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Actualités - CHRONOLOGIES

SYNDICALISME - Le coup de force contre Élias Abou Rizk réussira-t-il aujourd’hui ? - La CGTL menacée par la gangrène confessionnelle

L’avenir de la CGTL est compromis. Prise entre l’enclume des convoitises politiques et confessionnelles et le marteau du mutisme officiel, la CGTL risque de s’effondrer, et avec elle un mouvement syndical au passé glorieux. Réunie le 21 février dernier, une majorité de membres du conseil exécutif de la CGTL, collège électoral de la centrale, a réclamé l’éviction du président de la CGTL Élias Abou Rizk et l’organisation de nouvelles élections du bureau exécutif de la centrale (12 membres) prévues pour aujourd’hui. Toutefois, la légalité de cette procédure est contestée par le président de la CGTL, qui assure que le collège électoral ne peut être convoqué que par son président et souligne que sa présidence ne saurait venir à échéance que de trois manières : à la fin de son mandat, soit dans trois ans, en cas de décès, ou en cas de démission. Le ministère du Travail a reconnu la validité de la convocation du collège électoral et a fixé la date de cette élection par une décision datée du 1er mars. Ce que ce coup de force préparé contre M. Abou Rizk révèle, c’est l’étendue de la politisation du mouvement syndical, qui est sur le point de perdre son indépendance et de tomber dans la mouvance du mouvement Amal. Le noyautage du mouvement syndical par le mouvement Amal date de l’accord de Taëf. Depuis cette date, les relations entre le ministère du Travail et la centrale syndicale n’ont cessé de se dégrader. Des syndicalistes interrogés assurent que le choix des ministres à ce portefeuille depuis que cet accord a été entériné n’est pas fortuit. Ils citent : Abdallah el-Amine, Assaad Hardane, Michel Moussa et dernièrement Ali Kanso. Dénominateur commun : une affinité certaine avec le mouvement Amal, soit à travers des liens politiques tissés au niveau du Liban-Sud d’où la majorité de ces ministres est issue, soit dans une communauté d’orientation politique. Cet état de choses a conduit à des différends chaque fois que la CGTL et notamment son actuel président, Élias Abou-Rizk, ont voulu contester les mots d’ordre du mouvement Amal. C’est au point qu’au ministère du Travail, M. Abou Rizk était devenu presque persona non grata. Des milieux syndicaux estiment que «la CGTL pouvant constituer un élément de perturbation sociale, on cherche en ce moment à la rendre complètement inopérante». À l’appui de cette conviction, ces milieux citent plus d’un exemple d’irrégularités commises lors de réunions ou d’élections, dénoncées par les responsables syndicaux, mais avalisées par le ministère du Travail. Premier exemple cité : lors d’une élection de la centrale syndicale, on avait aligné dans un des bureaux de vote treize urnes pour que les adhérents des treize syndicats concernés viennent y déposer leurs bulletins. Mais les treize formations concernées étaient des syndicats de pure forme et n’avaient donc point d’adhérents. Toutefois, au moment du vote, des listes électorales fictives ont été affichées et des électeurs, par ailleurs inconnus du mouvement ouvrier, sont venus voter. L’opération a été validée et on s’est retrouvé avec un noyau de 13 nouveaux syndicats totalement étrangers à la centrale syndicale. Deuxième exemple : il existe un syndicat comprenant un membre, son président et seul adhérent. Au moment où le mandat du président devait être renouvelé, ce syndicat en question s’est fait «prêter» des adhérents par un autre syndicat, au vu et au su du représentant du ministère du Travail. Mais cette ingérence dans les affaires de la centrale syndicale n’est pas chose nouvelle. Et les anciens du mouvement syndical rappellent que les traditionnelles bonnes relations entre les présidents successifs de la centrale et les régimes qui se sont succédé ont permis d’éviter au Liban des grèves dures à l’instar de ce qui se passait dans certains pays européens. Les seules exceptions ont été les grèves sectorielles des syndicats où la gauche était dominante et celles organisées par les planteurs de tabac. Les milieux précités considèrent que ces arrangements à l’amiable, qui ont permis au Liban d’échapper à une radicalisation du mouvement ouvrier, sont bien dans l’esprit libanais. Ce qui a changé Entre un passé syndical combatif et un présent effacé, beaucoup de choses ont changé, notent ces milieux qui soulignent que le contexte social reflète une démobilisation certaine. On n’est plus syndicaliste aujourd’hui comme on l’était dans les années 60 et 70. L’esprit a changé, la crise économique décourage les jeunes, qui ne croient plus au pouvoir de changement. Le principal facteur d’inhibition est politique. Et qui dit politique, dit prudence. Le secteur syndical, notent les mêmes milieux, est à son tour gagné par la vague confessionnelle. Il est convoité par la communauté chiite et plus particulièrement les dirigeants du mouvement Amal. «Cet esprit n’existait pas avant la guerre», commentent les milieux syndicaux. «Était président de syndicat celui qui était élu par ses confrères. Maintenant les choses ont littéralement changé. Les présidents des syndicats doivent refléter la confession des adhérents des différentes formations. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder d’un peu plus près les formations inscrites officiellement sur les registres de la centrale syndicale». D’après les sources précitées, «les 35 groupements syndicaux inscrits auprès de la CGTL sont fictifs dans leur majorité écrasante. Et les 13 % d’ouvriers et d’employés syndiqués aussi. Tous les chiffres sont gonflés. On vit un grand mensonge. Ce qui est en jeu ce n’est pas l’intérêt de la classe ouvrière mais la présidence de la centrale, même si elle n’est plus qu’une coquille vide. On est bien en face d’une grande opération de camouflage qui révèle une crise profonde portant sur la présence même d’un mouvement syndical véritablement représentatif du monde du travail». «Pour parvenir à ce changement, des responsables de certaines unions syndicales ont concédé au patronat des acquis salariaux conquis de haute lutte, assurent encore les mêmes milieux. Et pour les patrons, ce n’est pas la confession du président de la CGTL qui importe, ce qui est essentiel c’est que les syndicats ne bougent pas. Voyez un peu les résultats. Depuis de nombreuses années, les salaires dans le privé sont pratiquement gelés et la dernière tentative de grève de l’intersyndicale des employés des banques a lamentablement échoué, car le syndicat est désormais miné de l’intérieur». L’homme de toutes les contradictions Dans toute cette épreuve, il reste le rôle de l’actuel président de la CGTL, Élias Abou-Rizk. Adulé par les uns, honni par les autres, il reste l’homme de toutes les contradictions. Ses amis le respectent pour «son honnêteté et son courage», et ses détracteurs l’accusent d’être «un empêcheur de tourner en rond». Les premiers entendent le voir poursuivre son travail à la présidence de la centrale syndicale et les autres poursuivent contre lui une lutte acharnée pour l’obliger à partir. C’est actuellement le véritable enjeu de la vie syndicale. Précisions de certaines sources syndicales : «L’expérience de Ghanim Zoghbi, à la tête de la CGTL, a été significative, il n’a pas résisté , malgré le soutien que lui ont accordé des personnalités officielles. Il s’est résigné à partir par honnêteté personnelle. Il a très vite découvert que le prix qu’il aura à payer pour son accession à la tête de la centrale syndicale serait trop lourd. Et c’est en homme fidèle à ses convictions de syndicaliste honnête qu’il a préféré rentrer chez lui afin que ses années d’engagement ne puissent pas être ternies par des allégeances pour le moins compromettantes», expliquent ces sources. La candidature d’Abou Rizk aux législatives a divisé jusqu’à ses sympathisants. Certains ont considéré que cette candidature fragilisait sa campagne en faveur de la classe ouvrière et ont tout fait pour l’en dissuader. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir voulu se servir de la CGTL comme tremplin pour réussir en politique. Et la bataille qu’ils mènent actuellement contre lui est axée sur ce reproche. Les pions ont été placés et pour s’en convaincre il suffit de passer en revue la liste de tous ceux qui ont accédé ces deux dernières années soit à la présidence de certains syndicats ou unions, soit à des postes de responsabilité au sein même de l’organe exécutif de la CGTL. C’est pour cela que des fédérations et des syndicats fictifs ont été créés. On cherche à tout prix à prendre le contrôle de la CGTL. Toute la bataille se résume à cela. Si ce plan réussit, ce sera la fin du mouvement syndical tel qu’il existe dans les pays démocratiques. Louis HONEINÉ
L’avenir de la CGTL est compromis. Prise entre l’enclume des convoitises politiques et confessionnelles et le marteau du mutisme officiel, la CGTL risque de s’effondrer, et avec elle un mouvement syndical au passé glorieux. Réunie le 21 février dernier, une majorité de membres du conseil exécutif de la CGTL, collège électoral de la centrale, a réclamé l’éviction du...