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FISCALITÉ - Pièce maîtresse de la réforme La TVA en dix questions
Par RIZK Sibylle, le 10 juillet 1999 à 00h00
La taxe sur la valeur ajoutée, ou TVA, est l’un des piliers du plan de redressement des finances publiques présenté par le gouvernement. Appelée à entrer en vigueur au 1er janvier 2001, elle se substituera progressivement aux taxes douanières qui représentent actuellement la moitié des recettes du Trésor et dont la réduction est inéluctable, dans la perspective de l’adhésion du Liban à l’Organisation mondiale du commerce et en application de l’accord d’association avec l’Union européenne. Autant dire que la réussite de la réforme est cruciale. Si elle fait quasiment l’unanimité dans les milieux économiques, les spécialistes s’interrogent toutefois sur les capacités de l’Administration à contrôler l’application de cette taxe, dont le paiement repose sur une base déclarative. Le gouvernement invoque de son côté la réussite de la réforme dans des pays à développement inférieur ou égal à celui du Liban et espère récolter dans un premier temps des recettes variant entre 3 à 5 % du PIB, grâce à la nouvelle taxe. 1 - Qu’est-ce que la TVA ? La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un impôt sur la consommation qui se calcule par un pourcentage appliqué au prix de vente. Ainsi, un produit qui vaut 1 000 LL hors taxe est vendu 1 100 LL si le taux de TVA est de dix pour cent. Dans le principe, il s’agit pour l’État de prélever une taxe à chaque étape de la transformation d’un produit dans le cycle économique. Autrement dit, chaque fois qu’un agent économique augmente la valeur d’un produit (du bois acheté brut à 1 000 LL par exemple est revendu après coupe à 2 000 LL), l’État taxe cette valeur ajoutée, qui correspond en gros à la marge brute de l’entreprise (chiffre d’affaires moins charges). La particularité de la TVA est qu’elle est payée en dernier ressort par le consommateur final, tandis que chaque intermédiaire du circuit économique est à la fois percepteur et contributeur. Cette taxe est juste dans la mesure où tous les consommateurs paient le même impôt, mais elle est injuste pour la même raison car riches et pauvres paient la même chose. Cette inégalité est compensée en général par une variation des taux en fonction des produits, ceux de luxe étant plus taxés que ceux de première nécessité. Son application est simple car la taxe est intégrée dans le prix de vente ; elle est donc relativement invisible. 2 - Comment s’applique-t-elle ? Pour comprendre le mécanisme, suivons l’itinéraire imaginaire simplifié d’un produit, du bois par exemple, qui serait importé par une entreprise libanaise et revendu à une usine qui fabrique des tables, celle-ci les vendant directement à des consommateurs sans intermédiaire. Étape 1 : À la frontière, l’importateur achète son bois pour une valeur brute de 1 000 LL. Étape 2 : L’importateur vend ce bois à l’usine de tables pour une valeur brute de 1 500 LL, à laquelle s’ajoute une TVA de 10 % par exemple, soit 150 LL. L’usine s’acquitte donc d’une facture de 1 650 LL. Étape 3 : L’usine vend au consommateur final une table pour une valeur brute de 2 500 LL, à laquelle s’ajoute une TVA de 250 LL, soit un prix TTC (toutes taxes comprises) de 2 750 LL. Chaque opération fait l’objet d’une facture détaillée qui précise les montants HT et les montants TTC, les sommes perçues au titre de la TVA étant imputées sur des comptes spécifiques. L’importateur a perçu 150 LL de TVA à l’étape 2 qu’il doit donc lui reverser lors d’une déclaration mensuelle ou trimestrielle. L’usine a versé 150 LL de TVA à l’étape 2 et a perçu 250 LL à l’étape 3. Elle doit donc verser à l’État, lors de sa déclaration, 250 - 150 = 100 LL. L’État a ainsi reçu 150 LL lors de la déclaration de l’importateur et 100 LL lors de celle de l’usine, soit 250 LL au total, payés, en fin de compte par le client final, chaque intermédiaire se contentant de faire transiter les sommes dues dans ses comptes. 3 – Quelle est l’utilité de cette réforme ? L’introduction de la TVA au Liban s’inscrit dans l’entreprise de réforme générale de la fiscalité libanaise entreprise par le gouvernement. Cette réforme a trois objectifs, explique M. Jihad Azour, conseiller du ministre des Finances : moderniser le cadre fiscal du pays, équilibrer le poids de la fiscalité directe et celui de la fiscalité indirecte et parvenir à une plus grande justice fiscale. Elle repose sur trois piliers : l’introduction d’un impôt général unifié sur le revenu, appelé à se substituer à la taxation différenciée des revenus, la réduction ou l’élimination d’une série de timbres fiscaux et taxes résiduelles ; la simplification des relations entre l’administration fiscale et le contribuable et enfin la mise en place de la TVA, appelée à devenir la principale taxe sur la consommation à partir de début 2001. Le but est de parvenir, à échéance de cinq ans, à un cadre fiscal moderne, à la constitution d’un code général des impôts et d’un système de contrôle et de collecte efficace. La pression fiscale représente aujourd’hui 13 % du PIB au Liban, l’ensemble des revenus de l’État étant de 16 % du PIB. Ce poids fiscal est faible par rapport à d’autres pays, et l’objectif est de parvenir à une fiscalité plus importante, qui reste modérée, aux alentours de 23 - 25% du PIB. 4 - Pourquoi introduire la TVA maintenant ? Dans le cadre des pourparlers pour la conclusion d’un accord de partenariat euro-méditerranéen et des négociations pour l’adhésion du Liban à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Liban s’apprête à réduire ses droits de douane qui représentent la moitié des revenus de l’État. Des recettes fiscales de substitution doivent donc être trouvées rapidement. L’accord EuroMed prévoit en effet d’éliminer les droits de douane sur la plupart des biens européens et d’accorder au Liban un accès privilégié au marché européen. Plus de 50 % des importations libanaises proviennent de l’Union européenne et, en 1998, les exportations du Liban vers l’UE ont représenté 200 millions de dollars tandis que les importations étaient de plus de trois milliards de dollars. La mise en place de la TVA est un élément essentiel pour la réussite des pourparlers avec Bruxelles qui a, en conséquence, accordé 5,3 millions de dollars au Liban pour financer le projet. Beyrouth bénéficiera en outre d’une aide technique du Fonds monétaire international. La nouvelle taxe devrait entrer en vigueur début 2001. De nombreux détails techniques restent encore à préciser et des études sont actuellement en cours pour compléter le programme. Dans un premier temps, les taxes douanières seront toutefois maintenues afin de pour protéger l’économie libanaise et elles seront abaissées progressivement. 5 - Les entreprises libanaises sont-elles prêtes à appliquer le système ? Simple dans son principe, la TVA nécessite des écritures comptables et une gestion de trésorerie que, par définition, seules les entreprises qui tiennent des comptes peuvent effectuer. La loi actuelle ne soumet obligatoirement au régime du bénéfice réel que les grandes entreprises qui peuvent, en principe, supporter les frais d’une telle procédure (tenue d’une comptabilité régulière et respect de maintes règles fiscales). Deux autres régimes fournissent une évaluation plus ou moins approximative des résultats de l’entreprise. Pour les sociétés soumises à l’impôt sur le bénéfice réel (sociétés de personnes et de capitaux à caractère commercial, les sociétés anonymes, les banques, les exportateurs et importateurs ; les commerçants de gros et de détail employant plus de quatre personnes…) et donc déjà astreintes à une comptabilité rigoureuse, le passage à la TVA ne devrait techniquement poser aucun problème. Les programmes informatiques utilisés, ou même les livres de comptes manuels, comportent tous des cases pour la TVA, inemployées jusque-là. Il suffira de les activer. La question devient plus délicate pour la deuxième catégorie d’entreprises ou d’activités économiques, soumises à l’impôt forfaitaire sur les bénéfices. Cet impôt représente un pourcentage du chiffre d’affaires qui varie en fonction de l’activité. La comptabilité des entreprises soumises à ce régime est donc très simplifiée, puisqu’il suffit de calculer les recettes et les dépenses. Cette catégorie, dans laquelle entrent nombre de professions libérales (médecins, ingénieurs, marchands de biens…), n’est pas équipée pour le passage à la TVA. Une formation appropriée sera nécessaire. Un troisième régime, celui du bénéfice estimé, s’applique aux entreprises qui ne tiennent aucun compte et pour lesquelles il revient au fisc d’estimer leur activité pour les taxer en conséquence. Il va sans dire que la TVA constituerait pour ces échoppes et autres boutiques un casse-tête sans nom. Une bonne part des petites activités devrait donc échapper dans un premier temps à la nouvelle taxe. 6- Qui y sera assujetti ? La définition des entreprises assujetties à la TVA ne devrait pas dépendre de leur répartition pour l’acquittement de l’impôt sur les bénéfices. Dans un premier temps, par souci d’efficacité, l’assiette fiscale sera réduite. Le choix sera déterminé par la taille de la société et la nature de certaines professions libérales. Seront notamment exclus, un certain nombre de petits métiers pour lesquels le coût de la collecte serait supérieur aux recettes de la TVA. Au total, en 2001, l’État espère récolter un montant équivalent à 3 à 5 % du PIB, soit 1 500 milliards de livres. Les droits de douane représentent actuellement le triple. 7 - Quelle sera la fréquence des déclarations ? Le temps passé à établir les factures et à déclarer la TVA représentera certainement un coût supplémentaire pour les entreprises. C’est pourquoi la fréquence des déclarations sera un point important de la réforme. Les déclarations mensuelles sont plus avantageuses pour l’État, mais il n’est pas exclu que le rythme soit plus lent dans une première étape, le temps que le système soit rodé. 8 - Quel taux sera appliqué ? Le souci de simplicité plaide pour un taux unique. Celui d’équité plaide pour au moins deux taux. Comment imaginer en effet que l’alcool et le pain soient imposés dans la même proportion ? Le gouvernement pourrait résoudre le problème en adoptant un taux unique, probablement de 10 %, en multipliant dans un premier temps les exonérations, notamment pour les biens de première nécessité. L’introduction de nouveaux taux pourra se faire par la suite. En France par exemple, le système de la TVA est d’une complexité extrême, car il est le fruit de dizaines d’années d’élaboration. Les entreprises y appliquent des taux différents, suivant les produits considérés. Il existe aussi des entreprises entièrement redevables de la TVA et des entreprises partiellement redevables, en fonction de leurs activités. Ainsi les banques paient-elles la TVA sur les commissions mais pas sur les intérêts. 9 - Comment contrôler l’application de la nouvelle taxe ? Le remplacement des taxes douanières par la TVA répond à des motivations économiques, mais il présente un risque. La taxe douanière est un impôt transactionnel, c’est-à-dire que l’achat ne peut se faire sans acquittement d’un droit. Le système est donc coercitif, car il est lié au mouvement de la marchandise. Il suffit, pour le faire respecter, d’une présence policière à la frontière. La TVA est en revanche un système déclaratif. Celui qui achète une marchandise à la frontière par exemple ne paie rien dans l’immédiat, mais inscrit dans ses comptes le montant de la TVA dont il devra s’acquitter plus tard, au moment où il fera sa déclaration. Or la paperasse et les déclarations fiscales ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, encore entrées dans les mœurs des Libanais. Les y amener sera donc un long processus. Il ne s’agit pas de difficulté technique mais de changement des mentalités. À cet égard, certains experts estiment qu’il aurait mieux valu achever le recensement des contribuables pour compléter la collecte de l’impôt sur le revenu, également payé sur base déclarative, avant d’introduire une nouvelle taxe. Le cumul des taxes accroîtrait la tentation de l’évasion fiscale à un moment ou l’État souhaite au contraire élargir l’assiette fiscale. À ces réserves, le gouvernement rétorque que les deux efforts – améliorer la collecte de l’impôt sur le revenu et introduire la TVA – vont de pair et que le Liban a autant les moyens de se doter de la TVA que nombre d’autres pays en voie de développement qui ont réussi la réforme avant lui. De plus, contrairement à l’impôt sur le revenu, la TVA a un système d’autorégulation : une sorte de cercle vertueux. En effet, le propre de la TVA est de se répercuter d’agent économique en agent économique jusqu’au consommateur final. À moins qu’il y ait collusion entre le fournisseur et le client, la facturation nécessite l’apparition de la TVA, chacun devant imputer dans ses comptes la part qui lui revient. En théorie, l’efficacité du système est redoutable, mais en pratique, l’exemple de l’Italie montre que le développement d’un immense secteur parallèle est possible. Un système astucieux de contrôle doit donc être mis en place en se concentrant surtout en début et en bout de chaîne. Le Liban étant un grand importateur, le cycle commence souvent à la frontière. Le recoupement avec les statistiques douanières devrait donc permettre aux contrôleurs de la TVA de suivre les marchandises. À l’autre extrémité, les contrôles devraient être institués au niveau du consommateur final. L’Italie a par exemple imposé au client de conserver son ticket de caisse après ses achats afin de vérifier qu’il s’est acquitté de la taxe. En cas contraire, il était contraint de la verser sur-le-champ. Les clients étaient ainsi incités à réclamer des factures, ce qui obligeait les commerçants à les établir. Le contrôle direct des caisses enregistreuses est un autre moyen de concentrer les efforts sur l’extrémité du circuit économique. 10 – Comment est accueillie la réforme ? Gérard Zovighian, associé gérant du bureau d’audit et d’expertise comptable international BDO. «La TVA est fondamentale pour notre pays qui se dit libéral, mais qui ne l’est pas, car la douane est l’antithèse du libéralisme. La réforme est inéluctable, il faut donc se donner les moyens pour qu’elle réussisse en instaurant des contrôles efficaces, particulièrement en aval, au niveau du consommateur final. Un effort de communication est en outre absolument nécessaire de la part du gouvernement, tout comme un dialogue avec les associations et les syndicats des métiers concernés». Samir Nasr, PDG du bureau de consultants ECE «La TVA est mondialement reconnue comme la taxe la plus fiable et la plus efficace. C’est un impôt qui touche vraiment la valeur ajoutée et ne taxe pas un même produit plusieurs fois. De plus il s’agit d’un impôt totalement contrôlable, car d’une certaine façon, commerçants, entreprises… deviennent tous des agents du fisc. En inscrivant la TVA sur leurs factures, ils deviennent des collecteurs pour le compte de l’État». Georges et Joëlle Moughanni, auditeurs «En France, la TVA représente à elle seule 45 % des recettes fiscales. C’est une manne pour l’État. Le système ne sera jamais sûr à 100 %. Même en Europe il ne l’est pas, mais il s’agit d’une telle source de revenus pour l’État qu’il faut faire cette réforme. Le problème est d’éviter la fraude, il faut donc effectuer un travail de réglementation des factures, des documents de vente et instaurer des contrôles». Joe Issa el-Koury, PDG de The Investment House «Il y a deux formes de taxes sur la consommation, la TVA, ou la sales tax, notamment pratiquée aux États-Unis. J’aurais préféré l’adoption de cette dernière, car elle est d’application plus facile, les contrôles ne s’effectuant qu’en fin de circuit économique, alors que la TVA doit être contrôlée à chaque échelon. À cette réserve près, je crois que l’objectif final est le même : la tendance est de taxer la consommation plutôt que la production afin d’encourager celle-ci. Le principal obstacle est d’ordre administratif, et il faudra créer une nouvelle culture au sein des entreprises».
La taxe sur la valeur ajoutée, ou TVA, est l’un des piliers du plan de redressement des finances publiques présenté par le gouvernement. Appelée à entrer en vigueur au 1er janvier 2001, elle se substituera progressivement aux taxes douanières qui représentent actuellement la moitié des recettes du Trésor et dont la réduction est inéluctable, dans la perspective de l’adhésion du...
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