Actualités - OPINION
TRIBUNE Balkans : l'éternel retour
Par AZIZ Philippe, le 30 avril 1999 à 00h00
Faut-il donc pour autant arrêter ? Le point de non-retour auquel les Alliés sont arrivés ne permet plus de retour à la case départ, mais il faut aller vite car, au lendemain de la guerre, l’Europe se réveillera sur une nation slave orthodoxe humiliée, de plus en plus appauvrie et qui se complairait dans un nationalisme dont on commence déjà à palper les contours un peu partout en Europe de l’Est. Or l’on sait ce que cette situation a engendré en Allemagne après la Première Guerre mondiale. La différence, c’est qu’aujourd’hui on risque de voir émerger un nationalisme à tête nucléaire, car ce n’est plus le Milosevic serbe qui effraie mais bien les Milosevic ukrainien, biélorusse, moscovite ou même kazakh qui pourraient un jour se pointer. Pour éviter le drame, certains parlent d’un plan Marshall après la fin de la crise, un plan non pas seulement pour l’ex-Yougoslavie, mais pour toute la région. L’Europe ne pourra certainement pas l’assumer toute seule sans l’aide américaine ce qui, à moyen terme, conduira à une mainmise US semblable à celle qui a suivi la guerre du Golfe. Et les Kosovars dans tout ceci ? Leur situation est un drame, comme tant d’autres qui ont précédé, comme tant d’autres qui suivront, un drame qui semble être nécessaire à la marche de l’Histoire. Mais l’Otan a un handicap majeur : l’hégémonie américaine. On a essayé d’y remédier en se prévalant de l’alliance traditionnelle avec les États-Unis depuis la Première Guerre mondiale, certains même allant jusqu’à affirmer que les États-Unis sont une puissance européenne. Toujours est-il que la présence de troupes et surtout d’armements américains est perçue même par les plus fidèles partisans des frappes comme une ingérence dans des affaires purement européennes ; les affirmations de l’ex-président de l’Assemblée nationale en France, Philippe Séguin, sont à cet égard très significatives de cet état d’âme. Quant aux risques à encourir, ils naissent de la simple constatation que le recours à l’Otan prend, dans le conscient collectif de la région, les allures d’une démonstration antirusse. Et c’est là où est le plus grave, car derrière la Serbie c’est tout le nationalisme slave qui est exacerbé. D’ailleurs, la position russe à ce sujet rappelle les moments de la Guerre froide ; les gesticulations de la Douma, la Chambre basse du Parlement, sont le moins qu’on puisse dire très inquiétantes, et ce ne sont pas les affirmations tonitruantes de Vladimir Jirinovski qui font le plus peur, mais bien les positions de l’autre groupe parlementaire majoritaire : le Parti communiste. Les inquiétudes augmentent dans la mesure où les échéances législatives approchent. Celles-ci sont en effet prévues pour décembre 1999 tandis que les élections présidentielles suivront au printemps. Certains pensent que Milosevic essaie là aussi de gagner du temps. Certes, la Russie n’a pas les moyens financiers de mener une guerre, mais oublie-t-on que la Douma est surnommée à Moscou «la maison des fous» ? Balkans : la poudrière Par une ironie meurtrière du sort, l’Europe vient de clôturer son siècle de la même manière qu’elle l’avait commencé, en tout cas au même endroit, les Balkans. Comme si elle était condamnée à une perpétuelle remise en question dans le sang. Dans les manuels d’histoire cette région a un nom : «La poudrière des Balkans». Encore une fois un Serbe, Slobodan Milosevic, vient d’y mettre le feu et, comme d’habitude, les Européens, toutes nationalités confondues, viennent de s’y jeter. Au nom de quel principe ? Dans quel but ? Quels sont les moyens ? Jusqu’où aller et quels sont les risques ? Qels sont les questions qui se posent avec beaucoup d’acuité dans les divers milieux occidentaux, semant la confusion et le doute, voire le scepticisme et la peur. D’emblée, une question supplémentaire se pose dans cette perspective : qu’arrivera-t-il après la guerre ? Tout d’abord le «principe» et le but ; le risque d’embrasement peut dépasser les frontières de l’ex-fédération yougoslave. C’est un fait sur lequel tous sont désormais d’accord. Plusieurs pays limitrophes comme la Roumanie, la Bulgarie et même la Grèce voient leurs économies directement affectées, leur sécurité et leurs frontières menacées par les élucubrations nationalistes du voisin serbe. Mais plus grave, à court terme, le sort des pays qu’on qualifie de «virtuels» comme la Macédoine, le Monténégro et même la Bosnie, pays à la structure si fragile, et qui risquent l’implosion tout court. Le comportement du gouvernement yougoslave déstabilise la région et même, à une échelle plus grande, l’Europe entière. Il était donc évident, au regard des Occidentaux, d’intervenir dans une situation conflictuelle qui n’est plus à proprement parler «interne» et ne se limite plus à l’intérieur des frontières d’un État souverain et ce, afin de protéger ce qu’ils ont mis tant d’années à construire : une Europe stable et prospère. Dans ce but, et devant l’intransigeance du gouvernement serbe, quoi de plus normal à leurs yeux que de recourir à l’Otan comme moyen pour arrêter le nationalisme outrancier, ce fléau meurtrier, qui terrorise le continent depuis le début du siècle. L’Otan, un instrument conçu à la base pour assurer un parapluie nucléaire à l’Europe occidentale contre une éventuelle agression soviétique, subit une conversion qui va dans le sens de l’élargissement de sa mission. Désormais on lui confie la tâche de «gérer les crises et de développer les rapports de partenariat» ce qui, en termes plus simples, signifie qu’il devra protéger les intérêts européens où qu’ils se trouvent. L’ouverture vers les quelques pays de l’Est qui a précédé les frappes aériennes n’est que plus significative d’une volonté de raffermir l’Otan dans son nouveau rôle de gendarme. La puissance militaire dont elle est dotée, ainsi que la flexibilité de son fonctionnement par rapport à celui de l’Onu – flexibilité due à une plus grande convergence d’intérêts de ses membres – jointe à ses capacités financières (l’Otan est formée par les pays les plus riches du monde) en font le moyen idéal, voire exclusif, de mener à bien cette mission. De plus, la barrière de l’Onu a été franchie selon certains ; en effet plusieurs résolutions du Conseil de sécurité faisant appel au calme ont été rendues couvrant ainsi, selon eux, les frappes aériennes menées par un organisme différent mais visant les mêmes objectifs.
Faut-il donc pour autant arrêter ? Le point de non-retour auquel les Alliés sont arrivés ne permet plus de retour à la case départ, mais il faut aller vite car, au lendemain de la guerre, l’Europe se réveillera sur une nation slave orthodoxe humiliée, de plus en plus appauvrie et qui se complairait dans un nationalisme dont on commence déjà à palper les contours un peu partout en Europe de l’Est. Or l’on sait ce que cette situation a engendré en Allemagne après la Première Guerre mondiale. La différence, c’est qu’aujourd’hui on risque de voir émerger un nationalisme à tête nucléaire, car ce n’est plus le Milosevic serbe qui effraie mais bien les Milosevic ukrainien, biélorusse, moscovite ou même kazakh qui pourraient un jour se pointer. Pour éviter le drame, certains parlent d’un plan Marshall après...
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