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Actualités - BOOK REVIEWS

LIVRES - Un récit bouleversant sur quatre mois de captivité dans la jungle - Avec Marie Moarbès dans l’enfer de Jolo

Comment savoir ce qui nous attend dans la vie ? Vous partez un beau matin en vacances, vous embarquez pour une destination de rêve et, dès l’abord, vous êtes happé, impuissant, dans une spirale infernale, enlevé par des révolutionnaires, retenu en captivité en pleine jungle pendant quatre interminables mois, réduit à survivre dans des conditions quasi préhistoriques, métamorphosé en otage, c’est-à-dire en instrument d’échange, en chose. Un tel scénario paraît tiré d’une série télévisée américaine de second ordre. Pourtant, il n’a rien de fictif. Il a été vécu jour par jour, heure par heure, minute par minute par Marie Moarbès et ses compagnons d’infortune, dont les Libanais ont suivi, à travers les différents médias, locaux et étrangers, les péripéties de leur longue détention sur l’île de Jolo, aux Philippines. Aujourd’hui, Marie Moarbès, sans doute pour en exorciser les douloureuses séquelles, revient sur cette triste aventure. Son récit1, dense, charnu, nerveux, est poignant, bien que rédigé dans le langage le plus simple du monde, beaucoup plus parlé qu’écrit. C’est une relation très vivante, comme spontanée, directe, sur le ton de la confidence, mais soutenue par un frémissement, une vibration intérieure exprimant, mieux que les cris les plus déchirants, l’indignation, le désarroi, la souffrance d’une âme à jamais meurtrie, la détresse d’une jeune femme devant la cruauté des hommes et l’absurdité du destin, ce destin qui, selon François Mauriac, «quand nous voulons l’isoler, ressemble à ces plantes qu’il est impossible d’arracher avec toutes leurs racines». L’unité de ton et la précision du témoignage restituent parfaitement l’atmosphère de cette odyssée et son côté incompréhensible, injustifiable. Sans jamais verser dans la grandiloquence ou pleurnicher, au contraire même, recourant à l’humour pour se distancier de certaines scènes particulièrement pénibles, Marie Moarbès fait ressortir avec force l’aspect dangereux, sordide, insupportable de cette épreuve. On ne peut s’empêcher d’être ému, bouleversé à l’idée des périls auxquels ont été exposés les dix otages de Jolo, kidnappés par le groupe Abu Sayyaf. C’est peut-être cela le principal mérite de ce compte rendu qu’on lit d’une traite : une reconstitution captivante d’une terrible expérience vécue. Une nuit d’épouvante Marie Moarbès et ses neuf compagnons avaient quitté Paris à destination de Sipadan, une île en Malaisie reconnue comme étant le paradis des plongeurs sous-marins. Le lendemain même de leur arrivée, le 23 avril 2000, ils sont enlevés par des hommes armés de mitraillettes et de bazookas, des révolutionnaires islamistes philippins, qui les emmènent à Jolo. La traversée entre les deux îles dure vingt heures à bord d’embarcations vétustes, délabrées, prenant l’eau. Ces premières heures d’un calvaire qui durera si longtemps2 sont les plus dures. Marie Moarbès trouve les mots justes pour parler du dilemme devant lequel ses compagnons et elle-même se trouvent : risquer la mort en sautant du rafiot ou se résigner à subir la loi de leurs ravisseurs mystérieux et hostiles qui, comble de l’angoisse, ne leur fournissent aucune explication sur leurs intentions. Mais, déjà, le pire est à craindre. L’un des hommes tente de se livrer à des attouchements, contre lesquels Marie et l’une de ses compagnes doivent se défendre énergiquement. Marie Moarbès n’a pas peur des mots et appelle les choses crûment. Elle n’omet aucun détail sur le comportement de ces hommes grossiers au cours de cette nuit d’affres et d’épouvante. Mais à ce franc-parler succèdent des passages de dévotion fervente, telles ces prières que, du fond de son désespoir, Marie Moarbès adresse à la Vierge avec laquelle, dit-elle, elle a «toujours eu un dialogue particulier». Et cette alternance dans le ton, cette succession de descriptions réalistes et d’élans de piété ardente sont, dans leur originalité, leur fraîcheur, leur hardiesse l’une des caractéristiques et l’un des attraits du récit, reflétant mieux que l’analyse la plus poussée l’état d’esprit de la jeune captive et de ses compagnons. Les conditions de détention dans la jungle empirent à mesure que les jours passent. La faune est effrayante : moustiques, araignées, rats, mille-pattes, scorpions, serpents tiennent compagnie aux otages, qui subissent humiliation sur humiliation. Ils vivent dans l’incertitude totale et la frustration. Ils ignorent d’autant plus ce qui les attend que la communication avec leurs ravisseurs est difficile, ces derniers ne parlant, à part leur langue, que quelques mots d’anglais. Les heures les plus terribles sont celles où l’armée philippine bombarde le camp des rebelles. Les otages ne disposent d’aucun abri et pensent, à plus d’une reprise, que leur dernière heure est venue. Marie Moarbès et ses compagnons passent par des moments d’effondrement moral et physique complet. Son épuisement est tel, qu’elle se dit parfois qu’elle préférerait mourir plutôt que de subir plus longtemps ce martyre. La présence du père Mais dans l’enfer de Jolo, une voix et un message lui redonnent la force de se battre. C’est le moment magique où elle entend son père parler à la radio. Il s’adresse à elle, la rassure, l’encourage. «Je suis fier de toi», dit-il. Il est à Manille. De tous les parents des dix otages, il est le seul à avoir gagné la capitale des Philippines et il multiplie les démarches et élabore des plans pour sauver sa fille, son enfant unique. Il l’attend, il l’attendra quatre mois, jusqu’à la fin, jusqu’au dénouement. Il lui fera parvenir lettres, aliments, habits, tout ce qui peut adoucir sa souffrance. Alors Marie Moarbès se ressaisit et retrouve l’envie et la force de se battre. «Parfois, je ne sais plus où caser ma peur et où caser l’espoir ! Mon père, sa présence à Manille et ses lettres sont le soutien, la base, la fondation sur laquelle je repose et qui me fait tenir le coup», écrit-elle3. D’autres lettres de parents et d’amis, qui sont autant de témoignages d’affection et de solidarité, lui sont remises et lui remontent le moral. «Cette chaîne d’amour me bouleverse», note-t-elle4. L’aventure de Jolo a été vécue à deux niveaux : au fond, la faim, la soif, la peur, le désespoir et, par-dessus, comme porté par eux, la volonté de tenir, de se battre, de s’en sortir avec le moins de dégâts. Le 27 août, le grand jour, celui de la délivrance, arrive enfin. Marie Moarbès regagne Paris, après l’extravagant détour par la Libye, mais une partie de Jolo est partie avec elle, l’habite désormais. La longue, l’interminable épreuve lui a quand même servi, estime-t-elle. Elle lui a appris à mieux se connaître, à pénétrer dans les replis de son âme. Enfant unique à qui jamais rien n’avait été refusé par son père, elle a goûté à l’adversité, s’est colletée avec le destin, a trouvé la force de dominer le malheur et a découvert un sens à sa vie. Elle le dit en conclusion de son ouvrage avec des mots qui vont droit au cœur. Les dernières pages recèlent une charge affective bouleversante. À l’évocation de ses larmes, de sa joie, de son ivresse à retrouver la liberté et son père, on est saisi d’émotion. Une vraie leçon de vie. Marie, deux fois bravo. Pour ton courage à Jolo et pour ce récit inoubliable. 1-Mon père m’attendait à Manille, Éditions Robert Laffont, Paris, 249 pages, 129 francs. En librairie à Paris depuis le 5 mars. 2- 127 jours. 3- Page 136. 4- Page 137.
Comment savoir ce qui nous attend dans la vie ? Vous partez un beau matin en vacances, vous embarquez pour une destination de rêve et, dès l’abord, vous êtes happé, impuissant, dans une spirale infernale, enlevé par des révolutionnaires, retenu en captivité en pleine jungle pendant quatre interminables mois, réduit à survivre dans des conditions quasi préhistoriques, métamorphosé en otage, c’est-à-dire en instrument d’échange, en chose. Un tel scénario paraît tiré d’une série télévisée américaine de second ordre. Pourtant, il n’a rien de fictif. Il a été vécu jour par jour, heure par heure, minute par minute par Marie Moarbès et ses compagnons d’infortune, dont les Libanais ont suivi, à travers les différents médias, locaux et étrangers, les péripéties de leur longue détention sur l’île de...