Rechercher
Rechercher

Actualités - BIOGRAPHIES

Décès - La mort du président Charles Hélou - Un fin lettré dans la tourmente de l’histoire -

«Mon seul regret est de n’avoir pas démissionné en octobre 1968», disait il y a quelque temps Charles Hélou. À l’époque, l’homme qui présidait aux destinées du Liban se heurtait à des pressions de plus en plus vives de la part des factions politiques et pressentait les dangers qui allaient bientôt engloutir le pays. N’ayant pas démissionné, il a dû assumer pour le restant de ses jours la responsabilité d’un événement majeur dans l’histoire contemporaine de la République, survenu un an plus tard. Ce développement, presque unanimement considéré aujourd’hui comme étant l’une des principales causes de la guerre libanaise, fut la signature de l’accord du Caire avec la Résistance palestinienne. À l’heure des bilans, quel sera le verdict de l’historien ? Maintiendra-t-il son regard sévère sur cette période trouble ou bien jugera-t-il injuste de continuer à accabler un homme éminemment modéré qui, après tout, ne fit que ce qu’il était raisonnablement en mesure de faire : prendre acte des divisions insurmontables des Libanais et tenter, avec succès, de retarder l’heure de l’explosion générale ? Mais Charles Hélou ne fut pas qu’un spectateur privilégié des mœurs politiques libanaises. Homme d’une grande culture, brillant avocat, diplomate chevronné, journaliste talentueux, il avait certes une formation et un caractère – et même, dira-t-on, un physique – qui l’inclinaient davantage vers le rôle de l’observateur éclairé plutôt que vers celui de l’acteur engagé. Pourtant, n’est-ce pas sous son mandat que fut menée la tentative la plus sérieuse d’épuration de l’Administration ? N’est-ce pas lui qui réussit, avec le concours d’hommes d’État comme Pierre Eddé, à rétablir la confiance dans le système bancaire libanais à la suite de la grave crise de l’Intra ? Et puis, surtout, ne parvint-il pas, lui qui devait coexister avec l’ombre omniprésente de Fouad Chéhab, à mater les velléités du Nahj et du Second bureau pour faire des élections législatives de 1968 le seul vrai scrutin démocratique que le Liban ait connu ? C’est que Charles Hélou était un homme à facettes multiples qui résumait en sa personne toutes les contradictions – c’est-à-dire les richesses – constitutives du caractère libanais. Il était né le 25 septembre 1913 à Beyrouth. Son père, Alexandre Hélou, un pharmacien connu de la capitale, avait obtenu de nombreuses médailles dans des expositions internationales en Europe. Sa mère, Marie Nahas, venait d’une famille damascène. Nouveau-né, il reçoit son prénom à la suite d’un tirage au sort entre les prénoms de trois officiers d’un navire français invités à la cérémonie de son baptême. Francophone éduqué par les pères jésuites, il achève ses études secondaires en 1929 avec un «Prix d’honneur» en philosophie. En 1934, il obtient une licence en droit de l’USJ et se fait inscrire au barreau. Deux ans auparavant, il avait fait ses premiers pas dans le journalisme, lorsqu’un député d’Alep, Nicolas Djandji, lui proposa de prendre en charge un journal alépin édité en français, L’Eclair du Nord. Étudiant en deuxième année de droit, Charles Hélou accepte volontiers l’offre et passe un an à Alep où il assumera les fonctions de rédacteur en chef de la publication. À son retour à Beyrouth, en 1933, Georges Naccache lui propose de se joindre à l’équipe de L’Orient. Il déclinera la proposition et se rapprochera plutôt de Michel Chiha avec lequel il fonde Le Jour qu’il dirigera jusqu’en 1946. À propos du journalisme, Hélou rappellera plus tard qu’il «mène à tout à condition d’en sortir» et ajoutera qu’il «mène à tout à condition d’y entrer». Après avoir été l’un des cinq fondateurs du parti Kataëb avec notamment Pierre Gemayel, en 1936, il entame véritablement sa carrière politique au Destour de Béchara el-Khoury, un parti favorable à l’abolition du mandat français, dont Le Jour est à l’époque le porte-parole. Représentant du Liban au Saint-Siège En 1946, il est nommé premier représentant du Liban auprès du Saint-Siège, un poste qu’il conservera jusqu’en 1949. Dans le même temps, il préside à Paris le Bureau interarabe de défense de la Palestine. En 1949, Béchara el-Khoury le nomme ministre de la Justice. Homme de principe, il n’hésitera pourtant pas à démissionner peu de temps après pour protester contre l’arrestation de Georges Naccache à la suite de son fameux article «Deux négations ne font pas une nation». Deux ans plus tard, il est élu député de Beyrouth puis devient ministre des Affaires étrangères. Sous le mandat de Camille Chamoun, on le retrouve ministre de la Justice et de la Santé en 1954-1955 puis ministre de l’information et de l’Éducation en 1958. Les événements de cette année-là le désolent, sa modération lui commande de demeurer à l’écart des troubles. Sous Fouad Chéhab, il occupe des postes importants. En 1962, il est notamment président du Conseil national du tourisme, avant de revenir au ministère de l’Éducation en 1964. Face au refus du général de renouveler son mandat, les chéhabistes, emmenés par Rachid Karamé, tentent de trouver un candidat qui leur permettra de garder la main haute sur les affaires du pays. Ce fut Charles Hélou. Quatrième président depuis l’Indépendance, il avait la particularité, par rapport à ses trois prédécesseurs, de ne pas être un chef de file politique. Très vite, il se heurta aux excès des chéhabistes et pava la voie à l’avènement du Helf tripartite (Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Raymond Eddé) en désignant avant les élections de 1968 un ministre de l’Intérieur neutre, Sleiman Frangié, qui lui succédera en 1970 à la présidence de la République. En même temps, il tente de briser l’étau du Second bureau, en nommant des civils à la tête de certains services de sécurité. «Le Second bureau ne cessait de m’affirmer qu’il était à mon service, mais en réalité il en référait à Fouad Chéhab», racontera-t-il à la fin de sa vie. Certes, pour mener à bien la réforme administrative qu’il a envisagée, il n’hésite pas parfois à recourir à des procédés quelque peu «pragmatiques». Ainsi, il prie Jean Baz, président du Conseil d’État, de lui préparer un texte bien «bouclé», susceptible d’empêcher tout fonctionnaire limogé de présenter un recours pour excès de pouvoir. Le décret fut «parfait» et l’un des premiers limogés fut ... Jean Baz. Sur l’accord du Caire qui donna les coudées franches aux Palestiniens, Charles Hélou s’expliquera par la suite, en soulignant que l’attitude de la composante mahométane du pays a été pour beaucoup dans sa conclusion. Il rappellera à ce sujet les fameuses réunions de Aramoun qui ont regroupé, autour du mufti Hassan Khaled, la quasi-totalité des personnalités musulmanes qui réclamaient, toutes, la liberté d’action pour les fedayine. Aux côtés de Malraux Dès la fin de son mandat, Charles Hélou fut approché par l’Association des parlementaires de langue française pour être membre d’honneur de cette organisation. Il n’y avait qu’un seul autre membre d’honneur, André Malraux. Deux ans plus tard, l’Association décida à l’unanimité de l’élire à sa présidence. Ce mandat lui fut renouvelé six fois. La francophonie fut en réalité l’affaire de sa vie et l’on imagine combien il aurait aimé rester en vie quelques mois de plus pour assister, enfin, à ce qui devait être pour lui un rêve, la tenue au Liban du sommet francophone. Pourtant, Charles Hélou n’était pas seulement francophone. Il était surtout pétri de culture française. Un jour, au cours d’une conférence, Pierre Benoît, l’auteur de La Châtelaine du Liban, cita un vers de l’Athalie de Racine. Hélou, assis au premier rang de l’assistance, lui donna la réplique en déclamant le vers suivant. Benoît enchaîna par le troisième vers et Hélou le quatrième. Et ainsi de suite jusqu’à la fin de la pièce. Rendant un hommage appuyé hier à l’ancien président, l’Agence nationale d’information (Ani, officielle) écrit : «Le président francophone est parti. Mais son souvenir restera dans la mémoire nationale celui du président d’un petit pays qui, un jour, s’arrêta devant les 40 “Immortels” de l’Académie française pour corriger une erreur du Larousse. Cela suffira pour faire sa fierté et celle de son pays, le Liban». Homme de cœur, Charles Hélou fut fondateur et président de l’amicale des Restaurants du cœur à partir de 1983 (27 restaurants gratuits pour les personnes âgées et les enfants nécessiteux). Il était également président d’honneur de Télé-Lumière-Liban, ainsi que de plusieurs œuvres caritatives et sociales. Tout récemment, il a légué sa bibliothèque au centre sportif du Collège Notre-Dame de Jamhour. Auteur de plusieurs ouvrages et articles, notamment dans L’Orient-Le Jour, il écrivit ses Mémoires dans les années quatre-vingt. Marié en 1952 à Nina Trad, l’une des premières femmes avocates du Liban et qui sera une brillante Première dame, Charles Hélou n’a pas eu d’enfant.
«Mon seul regret est de n’avoir pas démissionné en octobre 1968», disait il y a quelque temps Charles Hélou. À l’époque, l’homme qui présidait aux destinées du Liban se heurtait à des pressions de plus en plus vives de la part des factions politiques et pressentait les dangers qui allaient bientôt engloutir le pays. N’ayant pas démissionné, il a dû assumer pour le restant de...