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CONSOMMATION - Un métier qui se transmet de père en fils Le bazar du vieux Beyrouth
Par KHODER Patricia, le 07 juillet 1999 à 00h00
Herbes aromatiques, huiles naturelles, colorants, encens, glu, outils de jardinage, matériel de pêche, cruches, lampes à mazout, balais, gris-gris, aliments pour volailles, clés et serrures, souricières… l’énumération ressemble étrangement au célèbre poème de Prévert. Sauf s’il y manque un raton laveur. Les bazars de Beyrouth, en terme arabe «dabbous», recèlent toutes sortes de produits. C’est ici et nulle part ailleurs que l’on trouve l’introuvable. Avant d’élire domicile dans divers quartiers de Beyrouth, les propriétaires de bazar avaient leur souk propre dans le vieux centre-ville de la capitale. «Le souk al-attarine» (souk des parfumeurs), connu aussi sous le nom de souk Abou Nasr, non loin de l’actuel immeuble des Pères Lazaristes. Être marchand d’épices est un métier qui se transmet de père en fils. Un savoir-faire qui passe d’une génération à une autre. D’où la différence entre un vrai marchand et un faux. Un vrai marchand, par exemple, est entre autres le fournisseur des pharmacies en matières premières pour la fabrication des médicaments de synthèse. Il assure également aux pêcheurs et aux agriculteurs toutes sortes de matériel (cordages, grillages, appâts…). Parfois il peut remplacer le médecin en prescrivant lui-même des médicaments aux personnes malades. Beaucoup de personnes fréquentent encore les bazars à Beyrouth. Il y a les pharmaciens, les jardiniers, les pêcheurs, les artisans, les maîtresses de maison… Il y a aussi les sorciers, «ceux qui parlent avec le djinn», et les voyants ou leurs clients qui achètent leurs matières essentielles à la fabrication de produits nécessaires aux envoûtements. D’autres, sans le conseil d’une voyante, viennent acheter des produits spécifiques, généralement de l’encens, pour régler des problèmes domestiques ou pour conjurer le sort. Les produits vendus à Beyrouth sont en provenance des quatre coins du monde. L’encens et différentes huiles sont importés d’Asie, notamment l’Inde et le Pakistan. La plupart des herbes aromatiques viennent de Syrie, de Jordanie et d’Arabie séoudite. Les essences de parfum sont françaises et espagnoles. Remplacer le médecin «Le vrai dabbous», ayant pour propriétaire MM. Bassam et Oussama Mneimné, a élu domicile à Bourj Abi Haïdar. Ici, des cruches côtoient des lampes à mazout, des bouchons en liège, du miel, des hamacs, des paillettes, des cafetières, des braseros, de l’encens, des serrures, des sacs d’herbes aromatiques. Le bazar recèle également tout le matériel nécessaire à la construction, tel que le ciment et la peinture… M. Oussama Mneimné indique que «dans la droguerie, on trouve des matières que l’on ne peut pas trouver ailleurs». Et de souligner : «Nous vendons en gros et en détail ; le client peut acheter cinquante grammes ou cinquante kilos d’un produit». «Ma clientèle est très variée. Ainsi, le cuisinier, la maîtresse de maison peuvent acheter le même produit : des colorants alimentaires naturels», ajoute-t-il. En effet, il vend tout genre de colorants pour les aliments, les vêtements, les meubles… Souvent, les mêmes matières sont utilisées à des fins différentes. Les éponges naturelles par exemple sont employées pour nettoyer la peau et aussi comme matériel pour astiquer les meubles. Les matières essentielles à la fabrication des produits de soin ou de beauté comme des crèmes pour la peau, des parfums et des masques pour cheveux sont également en vente dans les drogueries. Dans ce domaine, on peut trouver des huiles d’amande douce, de noix de coco ou de ricin, de la lavande, du musc, de l’ambre. «Certains clients achètent des essences pour fabriquer leur propre parfum», indique M. Mneimné. «Souvent on reconnaît les maux d’un client à sa liste d’achat», ajoute-t-il. L’encens est souvent brûlé pour résoudre des problèmes d’ordre domestique. Le mercure est utilisé pour les envoûtements, tandis que certains produits sont consommés pour renforcer la fécondité. «Ce genre de client suit le conseil de ses amis, ses voisins, le cheikh ou le sorcier», note M. Mneimné. Cheikh Dabbous, propriétaire d’un bazar à Bourj Abi Haïdar appelé tout simplement «Dabbous», a hérité du savoir-faire de son père. Dans quelques années, il cèdera son fonds de commerce à son fils Zahi, étudiant en gestion à l’USJ. Cheikh Dabbous a «passé quinze ans en Inde où il a appris le yoga, l’hypnotisme et les ficelles du métier», dit-il. La plupart des produits aromatiques en vente chez lui sont en provenance de l’Asie de l’Est. Il vend ces divers produits aux pharmaciens et aux particuliers. «Durant la guerre, raconte-t-il, beaucoup de personnes n’avaient plus les moyens d’aller consulter le médecin». Lui, qui a appris la médecine chinoise, a aidé à sa manière ses concitoyens. Ainsi, il fabrique des médicaments et les cède à des prix imbattables aux personnes qui viennent le voir. «Si je ne suis pas sûr de la guérison de la personne concernée, je ne prescris pas le remède», note cheikh Dabbous. «Parfois, ajoute-t-il, les gens viennent me voir en dernier recours, après avoir fait le tour des médecins de la ville». Comment fait-il ? «Je comprends tout de suite ce dont souffre une personne», dit-il. Mis à part ses dons de clairvoyance, cheikh Dabbous vend tous les articles disponibles dans un bazar qui se respecte, notamment des produits cosmétiques naturels, des outils de jardinage, des détergents… Quand son fils prendra la relève, il privilégiera les dépôts de vente en gros au petit bazar de la capitale. Dommage…
Herbes aromatiques, huiles naturelles, colorants, encens, glu, outils de jardinage, matériel de pêche, cruches, lampes à mazout, balais, gris-gris, aliments pour volailles, clés et serrures, souricières… l’énumération ressemble étrangement au célèbre poème de Prévert. Sauf s’il y manque un raton laveur. Les bazars de Beyrouth, en terme arabe «dabbous», recèlent toutes sortes...
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