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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le chef de l’État parle d’une démocratie à visage africain - Idriss Déby à « L’Orient-Le Jour » : Il faut que les Libanais contribuent, comme dans le passé, au développement du Tchad

Le président de la République tchadienne, Idriss Déby, est revenu avant-hier mercredi d’une visite-éclair. Et hier jeudi, avant de recevoir conjointement L’Orient-Le Jour et Télé-Liban (Le 9), il a enchaîné les entretiens bilatéraux avec les délégués étrangers, parmi lesquels figurait le ministre de la Culture Ghassan Salamé. «Le président est donc très fatigué, vous comprendrez qu’il ne puisse vous accorder plus de 5 ou 10 minutes», s’est excusé d’avance, très poliment, son directeur du protocole. Il n’empêche, c’est au bout de 27 minutes, et avec le sourire, que le général Idriss Déby s’est levé, après avoir répondu, parfois avec beaucoup de diplomatie, à nos questions. Un appel clair et net au retour des investisseurs – notamment libanais, et une analyse, surprenante, de la démocratie tchadienne. A visage africain… Monsieur le Président, notre première question concerne la relation entre le Tchad et le Liban. Et nous avons tous conscience des grands points communs entre les deux pays : le bilinguisme arabe-français, la coexistence islamo-chrétienne, la guerre civile aujourd’hui terminée… Et le prochain sommet de la francophonie se tiendra pour la première fois dans une capitale arabe, à Beyrouth ? Cela vous inspire quoi ? «Comme vous l’avez dit, le Tchad et le Liban ont des similitudes extraordinaires, et tous deux ont connu aussi à peu près les mêmes drames. Le Liban était un pays extrêmement développé, il a connu une guerre terrible, dont il commence à en sortir aujourd’hui. Entre le Tchad et le Liban, dans les années 70 et avant l’éclatement des deux pays, il y avait une coopération exemplaire. Dans le cadre culturel (ndlr : de nombreux jeunes Tchadiens suivaient à Beyrouth leur cursus universitaire), comme dans le secteur économique. Beaucoup de Libanais étaient là, des commerçants, des entrepreneurs, et un nombre considérable d’entre eux vivait ici et y possédait des biens. Malheureusement, la guerre a fait que tous les Libanais qui contribuaient au développement économique du Tchad sont partis. Mais nous observons depuis un certain temps un retour progressif des Libanais, des hommes d’affaires qui viennent s’installer ici et qui sont très entreprenants. C’est un point positif. Je pense que la tenue du IXe sommet de la francophonie à Beyrouth nous permettra de renouer avec votre pays dans le cadre du renforcement de la coopération, mais également de toucher la société civile très dynamique de votre pays : le Tchad a aujourd’hui des perspectives qui sont très bonnes, de grands espoirs de développement. Il faut que nos amis Libanais viennent contribuer, comme dans le passé, au développement du Tchad. Et la francophonie est une très grande famille vous savez, dans un monde où les frontières n’ont plus de barrières, l’homme est devenu une sorte de nomade, à la recherche du bien-être. J’ai même demandé à votre ministre de la Culture de m’organiser, en marge du sommet, une rencontre avec des hommes d’affaires et des entrepreneurs. Je vais vous raconter une petite histoire : dans les années 70, l’ambassadeur du Tchad en Égypte était un Libanais, Maroun Haïmari, le directeur général du protocole de votre pays. Et notre actuel consul honoraire à Beyrouth est Libanais. Et j’ai reçu, dernièrement, des hommes d’affaires libanais. L’engouement est donc réel. Et cela permettra de consolider les rapports afro-arabes, au sein de la francophonie, et les rencontres entre chefs d’État africains et arabes en marge du sommet sont nombreuses, et permettent de renforcer les échanges et la coopération. Voilà pourquoi, personnellement, je participerai au sommet de Beyrouth». De manière plus générale, pourrait-on dire que les relations libano-africaines ont quelquefois souffert de malentendus – de part et d’autre ? «Non je ne crois pas. L’histoire a prouvé que les Libanais sont, dans tous les pays africains, des gens très entreprenants. Malheureusement, lorsque les Libanais ont connu des problèmes, ce ne sont pas des problèmes qu’ils ont eux-mêmes générés, mais des problèmes internes aux pays. Vous savez très bien que dans des conditions d’instabilité ou de guerre, les investisseurs libanais s’en vont. C’est une chose tout à fait naturelle. Il n’y a pas, je vous assure, une incompréhension entre le continent noir et les Libanais». Comment se définit aujourd’hui la politique tchadienne par rapport à l’ancienne puissance coloniale, la France, et l’actuelle superpuissance, les États-Unis, à la lumière de la récente mainmise américaine fracassante sur les nouvelles découvertes pétrolières dans votre pays et le retrait d’Elf-Total-Fina ? «Ce n’est pas du tout un fait nouveau. Dans les années 88 – la reconstitution du consortium – Elf n’y était pas. Il y avait Exxon, Shell et une troisième compagnie qui, pour des raisons qui lui sont propres, s’est retirée en 1992. Elf est rentrée à sa place et y a pris les 20 %. Et si Elf s’est retirée à son tour, c’est uniquement parce qu’ils estiment que leurs intérêts économiques et financiers ne sont pas là. Je ne crois pas qu’il y ait une raison politique. Mais cela ne nous a pas empêchés de reconstruire le consortium et les travaux avancent. Il n’y a pas de guéguerre entre la France et les États-Unis. Les relations entre le Tchad et la France ne peuvent pas être effacées comme ça, c’est impossible. Et nous ne rejetons personne : les Américain viennent contribuer au développement du Tchad et ils sont les bienvenus, et d’autres sociétés sont tenues par des Français. Il n’y a ni exclusion ni exclusivité». Le Tchad est promis à un formidable essor économique. Quel est votre plan d’action afin de faire en sorte de l’accompagner de développements réels et d’une véritable infrastructure sur le terrain ? «Le Tchad ne pense pas que les ressources pétrolières résoudront tous les problèmes. C’est impossible. Nous sommes d’abord un pays à vocation agro-pastorale. C’est sur l’agriculture et l’élevage qu’est basée aujourd’hui notre économie et le pétrole vient s’ajouter à un tissu existant. Nos priorités sont très nombreuses : nous sommes un pays ruiné par la guerre, qui a pris du recul sur l’ensemble des secteurs, et un pays totalement enclavé, et où 80 % de la population sont ruraux. Il est bien clair que l’État doit arrêter des priorité et les nôtres vont à l’éducation, à la santé, au développement rural, à l’infrastructure et à l’environnement. Nous sommes le seul pays pétrolier au monde à avoir initié un papier juridique – donc une loi – sur l’utilisation des revenus du pétrole, et une répartition de ces ressources-là. C’est une loi consacrée par l’Assemblée nationale : 5 % des revenus pétroliers iront à la région productrice, 5 autres pour le fonctionnement de l’Administration, 10 % pour les générations futures et 80 % pour le développement économique – ce sont tous les secteurs que j’ai cités plus haut. Et pour garantir une transparence totale, nous avons initié une loi mettant en place un collège de surveillance composé de neuf personnes, appartenant en majorité à la société civile. Il faut que les ressources du pays servent à tous les Tchadiens (ndlr : la Banque mondiale ayant accusé N’Djamena de s’être servie de l’avance octroyée par les compagnies pétrolières pour acheter des armes)». Il y a quelque chose, au Tchad, d’atypique et de positif – du moins au sein de l’Afrique Noire. Nous avons remarqué une réelle liberté pour la presse, notamment de l’opposition, et également pour les hommes politiques membres de cette dernière. Que pouvez-vous, vous-même, faire encore pour aller encore plus loin dans la voie de la démocratie ? «La démocratie, il faut, pour qu’elle soit, qu’il y ait d’abord des conditions fortes. Il ne faut pas non plus oublier nos trente dernières années de régime monolithique. Ce qui n’a pas permis encore de libérer les énergies qui étaient dans un carcan, avec très peu d’air. Et libérer les énergies, c’est mettre sur pied une nouvelle société, plus libre, plus entreprenante, et qui s’inscrira évidemment dans le respect des lois du pays. La presse est un des éléments qui contribuent à l’ancrage de la démocratie. Si vous ficelez la presse, c’est fini, or c’est cela que nous voulons : l’ancrage de la démocratie dans notre pays. Mais une démocratie adaptée à notre culture, à nos us et coutumes, et qui n’aille pas à leur encontre. Et je peux vous dire aujourd’hui, sans trop me tromper, que sur le plan de la démocratie, nous sommes en avance sur beaucoup de pays. Et cela sans regarder à côté pour prendre exemple. Nous sommes des démocrates réels et nous voulons que notre société soit réellement démocratique, tout en respectant notre culture, nos mœurs. En Afrique, la solidarité est quelque chose d’extraordinaire, et qui prend sa source de notre culture. Si la démocratie devait détruire la solidarité… Il faut agencer pour que la démocratie ne soit pas à la base de la destruction de la cellule sociale. Nous sommes en accord avec nous-mêmes… La société civile contribue fortement dans l’ancrage de la démocratie et le gouvernement doit aider, faire en sorte que cette démocratie amène un plus à ce pays. Vous savez, on dit que c’est la disparition du bloc de l’Est et des pressions de l’extérieur qui ont fait que le démocratie a commencé à balbutier en Afrique. Moi je crois plutôt que ce sont des forces de l’intérieur, des Africains eux-mêmes, jeunes, femmes, hommes, vieillards, ils ont obligé les sociétés africaines à changer, et les dirigeants sont amenés à accepter la démocratie. Dans mon discours d’investiture du 4 décembre 1990, j’ai libéré le pays et j’ai dit : la démocratie plurielle ! Et les partis ont commencé à s’organiser».
Le président de la République tchadienne, Idriss Déby, est revenu avant-hier mercredi d’une visite-éclair. Et hier jeudi, avant de recevoir conjointement L’Orient-Le Jour et Télé-Liban (Le 9), il a enchaîné les entretiens bilatéraux avec les délégués étrangers, parmi lesquels figurait le ministre de la Culture Ghassan Salamé. «Le président est donc très fatigué, vous...