Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

PORTRAITS DE PEINTRES Hussein Madi : Lire la nature et la transcrire en oeuvre d'art

Tout chez Madi est dans le regard. Scrutateur. Cet artiste polyvalent (peintre, dessinateur, sculpteur, graveur, céramiste et même photographe) décortique le monde, les êtres, mais surtout la nature qu’il observe inlassablement. De ce processus mental quasi permanent, il tire la substance profonde de ses œuvres. Le reste est affaire de don. Et de graphisme bilinéaire. L’homme est déroutant. Tout à la fois contemplatif et hédoniste, circonspect et sincère, brusque et néanmoins patient, Madi a assurément une personnalité marquée. Son travail est à son image. Basé sur un subtil équilibre de forces. Un agencement délicat entre formes et couleurs, structure et sensibilité. «La nature est la source de mon inspiration», dit ce natif de Chebaa, (un village du Liban-Sud) . «J’y puise les éléments de mes œuvres. Que je construis suivant le même agencement qu’un paysage. Par dévoilement d’un élément après l’autre». Il ne faut cependant pas prendre Hussein Madi pour un paysagiste. Loin s’en faut. Oiseaux, chevaux, taureaux, chats et chiens sont certes ses thèmes leitmotivs. Mais il les peint et les sculpte séparément. Ou les juxtapose. Sans jamais les placer dans une scène de genre. Pas de composition suggérant un mouvement chez Madi et cependant des formes éloquentes, expressives, fortes, tout en étant minimales. Dessin calligraphique Cela fait plus de trente ans qu’il puise inlassablement dans ce bestiaire, ainsi que dans les natures mortes et le nu féminin, son motif favori. Des sujets toujours les mêmes et cependant toujours renouvelés. Des figures qu’il représente de manière «calligraphique» par quelques coups de pinceau, traçant lignes courbes et lignes droites, se rejoignant en des points d’intersection, ou plutôt d’articulation. Car tout l’art de Hussein Madi repose sur sa maîtrise parfaite du dessin anatomique, dans le sens large du terme. Et par conséquent sur l'emboîtement harmonieux des lignes et des volumes. D’aucuns estiment que son art est très marqué par l’influence de Picasso. L’homme de lettres et ambassadeur Toufic Youssef Aouad lui trouvait – à juste titre – une ressemblance physique avec le grand peintre espagnol, dont les affiches d’expositions ornent les murs de sa cuisine. Ressemblance qu’il cultive par le port du béret ou certaines poses. «On a déjà dit que j’étais le Picasso de l’Orient», lance-t-il d’un ton faussement détaché. Deux ateliers Dans son atelier de la rue Makhoul, les tableaux envahissent les murs, les sculptures s’éparpillent un peu partout à même le sol, sur les tables, les étagères. Les esquisses, études, maquettes, plâtres, armatures jonchent la table de travail devant laquelle il est installé, le dos courbé sur son ouvrage. Une maquette de sculpture qu’il forge dans une plaque de métal et qu’il façonne par pliage en figure tridimensionnelle. À 150 mètres de là, dans son second atelier, qu’il a choisi pour «sa vue magnifique sur la mer», une toile inachevée attend le moment d’inspiration. «Je peux passer d’une sculpture à une peinture ou à une gravure au cours d’une même journée, au gré de mon humeur, d’une idée qui germe brusquement». Cette liberté dans le travail, Hussein Madi l’applique également dans ses rapports aux autres, dans sa façon de vivre. Il a enseigné durant quelques années, sans jamais accepter de donner des cours à des hommes. «Parce que je trouve que les femmes montrent une plus grande aptitude à apprendre, une plus grande soif de connaissances tandis que les hommes ici sont mégalomanes, imbus d’eux-mêmes. Ensuite parce que je préfère l’univers féminin, le contact, la présence, l’amitié des femmes…D’ailleurs, ajoute-t-il, je ne peins jamais de nus masculins, parce que je n’aime pas voir un corps d’homme». Que de chemin parcouru depuis ce jour, gravé dans sa mémoire, où vers l’âge de trois ou quatre ans «je me suis arrêté de jouer en tombant en arrêt sur un dessin de pomme crayonné sur un bout de papier», se souvient-il. Un déclic qui le mènera à choisir la voie de l’art. «Dans un pays et à une époque où l’artiste n’était pas reconnu et estimé». Il a cependant obtenu une reconnaissance du milieu artistique dès ses débuts, en décrochant le grand prix du Musée Sursock en 1965. Une fois son diplôme en arts plastiques de l’Alba en poche, Hussein Madi, part faire un petit tour en Europe et en Italie, la capitale de l’art. «J’étais alors caricaturiste au Kifah (l’ancien) et à L’illustration. Parti pour deux mois, mon séjour a duré 22 ans», dit-il. Il réside à Rome de 1964 à 1986. Il y fréquente le monde artistique et se fait connaître à travers des expositions dans plusieurs galeries de Rome, Milan, Vérone, mais aussi à Tokyo, à Bagdad ou à Alexandrie. «En Italie, j’avais ma vie, ma maison, mon travail, mais je ne supportais pas de rester à l’abri, alors que ma famille, mes parents subissaient la guerre. J’ai alors tout liquidé pour revenir au Liban. J’ai répondu à l’appel doux-amer de la tendresse, de l’attachement à la terre», dit-il poétiquement. «Il est vrai que j’ai choisi le lieu le plus difficile au moment le plus dur, mais je ne le regrette pas. Ici j’ai beaucoup développé mon travail. Surtout en sculpture». Un domaine difficile entre tous. «Parce que d’une part, un bon sculpteur doit être impérativement un bon dessinateur, pour bien reproduire les dimensions, et d’autre part, il doit avoir une vision tridimensionnelle. Enfin, il doit savoir choisir la matière adéquate au sujet». Pour Hussein Madi, il existe une logique de construction dans toute chose. Cette conception architecturale est le résultat d’une «lecture» méticuleuse des merveilles de la nature. Comme aussi du plus infime de ses éléments. «Je peux contempler, durant des heures, un brin d’herbe, le disséquer du regard. Cela me conduit d’une part au respect de la vie et du créateur et d’autre part à des découvertes permanentes qui font que la vie continue. Sinon on devient un mort-vivant. Alors que c’est le contraire que je recherche à travers mes œuvres». La postérité par l’art pour cet artiste dont le nom figure dans le Bénézit. «Je vis ma vie dans une honnêteté douloureuse à tel point que je ne travaille pas pour vivre mais pour laisser une trace de mon passage». Une trace belle, sensible et forte, à la clarté silencieuse…
Tout chez Madi est dans le regard. Scrutateur. Cet artiste polyvalent (peintre, dessinateur, sculpteur, graveur, céramiste et même photographe) décortique le monde, les êtres, mais surtout la nature qu’il observe inlassablement. De ce processus mental quasi permanent, il tire la substance profonde de ses œuvres. Le reste est affaire de don. Et de graphisme bilinéaire. L’homme est...