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Actualités - OPINION

REGARD - George Merheb , Robert Elibékian : peintures S.L.F. : Sauvons " La Fabrika "

La fête à Venise : c’est sur ce thème du carnaval, du théâtre, de la musique et de la danse que se rencontrent, au hasard des expositions, deux peintres, l’un Libanais, George Merheb, l’autre Arménien d’Arménie, Robert Elibékian, deuxième d’une famille qui compte trois générations de plasticiens. Son fils Areg, qui n’a pas encore trouvé son langage personnel, expose à ses côtés des scènes de rue de Paris. Si l’événement «Beyrouth capitale culturelle du monde arabe» qui est, jusqu’à présent du moins, un pétard mouillé (on nous promet le feu d’artifice pour le dernier trimestre de l’année), n’avait servi qu’à révéler l’extraordinaire lieu architectural que sont les bâtiments, vieux de 152 ans, de l’ancienne Imprimerie catholique, où expose George Merheb, il serait déjà amplement justifié : éclairé par d’immenses baies vitrées, un édifice de quatre étages avec une nef centrale surmontée d’une toiture en tuiles avec charpente apparente, galeries, mezzanines, grandes salles avec ou sans colonnes, cours. Bref, un ensemble d’espaces souplement articulés qu’il serait pratiquement impossible, de l’aveu même de plusieurs de nos meilleurs architectes, de rééditer aujourd’hui. Au train où vont les choses, il est exclu que l’on puisse rêver d’un meilleur Centre culturel-Musée d’art moderne pour Beyrouth d’ici une trentaine d’années s’il faut tabler sur l’État. Ce bâtiment industriel du XIXe siècle est l’un des rares chefs-d’œuvre d’architecture que compte la capitale : il est indispensable de le préserver, de le réhabiliter, de le racheter avec les terrains avoisinants pour doter Beyrouth d’une merveilleuse maison commune polyvalente apte à abriter toutes sortes de manifestations, de fêtes, de célébrations. Wissam Boustany et Nigel Clayton y ont donné dimanche soir un concert (flûte et piano) sans micro : l’acoustique est meilleure que celle de beaucoup de salles spécialisées. Caractère unique La disparition de cet ensemble, baptisé «La Fabrika» par l’Agenda Culturel qui l’a pris provisoirement à sa charge pour l’animer tout au long de cette année, serait une nouvelle catastrophe patrimoniale encore plus navrante que celle d’autres édifices du centre-ville et d’ailleurs, étant donné son caractère unique et exceptionnel. Comme l’État semble pour le moment incapable ou peu désireux ou les deux, pour diverses raisons, ne serait-ce que de prendre les mesures conservatoires indispensables pour prévenir une telle catastrophe; comme il est peu probable que, dans un sursaut de lucidité, il soit inopinément prêt à assumer ses responsabilités à l’égard du passé, du présent et de l’avenir ; comme «La Fabrika» est plus importante que des milliers de pièces d’antiquité sans intérêt intrinsèque, seule une véritable initiative citoyenne peut sauver ce joyau : il faut constituer d’urgence un comité d’Amis de «La Fabrika» pour entreprendre les contacts et le battage nationaux et internationaux indispensables, recueillir donations et prestations de services, définir une vocation précise, racheter, restaurer, équiper. Le Musée national lui-même a été construit et doté non point par l’État mais par un tel comité d’Amis. Substituer un nouveau centre commercial à «La Fabrika» relèverait du crime pur et simple : Beyrouth a déjà trop perdu de son patrimoine architectural et urbain pour laisser succomber un tel chef-d’œuvre situé, de plus, dans un périmètre urbain qui est déjà un foyer de vie culturelle universitaire et qui est en voie de devenir l’un des principaux pôles d’attraction de la vie nocturne à la limite de ce qu’on me pardonnera d’appeler Gharbiyeh et Charkiyeh. George Merhi, qui a su exploiter l’espace à merveille, y expose de grandes toiles sous les arcades de la nef et sur des palettes de transport qui composent d’intéressantes parois à claire-voie, tandis que des confettis multicolores jonchent le sol comme après un bal. L’intention et la réalisation Le déguisement du carnaval permet toutes les transgressions, lève tous les interdits et les inhibitions, en sorte que, pendant de brefs et intenses moments, «je est un Autre» comme le dit le titre de l’exposition. Le problème, peut-être, est que ce titre ainsi que les notices qui accompagnent les œuvres sont trop profonds pour elles, beaucoup trop profonds pour des pièces à tout prendre décoratives, pleines de mouvements et de couleurs, mais qui ressemblent davantage à des fresques de boîte de nuit ou de restaurant à la mode qu’à la traduction picturale de l’expérience intime du jeu de l’être et du paraître. Il aurait peut-être été préférable de ne pas les commenter pour ne pas accuser le fossé entre l’intention et la réalisation. La peinture doit pouvoir dire les choses par elle-même sans avoir besoin d’un mode d’emploi ou de lecture. La peinture de George Merheb, au graphisme simplifié et anguleux qui transmet bien le charivari sonore et visuel du carnaval, se tient trop au niveau du paraître pour que l’emploi des masques suffise à suggérer toute la dialectique qu’il tient à nous y faire lire. Atmosphère vivaldienne Robert Elibékian (natif de Tbilissi, Géorgie, en 1941), qui possède une longue pratique des scénographies et costumes d’opéras et de théâtre, nous plonge d’emblée dans une pétillante atmosphère baroque avec ses joueuses et joueurs de mandoline, de flûte et de guitare, ses danseurs et ses ballerines : on se surprend à fredonner des mesures des Concertos pour Mandolines de Vivaldi et l’on imagine facilement que ces joueuses espiègles sont les pensionnaires de l’orphelinat de filles vénitien où le maître a longtemps enseigné, composant d’innombrables pièces instrumentales et vocales pour ses talentueuses élèves. On imagine tout aussi facilement que le joueur de mandoline n’est autre que le marquis amateur de cet instrument pour lequel il avait écrit un certain nombre de ses concertos. Très musical, le style d’Elibékian est fait, sur des fonds terres et gris, telle une basse continue, d’un grouillement de petites touches de peinture à l’huile qui gardent chacune sa présence, son accent, son timbre et sa sonorité chromatiques parce qu’elle est dosée comme une note ; et dans les mixed media, d’entrelacs de lignes légères comme des mélodies dentelées. Parfois, ses musiciennes quittent les planches ou les salles de palais à hautes fenêtres de plein cintre pour une partie de musique à la campagne avec, au loin, une montagne et une église dont le style arménien paraît, soudain, incongru, tant on s’était cru plongé dans la Venise du XVIIIe siècle. En fait, Elibékian campe un monde composite et ambigu, à la fois vénitien et arménien, théâtral et réel, un monde d’aubades, de sérénades, de concerts, de soirées dansantes, de plaisantes fantaisies loin des drames et des tragédies. Entre sa première exposition et celle-ci, se fait jour une tendance accrue à se laisser aller à la facilité et à la rapidité d’exécution. Il n’en reste pas moins qu’Elibékian garde un cachet personnel qui rappelle, en plus moelleux, certaines périodes de Carzou, et qui lui vaut d’être de plus en plus apprécié à l’étranger (Galerie Noah’s Ark). Encore une fois : S.L.F. : Sauvons La Fabrika! Sauvons cet ultime reste d’âme de Beyrouth.
La fête à Venise : c’est sur ce thème du carnaval, du théâtre, de la musique et de la danse que se rencontrent, au hasard des expositions, deux peintres, l’un Libanais, George Merheb, l’autre Arménien d’Arménie, Robert Elibékian, deuxième d’une famille qui compte trois générations de plasticiens. Son fils Areg, qui n’a pas encore trouvé son langage personnel, expose à ses...