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Actualités - REPORTAGES

L'"industrie bleue" , entre potentiel réel et espoirs disproportionnés

Comme nous le précise la fable, c’est «pour subsister jusqu’à la saison nouvelle...». Ce constat est régulièrement repris par les dirigeants libanais, pour nous promettre une éclaircie économique pour la saison estivale prochaine. L’année 1999 n’a pas fait exception, et un fort retour de croissance nous est projeté pour les trois mois qui viennent. Pour tous, le tourisme et l’ensemble des activités annexes qui l’accompagnent constituent un élément certain pour la prospérité économique du pays. D’ailleurs, et dans le cadre des recherches pour la détermination des secteurs économiques viables, «l’industrie bleue» vient en tête des branches retenues. Cet optimisme est principalement lié aux nombreux atouts dont dispose le Liban dans ce domaine et qui étaient largement exploités dans les années 60 et 70, avant de s’écrouler entre 1975 et 1990 sous les effets de la profonde crise politique. Le retour au calme est supposé ramener cette prospérité. Les plus nostalgiques y voient une conséquence normale de l’arrêt des combats, alors que les pessimistes estiment que le secteur a perdu une grande partie de ses avantages comparatifs, et que si redressement il y a, il ne se fera qu’à très long terme et exigera efforts et investissements. Pour eux, les défaillances sont multiples et résulteraient aussi bien des prix non-compétitifs de cette industrie, que de la dégradation de l’environnement écologique, en passant par l’intensification de la concurrence régionale et internationale, sans oublier la dégradation des services touristiques offerts et la transformation des besoins dans ce domaine. En fait, le Liban continue de bénéficier de toute une série d’atouts nécessaires, mais pas obligatoirement suffisants, pour en faire essentiellement un pays à vocation touristique. D’ailleurs, certains atouts naturels ou de patrimoine se sont fortement dégradés et sont loin de constituer à eux seuls un avantage majeur décisif. Géographie favorable et ressources humaines de qualité Les défenseurs du tout-tourisme au Liban mettent en avant ces avantages géographiques. En premier, ils citent sa position privilégiée le situant à 3 ou 4 heures de vol des principales capitales européennes et à une ou deux heures des capitales arabes. Ils évoquent ensuite une nature belle et riche par sa diversité, que lui confère son identité montagneuse. On mentionne aussi un climat méditerranéen tempéré, offrant 300 jours d’ensoleillement par an et la possibilité de s’adonner aux multiples activités sportives et aux plaisirs de plein air durant les quatre saisons de l’année. Sans oublier une richesse archéologique sans pareille dans un petit territoire de 10 452 km2. Enfin, on met en avant l’existence, au Liban, du seul domaine skiable du Moyen-Orient. En plus de cette richesse naturelle, le Liban dispose d’un autre atout majeur : la qualité de ses hommes. D’emblée, les défenseurs du tourisme libanais admettent une certaine dégradation du service touristique libanais, mais insistent sur le fait qu’il reste nettement meilleur que ceux offerts par les pays voisins. D’ailleurs, il serait quelque peu injuste de ne voir que le côté «régressif» des ressources humaines, car d’autres technicités et d’autres services ont été développés. Ils confèrent au tourisme libanais de nouveaux avantages comparatifs plus modernes et plus prometteurs. Les déplacements externes massifs des agents économiques libanais ont certes fait perdre au secteur touristique une grande partie de ses ressources humaines, mais d’un autre côté, ils ont permis aux Libanais d’être en contact avec de nouvelles formes de tourisme de loisir et de culture qui faisaient défaut. Ils ont été aussi à l’origine de la collaboration observée entre les professionnels internationaux et les opérateurs libanais. Dans l’hôtellerie ou la restauration, les noms les plus prestigieux de la planète se déclinent aussi à Beyrouth. Restructuration touristique Jusqu’au début des années 70, le tourisme était réservé à une minorité. Le Liban était relativement privilégié aussi bien pour l’accueil des étrangers, y compris ceux des pays arabes, que pour sa propre population, notamment citadine. En effet, nombreux étaient les ménages libanais qui quittaient les villes côtières, et plus particulièrement la capitale, pour passer les vacances d’été à la montagne et, beaucoup plus rarement, à la plage. À côté de son tourisme interne, le Liban développait surtout un tourisme régional et international et devenait ainsi le principal pays récepteur du tourisme régional. À cet effet, le pays s’était doté d’une infrastructure touristique performante. Cette activité bénéficiait aussi d’une forte stabilité politique dans une région fragilisée par une effervescence post-indépendance et encore sous le choc des premiers conflits avec le nouvel État d’Israël. Le Liban accueillait les principales compagnies étrangères et était le lieu de rendez-vous d’affaires du Moyen-Orient arabe. Pour les loisirs, il offrait une multitude d’activités allant d’une animation nocturne frénétique à des manifestations culturelles internationales, en passant par une gastronomie variée et des activités sportives et de détente, favorisées par un climat des plus agréables. En fait, le cercle était vertueux. En raison des hommes d’affaires on pouvait développer des activités de loisirs et de culture performantes. La présence de ces mêmes activités attirait encore plus les hommes d’affaires et les touristes. Parallèlement, le Liban accueillait un grand nombre d’estivants arabes. Certains centres de villégiature, et plus particulièrement ceux de la région de Aley, Bhamdoun et Sofar, accueillaient une population arabe très aisée. Ces «estivants», principalement originaires du Golfe, étaient souvent propriétaires de leurs résidences. Les troubles politiques déclenchés en 1975 ont donné un coup d’arrêt aux activités de tourisme. Ils ont abouti à la destruction ou à la fermeture, de l’essentiel des centres touristiques, et ce dans toutes les régions libanaises. La prolongation du conflit a totalement radié le Liban de la carte touristique régionale et internationale. Entre 1975 et 1990, les flux de tourisme étaient presque exclusivement assurés par les Libanais eux-mêmes, résidents ou non. Ces flux ont d’ailleurs marqué le paysage touristique lui-même qui, au fil des ans, s’est adapté à cette forme de demande. Nouvelle donne Les conditions d’exploitation dans le secteur du tourisme ont été totalement modifiées au cours des trois dernières décennies et le Liban ne pourra pas reproduire les mêmes schémas que ceux des années 60 et 70. Les changements touchent aussi bien les structures internes du secteur que l’environnement régional et international. Dans la première catégorie, on peut relever plusieurs points. En premier lieu, il convient de mentionner la transformation du paysage naturel, social et économique du pays, principalement sous l’effet de la longue crise politique et économique des années 70 et 80, mais aussi en raison de la politique de reconstruction poursuivie par les dirigeants libanais. Les dégâts directs de la guerre sont certes très importants, mais les analystes estiment que les pertes les plus irréversibles résulteraient surtout de la reconstruction et d’un redéploiement urbain totalement non maîtrisé. Le cas de la côte est certes le plus flagrant, mais des constats identiques peuvent être relevés sur l’ensemble du territoire. Les villages et les bourgs libanais ont perdu beaucoup de leurs charmes touristiques en raison d’un développement urbain totalement désorganisé. Les infractions aux lois ont été observées dans toutes les régions du pays, et l’État a passé l’éponge. Pire encore, ces pratiques ne semblent pas totalement enrayées et les contrevenants n’ont aucun doute qu’ils pourront toujours trouver des arrangements avec l’État, toujours à cours d’argent pour accepter de telles solutions. Côté ressources humaines, le secteur a perdu une grande partie de ses effectifs du fait d’une émigration massive, et plus particulièrement vers les pays du Golfe, l’Europe et les États-Unis. Ces pertes touchent surtout les cadres moyens et le personnel spécialisé. Pour les cadres supérieurs, on enregistre depuis 1991 un retour des Libanais formés à l’étranger et qui espèrent bénéficier de la reprise dans le secteur du tourisme. Les centres de formation internes ont été fortement affectés par la crise des années 80, et le retour au calme a permis un léger redressement. Mais contrairement à la période d’avant-guerre, la profession ne jouit plus d’un grand prestige, à l’exception de certaines formations internationales, notamment celle de la gestion hôtelière dans les grandes écoles internationales. Troisième élément à relever : une forte libanisation du tourisme. En effet, avant 1975 le Libanais n’était pas grand consommateur de produits et services touristiques, à l’exception du traditionnel estivage pendant les périodes des vacances scolaires d’été. Depuis, la demande interne s’est diversifiée et s’est quelque peu démocratisée. De nouveaux produits sont demandés, notamment pour les loisirs de plage et de neige, mais aussi pour la restauration et les sports de plein air. Cette demande ne se limite plus au marché national et les professionnels multiplient leurs offres pour des vacances hors des frontières. Le tourisme interne n’est pas négligé, d’autant plus que la demande est soutenue par une nostalgie laissée par les cloisonnements régionaux pendant les longues périodes de troubles. Les jeunes Libanais ignorent de larges zones du territoire national, et sont demandeurs de visites vers des villages et même des villes libanaises qu’ils n’ont jamais connu. Cet aspect nostalgique touche aussi la diaspora libanaise qui souhaiterait refaire connaissance avec le pays, notamment après les durs moments qu’il a connu et qui, souvent, sont à l’origine de leur départ vers l’étranger. Autre point de transformation structurel interne : un changement dans l’environnement social de certaines zones traditionnelles du tourisme libanais, et les glissements géographiques vers de nouvelles régions du pays. Ainsi, la région du littoral sud de la capitale et celle de Aley-Bhamdoun-Sofar n’offrent pratiquement plus de loisirs pour les Libanais et encore moins pour les ressortissants étrangers. Ces derniers sont aujourd’hui plus séduits par la région de Broummana ou celle de la côte au nord de Jounieh. Même à l’intérieur de la capitale, la rue Hamra n’a plus le monopole d’attraction touristique et d’autres quartiers touristiques l’ont surclassée. Les transformations externes L’environnement externe de l’industrie du tourisme a connu lui aussi de profondes transformations au cours des 30 dernières années. Certains de ces changements peuvent avoir des conséquences favorables pour le Liban, alors que d’autres, au contraire, sont négativement perçus. La baisse des prix dans le transport aérien, la naissance de nouvelles zones d’attraction, la multiplication des offres et des services touristiques, la démocratisation et l’intensification des flux du tourisme, la baisse des prix et l’exacerbation de la concurrence, la canalisation de l’essentiel des flux vers des organisations et des institutions professionnelles de très grandes tailles... sont autant d’éléments avec lesquels le Liban doit compter ou affronter pour développer cette activité. Même les flux touristiques à partir des pays arabes ne sont plus les mêmes. Les touristes en provenance des pays du Golfe sont beaucoup plus exigeants et beaucoup plus regardants sur le rapport qualité prix. Le Liban n’est plus la destination naturelle des ressortissants de ces pays. En effet, ces touristes sont attirés vers d’autres zones lointaines, Europe ou États-Unis, ou proches, Égypte, Syrie ou Turquie. Depuis 2 ou 3 ans, ces touristes pointent de nouveau au Liban, mais ils restent méfiants, surtout devant la hausse des prix et certaines tentatives de surfacturation. Par contre, ils sont généralement agréablement surpris par la qualité du cadre d’accueil et par l’environnement en comparaison avec les autres centres d’accueil égyptiens, syriens ou jordaniens. De ce fait, la concurrence, internationale et régionale, impose au Liban des efforts d’accommodation dans le domaine du tourisme où il ne bénéficie plus d’avantages acquis. Mais parallèlement, ces développements lui ouvrent de nouveaux horizons dont il pourra tirer grand profit. Les flux du tourisme international se sont fortement gonflés et les produits de plus en plus diversifiés. Le Liban pourra donc exploiter de nouveaux filons dans ce domaine. Quelles perspectives? En collaboration avec les instances internationales, le ministère du Tourisme a élaboré un «plan directeur pour la reconstruction et le développement du tourisme au Liban» pour déterminer les points de forces et les faiblesses de ce secteur. Ce plan prévoit aussi les principaux axes de développement de cette industrie et les priorités à mettre en œuvre pour y parvenir. Les principaux enseignements tirés du diagnostic se résument comme suit : Une très grande diversité du potentiel touristique naturel, historique et humain, qui permet de proposer une large gamme de produits touristiques de type culturel, balnéaire, de découverte, de sports d’hiver, d’estivage, etc.) destinés à un large éventail de clientèles. L’intérêt touristique des attraits naturels et historiques est renforcé par les qualités naturelles d’accueil et d’hospitalité du peuple libanais. Une politique libérale, notamment en ce qui concerne l’aménagement spatial, l’urbanisme, la réalisation des travaux publics et la construction d’immeubles, a eu, de toute évidence, des conséquences négatives en matière de dégradation de l’environnement et des sites touristiques (littoral, paysages, monuments,...). Une diminution de la capacité d’hébergement, l’insuffisance du système de formation inadapté aux nouvelles réalités du tourisme international, état déficient des infrastructures de transport et de communication ainsi que l’insuffisance des moyens financiers et humains ont été les principaux facteurs hérités de la guerre. Ces différentes observations permettent de dégager ce qui suit : Des potentialités de développement touristique importantes continuent d’exister au Liban, du fait des ressources naturelles, historiques, touristiques et humaines même si leur intérêt est différent de ce qu’il était avant la guerre. Toute politique volontariste de développement touristique ne pourra se produire qu’à partir de l’initiative privée et nécessitera une intervention directe de la part des pouvoirs publics pour assurer les investissements d’accompagnement nécessaires (promotion touristique, communications, transport, formation) et réformer la réglementation en vigueur (contrôle des normes d’hygiène, sauvegarde du paysage). Parmi les principales recommandations directes pour le développement du secteur touristique on peut citer : La réorganisation et le renforcement de l’Administration nationale du tourisme. La réforme de la réglementation touristique et hôtelière existante. La mise en place de nouvelles procédures liées à la conservation du patrimoine naturel et historique. L’amélioration de l’image touristique du Liban à l’extérieur. l La mise en place d’un système de formation adapté aux besoins. Le montage, la promotion et le marketing de produits touristiques nouveaux concourant à la diversification de l’offre touristique libanaise. L’amélioration qualitative de produits proposés, leur diversification grâce à l’aménagement de nouveaux sites touristiques mieux adaptés aux besoins. La poursuite de la réhabilitation des hôtels et des sites archéologiques, historiques et naturels La mise en place d’un organisme de financement spécialisé à long terme de type Crédit Hôtelier. Pour beaucoup d’analystes, le tourisme libanais d’aujourd’hui ne peut être détaché de sa dimension régionale, aussi bien au niveau de l’offre que de la demande. En effet, les produits offerts par le pays sont insuffisants pour intéresser une masse de touristes internationaux. Par contre, ces derniers accepteraient plus volontiers les «packages» incluant des sites régionaux, en Syrie ou en Jordanie. Sur le plan de la demande, si les ressortissants des pays du Golfe continuent à être une source majeure pour le tourisme libanais, la tendance future serait un glissement vers les pays les plus proches de «l’hinterland», notamment la Syrie, la Jordanie et l’Irak.
Comme nous le précise la fable, c’est «pour subsister jusqu’à la saison nouvelle...». Ce constat est régulièrement repris par les dirigeants libanais, pour nous promettre une éclaircie économique pour la saison estivale prochaine. L’année 1999 n’a pas fait exception, et un fort retour de croissance nous est projeté pour les trois mois qui viennent. Pour tous, le tourisme et l’ensemble des activités annexes qui l’accompagnent constituent un élément certain pour la prospérité économique du pays. D’ailleurs, et dans le cadre des recherches pour la détermination des secteurs économiques viables, «l’industrie bleue» vient en tête des branches retenues. Cet optimisme est principalement lié aux nombreux atouts dont dispose le Liban dans ce domaine et qui étaient largement exploités dans les années 60...