelles de toxicomanes. À l’heure où l’unique centre de réhabilitation du pays prévoit d’accueillir en l’an 2001 autant de toxicomanes que durant les 11 dernières années, aucune statistique ne peut encore évaluer la population qui se drogue actuellement au Liban, vu l’absence d’études sur le terrain. Les seules statistiques fiables, publiées dernièrement, remontent à une étude réalisée en 1991 par l’Institut pour le diagnostic et la recherche appliquée à la clinique (Idrac), alors que les résultats d’une étude plus récente, réalisée en 1999 dans deux universités du pays, montrent un taux de dépendance de 2 % seulement. Des chiffres bien en deçà de ceux des sources officieuses qui accusent de puissantes mafias d’encourager, voire de protéger la consommation de la drogue. Selon l’interprétation du psychiatre Élie Karam, qui a dirigé les deux études, les résultats de l’enquête de 1991, menée auprès d’un échantillon de 1851 étudiants de l’Université américaine de Beyrouth et de l’Université Saint-Joseph, ont montré un taux de toxicomanie inférieur à 1,5 %, alors qu’une importante consommation de tranquillisants avait été constatée (10,2 %), et que la consommation d’alcool (49,4 %) et de tabac (18,3 %) se révélait préoccupante, la dépendance à l’alcool s’élevant déjà à 2,4 %. Quant aux chiffres de l’étude de 1999, qui n’ont pas encore été publiés, ils montrent un taux de dépendance de 2 % au cannabis (hachisch), à la cocaïne et à l’héroïne, et d’au moins 10 % à l’alcool. Certes, explique le psychiatre, qui dirige par ailleurs un centre de désintoxication à l’Hôpital Saint-Georges, ces données ne peuvent nous permettre de connaître la proportion de toxicomanes parmi l’ensemble de la population, chez les adolescents ou dans les autres universités. Et bien qu’il soit conscient de l’augmentation de la consommation de drogue au Liban, il qualifie d’exagérées et d’arbitraires les estimations officieuses de 17 % et de 6 %. Mais il ajoute que l’Idrac a été désigné par les Nations unies pour entreprendre une étude groupant un échantillon plus vaste, auprès des établissements secondaires, des universités, des centres de désintoxication et de réhabilitation et de la brigade des stupéfiants, afin de recueillir des données précises sur l’ampleur du problème dans le pays. Un problème qui peut toucher chaque enfant Au centre Saint-Charles de lutte contre la toxicomanie, créé par la Communauté européenne, le docteur Antoine Komair émet des réserves «quant aux statistiques qui vont dans le sens d’une minimisation d’un problème qui va grandissant», ajoutant que les chiffres officiels sont sous-estimés, car ils se situent en deçà des taux internationaux et qu’il est important de ne pas pratiquer la politique de l’autruche. Le neuropsychiatre parle ainsi de la nécessité d’adopter une attitude de prudence quant à l’utilisation des résultats des études, et de se fixer une limite dans leur exploitation, leur imputabilité et leur représentativité. ;Et d’expliquer que vu l’interdit et la peur qu’ont les personnes d’être attrapées ou renvoyées de l’université ou de leur emploi, les études se heurtent à une série d’obstacles, dont le mensonge, malgré les promesses d’anonymat. Il avance aussi que le taux de toxicomanie est de 50 % dans certaines universités, alors qu’il est très minime dans d’autres. C’est la raison pour laquelle il préconise un travail qualitatif plutôt qu’une approche statistique, car, dit-il, «la toxicomanie est un grave problème qui peut toucher chaque enfant. Et chaque personne atteinte constitue une entité à part qui mérite d’être sauvée». Une drogue disponible sur le marché libanais Quant aux raisons qui poussent les Libanais à s’adonner de plus en plus à la drogue, et de plus en plus jeunes, elles sont les mêmes que dans de nombreuses sociétés modernes, où les adolescents se regroupent, où les dealers sont présents et où le phénomène d’imitation est important, explique le docteur Élie Karam, à partir des résultats de l’étude. Sans oublier le stress, la violence, la disponibilité des stupéfiants sur le marché, vu l’absence de tout contrôle officiel, la culture et la production ayant repris impunément dans la Békaa. D’autant plus que la période entre l’âge de 18 et 25 ans, est considérée comme une période transitoire, au cours de laquelle le jeune adulte n’est plus sous contrôle parental direct. C’est l’âge propice à l’expérimentation, à l’essai par les jeunes d’un grand nombre de substances, qu’ils mélangent souvent, pour montrer leur refus de la société ou tout simplement pour se défouler. Ils fument ainsi le hachisch, inhalent la cocaïne ou l’héroïne, réputée très pure et bon marché, se les injectent même parfois et abusent d’antidépresseurs, de tranquillisants, d’analgésiques, d’amphétamines ou de médicaments à base de codéine...dont la vente est libre dans le pays. Certains se limitent à essayer, alors que d’autres sombrent dans la dépendance physique et psychique. Et plus la drogue est consommée tôt, plus les conséquences physiologiques et psychologiques risquent d’être graves, prévient le psychiatre. Et d’ajouter, par ailleurs, que la drogue existe dans tous les milieux, sans distinction, mais qu’elle est moins importante dans les milieux croyants et conservateurs. Quant au profil type du drogué, il est impossible à établir, explique le docteur Antoine Komair. Et pourtant, reprend-il, certains points communs ont été découverts parmi les toxicomanes. Généralement fumeurs, ils recherchent la satisfaction immédiate de leurs moindres désirs, comme s’il s’agissait de besoins. De plus, conclut-il, ils ont un réel problème avec l’autorité, plus spécifiquement dans les pays comme le Liban où toutes les drogues sont interdites. Car en se droguant, ils défient la loi et assument le risque de se retrouver en prison. Fermant parfois les yeux pour éviter les affres de la prison à une jeunesse déboussolée, au risque de la laisser s’enfoncer dans la dépendance, l’autorité se trouve dans l’embarras, vu la reprise de la culture et de la production de drogue dans la Békaa, et la libre circulation de celle-ci dans le pays. Une culture qui disparaîtra très bientôt, selon les propos du colonel Michel Chakkour, de la brigade des stupéfiants, mais qui risque entre- temps d’entraîner de nombreux adolescents vers la toxicomanie.
À l’heure où des sources policières officieuses évaluent à 17 % le nombre d’étudiants et à 6 % le nombre d’étudiantes qui s’adonnent à la drogue, la brigade des stupéfiants réfute cette estimation qu’elle trouve démesurée, ne rapportant, par ailleurs, que 500 arrestations annuelles de toxicomanes. À l’heure où l’unique centre de réhabilitation du pays prévoit d’accueillir en l’an 2001 autant de toxicomanes que durant les 11 dernières années, aucune statistique ne peut encore évaluer la population qui se drogue actuellement au Liban, vu l’absence d’études sur le terrain. Les seules statistiques fiables, publiées dernièrement, remontent à une étude réalisée en 1991 par l’Institut pour le diagnostic et la recherche appliquée à la clinique (Idrac), alors que les résultats d’une étude...