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Actualités - REPORTAGES

ÉVASION - La mer si proche et pourtant quasi inaccessible À l'assaut de Dbayé et Aïn-Mreissé

La Méditerranée borde le Liban sur 220 kilomètres. Toute bleue, toute belle, elle devrait être accessible à tous. Partout sur la côte de Beyrouth et de sa banlieue-sud et nord, on devrait pouvoir se promener les pieds dans le sable blond et les cheveux au vent. La mer est à deux pas, offerte à tous. Mais ce cliché n’attire même plus les touristes. Pour les Beyrouthins et les banlieusards, il n’existe que deux endroits aménagés pour les promenades au bord de la mer. La corniche de Aïn-Mreissé, aussi vieille que le mandat français et, plus récente encore, la Marina de Dbayé. Les seuls havres où les habitants de la ville peuvent oublier les séquelles du béton en se concentrant, au loin, sur un horizon bleu. Été comme hiver, ces promenades forment l’unique échappatoire pour des Méditerranéens vivant dans une capitale sise au bord de la mer mais rongée par la construction. Entassés dans leurs appartements, emprisonnés dans leurs voitures, contraints de faire des heures supplémentaires, ils attendent le moment de la promenade. Vive donc le vent marin, les sports de plein air et parfois les rencontres. À six heures du matin, à Aïn-Mreissé, ce sont les Beyrouthins qui font leur jogging ou leur marche quotidienne. Après minuit, à la Marina de Dbayé, ce sont les amoureux qui se rencontrent au bord de la mer. En fin d’après-midi et en début de soirée, ce sont les habitants de Beyrouth et de sa banlieue qui vont en promenade au bord de la mer. Ils sont seuls, en famille ou en couple. Parfois ils sont accompagnés d’animaux domestiques, de bicyclettes ou de rollers. Avenue des Français, dix-huit heures. De jeunes adolescents font du roller, tandis que certains plus âgés s’adonnent à leur passe-temps favori, la pêche. D’autres encore font du jogging ou se promènent nonchalants sous le regard des marchands de galette, de fèves, de sodas et de billets de loterie. La plupart des promeneurs habitent les alentours de Beyrouth, notamment Sin el-Fil, Dora et la banlieue-sud. Munis d’une longue canne, les pêcheurs sont originaires de la banlieue-sud. Akram, par exemple, vient deux jours par semaine à Aïn-Mreissé. Il est accompagné de ses deux enfants, Ahmed (7 ans) et Ibrahim (4 ans), qui attendent avec impatience ces quelques heures par semaine. Ils arrivent à moto avec leur père et restent avec leurs cousins. Najed et Mirvat promènent leur fils Hussein âgé d’un an. Ils habitent Bourj-Brajné et estiment que Aïn-Mreissé constitue leur seule échappatoire, mis à part leurs week-ends passés au Liban-Sud. «On marche tranquillement sans rien acheter, d’ailleurs on n’aime pas les marchants de galettes», soulignent-ils. Un couple qui habite Sin el-Fil se promène trois fois par semaine à Aïn-Mreissé. Il fait le trajet pour passer une demi-heure face à la mer. «Ici, la mer semble plus proche, à Dbayé par contre on sent que le site n’est pas naturel», disent-ils. Raji (12 ans) et son voisin Ghassan (14 ans) viennent de Bourj Abi-Haïdar en taxi-service. Depuis que l’école est finie, ils sont là tous les jours à s’entraîner aux rollers. Rencontres à rollers Gabriel a quatre ans. Il porte un T-shirt rouge et des lunettes de soleil et vient d’arriver des États-Unis. Il se promène avec son grand-père, qui habite Ras-Beyrouth et qui n’aime plus Aïn-Mreissé «enlaidie par la construction et bondée», indique-t-il. «Généralement, je marche dans les jardins de l’AUB, mais aujourd’hui je suis là pour Gabriel», dit-il. En effet, Gabriel, qui a visité le Liban l’année dernière, se souvient de l’Avenue des Français et c’est lui-même qui a demandé à son grand-père d’y revenir. À la Marina de Dbayé, un couple marié depuis 51 ans est assis sur des chaises pliantes. Hala et Mokhtar vivent à «Karakol el-Druze». Ils discutent avec leurs deux petits-enfants Yehia et Tareck. C’est la première fois qu’ils viennent à la Marina. Leur fils, Ziad, et sa femme Joumana les ont encouragés à visiter Dbayé. Pour Hala ; «mis à part les quelques heures matinales, Aïn-Mreissé est infréquentable». «Avant la guerre, dit-elle, on se promenait tous les jours à Aïn-Mreissé, maintenant tout a changé». Ses petits-fils, Yehia et Tareck, préfèrent eux aussi Dbayé car ils peuvent louer des bicyclettes sur place. Leurs parents (Joumana et Ziad), qui habitent Mar Elias, se rendent à Dbayé «au moins quatre fois par semaine malgré les embouteillages», note Ziad. «Parfois la nuit, en amoureux sans les enfants», indique Joumana. En effet, les amoureux sont beaucoup plus nombreux à la Marina de Dbayé qu’à Aïn-Mreissé. Grâce et Bassem habitent Achrafieh. Enlacés, ils regardent le coucher du soleil. «Bien que Aïn Mreissé soit plus proche d’Achrafieh, nous préférons Dbayé car on se sent plus libre, on a l’impression d’être seuls au monde», souligne Grâce. «Et puis, sur l’Avenue des Français, il y a beaucoup trop de marchands de galettes», note Bassem. Généralement, les couples arrivent à la Marina et s’assoient face à la mer. Ceux qui ne sont pas assis sur la jetée font du sport. Ils viennent seuls ou avec des amis. Rabih, qui habite Jal el-Dib, passe trois heures quotidiennes à la Marina. Trois heures qu’il divise entre bicyclette, jogging, aérobics, et push-up. Il est là même en hiver. D’autres, plus nombreux, se contentent d’un seul sport pratiqué durant une heure. Beaucoup profitent de la Marina de Dbayé, pour flâner en promenant des animaux domestiques. Les dobermans, les bergers allemands, les yorkshires et les pékinois défilent avec leurs maîtres. Ronnie, qui habite Antélias, a arrêté de promener son chien à l’ATCL depuis un an et demi. «Tous les jours de 19 à 20 heures trente je suis ici, c’est un agréable exercice pour nous deux», dit-il. Les plus jeunes, notamment les adolescents, profitent de la Marina pour faire des rencontres. Patricia, brune aux yeux noirs et perchée sur ses rollers, indique : «J’ai raté ma seconde à cause de la Marina». «Depuis le printemps, je suis ici tous les soirs», poursuit-elle en notant que «c’est grâce à la Marina que je reçois tous les soirs plus de six coups de fil». Trois autres adolescents, Joseph, Karim et Raja fréquentent, eux aussi, la Marina tous les jours «depuis que Raja a son permis de conduire». Que faisaient-ils avant leur promenade quotidienne au bord de la mer ? «On restait dans les fast-foods», disent-ils. D’autres également ont changé leurs habitudes grâce à la Marina. Pierre, trente ans, est prof de piano. Depuis six semaines, il s’initie au roller. «C’est agréable, et c’est ainsi que j’ai le plus de chance de faire des rencontres», souligne-t-il. Sa phrase amuse Charbel, dit «coatch Maiden». Depuis le printemps, ce dernier dispense des cours de rollers à la Marina de Dbayé à 20 dollars l’heure. Il y a beaucoup de personnes intéressées, notamment des filles. Est-ce que l’une d’elles a déjà essayé de le draguer ? Charbel sourit et répond par une question : «L’une ?…». C’est l’été, les promenades au bord de la mer sont agréables et, sur les rollers, on a l’impression d’avoir des ailes…
La Méditerranée borde le Liban sur 220 kilomètres. Toute bleue, toute belle, elle devrait être accessible à tous. Partout sur la côte de Beyrouth et de sa banlieue-sud et nord, on devrait pouvoir se promener les pieds dans le sable blond et les cheveux au vent. La mer est à deux pas, offerte à tous. Mais ce cliché n’attire même plus les touristes. Pour les Beyrouthins et les...