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Actualités - REPORTAGES

CONCERT - " La Fabrika " , Huvelin Boustany-Clayton : les vents errants

Un bâtiment marqué par l’Histoire et le temps et laissé dans l’éloquence de sa nudité et de son délabrement, mais une salle flambant neuf dans l’éclat de ses murs blancs fraîchement chaulés. «La Fabrika», au bout de ses 152 ans de présence à la rue Huvelin-Monot, entame sa naissante carrière de promoteur d’art et de culture, sous un toit en poutrelles craquantes et rongées par le temps et l’humidité, par ce récital où le dieu Pan préside aux destinées de Beyrouth, capitale culturelle du monde arabe pour l’année 1999. Dans la salle centrale aux arcades transformées en cimaises (où pendent de grandes toiles colorées), et dans les espaces latéraux attenant de cette galerie de fortune où l’écho sert de cadre mais pas la musique, deux musiciens de talent ont offert à un public nombreux et surtout curieux de voir le décor un peu surréaliste de cette «Fabrika» désaffectée, des pages où le dialogue d’une flûte et d’un piano avait les résonances d’un langage particulièrement universel. Wissam Boustany, notre flûtiste international, n’est plus à présenter au public et encore moins aux mélomanes dont ils applaudissent ses nombreuses et régulières prestations. Accompagné au piano par Nigel Clayton, il a préparé cette fois un programme intéressant à plus d’un niveau et qui se place sous le signe de sa propre réflexion et vision du monde : «La musique ouvre les portes de l’inspiration entre les peuples et les nations et nous aide à refléter notre humanité». Au menu, des œuvres aux horizons bien différents et éloignés : Mozart, Stevens, Khalifeh, Taktakishvili, Younès et Prokofiev. Un tour d’horizon où s’égrènent des notes de tous azimuts. Voilà donc un bouquet fleurant bon l’internationale de la musique. Sous le titre bien poétique et révélateur de Wandering Winds (les vents errants), les premières mesures offertes, jaillies de l’Histoire, sont celles de W.A. Mozart. Andante léger comme le vent. Le souffle et la narration de l’auteur de La flûte enchantée sont ici en excellente compagnie. Douceur des modulations, modération dans le mouvement tout en harmonie de cet «andante» où la flûte a des accents bien éoliens. Marquée par la grâce et ce quelque chose d’insaisissable où l’on reconnaît à partir de quelques mesures le génie du maître de Salzbourg, cette œuvre allie légèreté badine et gravité rêveuse. Musique si facile d’accès et en même temps si savante et qui cherche, en toute innocence, la voie de la sérénité. Le temps arrêté Pour la première fois interprétée au Moyen-Orient, a suivi le «Kiri To Taiyo» de James Stevens. Lever du soleil à travers la brume, cette œuvre moderne aux résonances séduisantes nous vient d’Extrême-Orient, avec des délicatesses de geisha préparant le rituel d’un thé au jasmin. Écrite pour Wissam Boustany et jouée aussi ce soir-là pour la première fois, l’œuvre de Marcel Khalifeh Love Birds est un tableau sonore coloré où l’Orient est perceptible comme la chaleur à travers les grains de sable. Mais aussi exubérance d’un chant d’amour, où le ramage et les pépiements des oiseaux sont comme les battements ivres des ailes d’une volée de moineaux pris dans les rets des saisons de l’amour. Et pour terminer la première partie de ce récital, une «sonate en trois mouvements» de Taktakishvili. De chantante à espiègle en passant par un délicieux modérato con moto, où flûte et piano rivalisent de douceur susurrante. Après l’entracte, Retour des cendres (Rising from the Ashes) du jeune compositeur jordanien Tarek Younès qui mêle avec beaucoup de subtilité rythmes arabes, improvisations du «mawal», mesures des «maqamate» et prosodie occidentale. Le thème du phénix et de son symbolisme dans cette œuvre aux diaprures très levantines sont omniprésents et reflètent en termes de beautés sonores l’espoir, l’immortalité et la force de renaître. Grave et aux accents métissés, cette œuvre, qui s’ouvre sur un air de flûte qui joue à découvert avant d’être rejointe ensuite par le piano, fut écrite pour Wissam Boustany (en 1996) et elle a déjà été interprétée dans divers pays. Et pour terminer, des complaintes bédouines on passe à la Russie profonde mais ouverte à la musique étrangère. Une «sonate» à quatre mouvements de Prokofiev. Colorée, lyrique, élégiaque, d’une construction serrée et équilibrée, cette œuvre de l’auteur de Roméo et Juliette reste toutefois difficile à définir en raison de ses nombreuses facettes. À la fois classique et novatrice, cette sonate reflète bien l’étonnante fécondité de ce musicien qui, tout en se libérant du joug du traditionalisme, a su rendre à la musique russe toute son authenticité. Un public enthousiaste a longuement ovationné les deux musiciens, souriant sur une scène improvisée, sous cette montre dalinienne où le temps depuis longtemps s’est arrêté à 12h30.
Un bâtiment marqué par l’Histoire et le temps et laissé dans l’éloquence de sa nudité et de son délabrement, mais une salle flambant neuf dans l’éclat de ses murs blancs fraîchement chaulés. «La Fabrika», au bout de ses 152 ans de présence à la rue Huvelin-Monot, entame sa naissante carrière de promoteur d’art et de culture, sous un toit en poutrelles craquantes et rongées...