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Actualités - REPORTAGES

CONCERT ESTIVALES DE DEIR EL-KAMAR Henri Goraïb : un clavier habité de féerie ...

C’est en territoire conquis que Henri Goraïeb a donné ce premier concert des Estivales de Deïr el-Kamar dont il est originaire. Dans la grande cour intérieure de la mairie, généreusement éclairée et au ciel découvert tendu de jute laissant transparaître un croissant de lune argenté, le pianiste a fait résonner les partitions d’Isaac Albeniz, chantre d’une Espagne flamboyante et de Fréderic Chopin, le plus inspiré des poètes du clavier. Mais Henri Goraïeb a entamé son recital, en hommage à une grande dame, Mme Zalfa Chamoun, en égrenant quelques notes de Chopin comme la sagesse ou la tendresse d’une exergue au haut des pages d’un livre qu’on entreprend de lire. Ouverture en éclaboussants flots sonores avec la suite Espagnole n. 3 Sevilla où Albeniz, élève de Liszt et de la Schola Cantorum montre à travers une partition riche et brillante, un fier tempérament de prodigieux pianiste. Succèdent avec le même éclat mais une douceur toute différente Sous les palmiers et Seguidillas, pages éblouissantes, pleines de soleil et débordante de vie, construites sur des thèmes aux caractères opposés, reflétant avec émotion et panache toute la fougue et les beautés ibériques où pointent, dans le sillage des accords impétueux, l’accent des vieilles cantilènes mauresques… Continuent sur cette même lancée incandescente la pavane Capricho op 12 et la Serenade op 181 habitées d’une intense vitalité, d’une exaltation d’alchimiste en quête d’une extraordinaire magnétisme sonore. De ce folklore «musicalement purifié et moralement ennobli» pour reprendre les termes de Manuel de Falla, on passe à deux languides et vibrants tangos l’un en la min et l’autre en ré majeur. Un boléro op 71 n5 où affluent les souvenirs sur les touches d’un clavier littéralement emporté par les torrides accents de la fièvre de la poésie du pays de Garcia Lorca. Pour terminer ce cycle vivifiant et enflammé réservé à une terre où les regards de braise, le sang, les mantilles, les cris dans les arènes et les banderilles fusionnent avec le parfum de l’encens et des roses, Navarra la dernière œuvre d’Albeniz, demeurée inachevée et que Deodat de Severac a terminée. Les dernières notes éteintes sous les doigts du pianiste, nous viennent à l’esprit les propos de Debussy commentant l’œuvre de ce compositeur à l’inspiration si farouchement ibérique : «On retrouve là l’atmosphère de ces soirées d’Espagne qui sentent l’œillet et l’agardiente(l’eau de vie)»… La seconde partie est entièrement consacrée à Chopin. Mazurkas et polonaises interprétées de main de maître. Au gré des notes ont défilé les images de trois mazurkas(op 59n3, op63 n3, op33n2) et de trois polonaises (op40n1, op40n2, et op53 connue sous le nom d’Héroïque). On a tant dit sur Chopin, on a tant joué toujours les mêmes mazurkas, les mêmes polonaises… Mais ici, sous les doigts de Goraïeb, on retrouve l’œuvre du voyageur polonais à travers une lecture nouvelle, des sonorités insoupçonnées… On est brusquement tenté de citer Proust qui avait su si bien cerner en mots ces phrases au piano, volatiles et fuyantes comme de l’éther… Ces «phrases au long col sinueux et demesuré, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait su espérer qu’atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément-d’un retour plus prémédité, avec plus de précision comme sur un cristal qui résonnerait jusqu’à faire crier – vous frapper au cœur…» Mots ciselés sur mesure pour dire la beauté, l’évanescence, la force mystérieuse et la magnificence sonores de ces «mazoures» et de ces «polonaises» toutes deux vouées, dans leurs accords plaqués, leurs arpèges déliquescents, leurs sinuosités chromatiques, leurs harmoniques tourmentées à un détonnant et irrépressible sentiment nationaliste. Pris dans un creuset où se fondent le tempérament slave et l’esprit latin (Ah, ce long, tumultueux et nostalgique séjour à Paris) ces œuvres profondément romantiques sont bien l’essence et l’expression mêmes d’une terre «adorée»… Entre l’œillet des torréadors et le caméléa des romantiques, Henri Goraïeb a fait vivre au piano, avec faste et féerie sonores, les amours tapageuses, diffîrentes, ensoleillées ou mélancoliques, differemment voluptueuses de deux musiciens de race et de génie pour leurs pays respectifs. En bis, le pianiste a dédié à Mme Aimée Kettaneh présente aux premiers rangs, un passage d’Orphée et Eurydice. Passage admirable de simplicité et dont la douce mélodie a résonné comme une émotion mal contenue dans le firmament de Deïr el-Kamar livré aux innombrables gerbes de feux d’artifice de la St-Élie…
C’est en territoire conquis que Henri Goraïeb a donné ce premier concert des Estivales de Deïr el-Kamar dont il est originaire. Dans la grande cour intérieure de la mairie, généreusement éclairée et au ciel découvert tendu de jute laissant transparaître un croissant de lune argenté, le pianiste a fait résonner les partitions d’Isaac Albeniz, chantre d’une Espagne flamboyante et...