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RECONSTRUCTION - Promenade au coeur d'une ville qui renaît de ses cendres Le centre de Beyrouth , entre le rêve et le réalité
Par H. S., le 28 avril 1999 à 00h00
Désormais, la mer si bleue est au bout de toutes les rues, ruelles et avenues, en chantier, terminées ou encore à l’état d’esquisse. Beyrouth renoue avec la Méditerranée et avec son passé et c’est le centre-ville qui renaît, indifférent aux polémiques. Avec le retour des beaux jours, l’envie de promenades revient et le centre-ville se déploie soudain sous les yeux étonnés des Beyrouthins. C’est vrai que le projet de Solidere continue de soulever les polémiques ; il est même probable que les estimations des actions dues aux ayants-droit ainsi que les indemnisations aux déplacés n’ont pas toujours été équitables, mais comment ne pas s’émerveiller aujourd’hui du travail accompli ? Comment ne pas avoir envie de flâner dans ces rues pavées, alliant harmonieusement le passé et le présent en se demandant si on est réellement au Liban et si les noms familiers correspondent vraiment à des images du passé ? Réconcilier le passé et le présent Au départ, il y a eu un projet gigantesque : faire revivre le cœur de la capitale, sciemment détruit pendant les années de guerre et paralysé par le nombre incalculable d’ayants-droit. Au total, une surface de 1800 000m2 qui abrite la mémoire du pays. La conception de base était donc de réconcilier le passé et le présent et de mélanger le secteur bancaire, les zones commerciales et les quartiers résidentiels afin que le centre-ville puisse continuer à vivre 24 heures sur 24 au lieu de mourir chaque nuit, après les horaires de travail, pour ne renaître que le lendemain matin. C’était une façon de rendre hommage au centre-ville d’avant-guerre, qui ne dormait jamais et représentait le symbole de la coexistence et de la convivialité. Les plans ont donc été dressés, mais les Libanais n’y croyaient pas trop, les maquettes paraissant trop abstraites et les échéances lointaines. Mais, aujourd’hui, le projet commence à prendre forme et c’est avec émerveillement que les promeneurs retrouvent la rue Maarad avec ses arcades légendaires. Ils s’attendent presque à voir surgir du passé les Soudanais en train de vendre des pistaches dans des cornets de papier. Un peu plus loin, c’est la merveilleuse perspective du secteur Allenby-Foch qui va de la mer jusqu’au Grand Théâtre, en passant par l’horloge Abed. Certes, les adultes d’aujourd’hui ne reconnaissent pas l’emplacement du célèbre «Automatique», paradis des enfants d’avant-guerre, mais ils peuvent revoir avec émotion l’immeuble Azarié et s’extasier devant ce qui sera demain «La brasserie d’Orient», avec ses balcons en fer forgé et ses bacs fleuris. Une promenade au centre-ville, c’est donc avant tout une flânerie constante entre la nostalgie et l’excitation, entre le passé millénaire et l’avenir, le tout ponctué de pauses dans les squares ombragés où déjà un millier d’arbres nouveaux ont été plantés, chaque secteur ayant une espèce déterminée pour marquer les différences. Les maquettes deviennent ainsi moins inaccessibles et l’on se met à rêver de ce qui sera demain et qui devient possible. Culture et commerce Si le secteur des banques est pratiquement achevé, la zone marchande abritant les anciens souks est encore à l’état embryonnaire. Le projet la conçoit entièrement piétonne, avec un parking souterrain de 2 500 places et elle sera reconstruite en respectant les plans d’antan. Elle comportera notamment un «mall» à l’américaine, un grand magasin à la française, un marché aux légumes et aux fleurs, mais aussi un grand centre de loisirs, avec un cinéma «Imax» en trois dimensions (le premier au Moyen-Orient), un immense bâtiment pour la Librairie Antoine et un centre culturel. Elle abritera aussi trois vestiges, l’école coranique du XVe siècle, les restes d’un mur médiéval et le quartier commercial phénico-perse qui sera ressuscité à travers un musée. Au-delà de la zone marchande commence l’avenue du Parc, sortie de l’imagination des urbanistes. Elle se veut particulièrement huppée et abritera l’hôtel Ritz Carlton et des immeubles de luxe, comme prélude à la région des grands hôtels. En remontant vers l’Est, c’est l’impressionnant Grand Sérail et son jardin en construction, la Place de l’Étoile, hélas bloquée par les parpaings et autres blocs de béton censés protéger les élus de la nation et enfin la place Riad el -Solh avec son parterre de fleurs. Des fleurs, des jardins et des arbres, il y en a partout dans le périmètre du centre-ville. D’ailleurs, la moitié de la surface est consacrée aux parcs et autres squares. Il y a, par exemple, le jardin de Zokak el-Blatt, qui délimite en quelque sorte la frontière du centre-ville, et auquel Solidere a attribué un gardien afin que les fleurs, les plantes et les bancs ne soient pas arrachés, le jardin de Ghalghoul, le futur parc de 80 000m2 qui naîtra là où il y a quelques années, il y avait encore des monceaux d’immondices et bien d’autres places agréablement aménagées. Un musée souterrain et une perspective extraordinaire La plus impressionnante, sur maquette en tout cas, est la Place des Martyrs avec son extraordinaire perspective et ses jardins des deux côtés de routes. Avec la destruction de l’immeuble du Rivoli qui cachait la mer, un nouvel espace a été conquis qui sera consacré à un musée souterrain surmonté d’une esplanade menant jusqu’à la mer. Ainsi, le monument aux Martyrs fera un clin d’œil aux remparts phéniciens, aux ruines de la Citadelle des Croisés, aux vestiges de la cité ottomane et à ceux de la cité hellénique, regroupés le long de la mer, en prolongement de la Place des Martyrs. Préserver les vestiges des civilisations et préparer le centre aux défis de l’avenir, tel a été le principal souci des urbanistes. Souvent accusés d’avoir détruit et dressé les plans de la reconstruction sans tenir compte des richesses archéologiques, ils se défendent aujourd’hui en montrant les premiers résultats de leurs travaux, où l’archéologie conserve une bonne place. D’ailleurs, ils ne sont pas peu fiers d’annoncer qu’une fois le projet achevé, le centre-ville offrira aux amateurs une promenade archéologique fabuleuse . Dans un périmètre de quelques centaines de mètres, les amoureux du passé pourront traverser 4 000 ans d’Histoire. Un îlot dans une capitale désordonnée ? Quant aux autres, les promeneurs avides de soleil, ils pourront profiter des embruns en marchant le long d’une corniche maritime à trois niveaux, aménagée sur le remblai. Ils n’auront pas à craindre les vagues puisqu’un impressionnant système de brise-lames est en train d’être installé. Quatre-vingt et un caissons de béton seront placés dans le fond marin pour affaiblir la puissance des vagues. Quarante sont déjà mis en place et les autres attendent leur tour. À quelques mètres de là, l’usine hollandaise chargée du tri des déchets de l’ancien dépotoir du «Normandie» qui s’étalait sur 250 000m2 fonctionne à pleins tubes. 70 000m2 ont déjà été nettoyés et d’ici trois ans, toute la zone sera totalement réhabilitée. Mais déjà, le spectacle des marguerites et des pâquerettes illuminant le monticule ravit les yeux des plus blasés. Mais au centre-ville, il n’y aura pas que des musées et des fleurs. Il y a aussi des quartiers résidentiels, dont deux essentiels : Saïfi et Wadi Abou Jamil. Le premier sera achevé au début de l’année, mais les appartements peuvent être visités et seront livrables dans un mois ou deux. On peut déjà voir les façades aux couleurs pastel, avec des volets flamboyants pour donner une note levantine, si harmonieuses qu’on les croirait sorties d’un livre d’images. Seize immeubles au total et 139 appartements, répartis en quatre lots. Chaque lot dispose d’un parking, d’un club de sport et d’accès souterrains entre les immeubles. Pour les personnes intéressées, trois formules sont possibles : la vente, la location avec option de vente et la location. La surface des appartements varie entre 150 et 300m2. Le même schéma sera suivi à Wadi Abou Jamil, mais le chantier est encore embryonnaire. N’est-on pas toutefois en train de construire un îlot de perfection au milieu d’une capitale désordonnée et souvent laide, créant ainsi de nouvelles lignes de démarcation au sein de la ville ? Le reproche a souvent été adressé aux responsables de Solidere et ils le rejettent vivement, rappelant qu’ils essaient de faire de Saïfi le prolongement de Gemmayzé et de Wadi Abou Jamil, le prolongement de Zokak el-Blatt. Pourtant, la différence est visible, accentuée par les grandes avenues qui semblent entourer le centre-ville, comme pour l’abriter des regards et lui éviter une trop grande proximité avec les quartiers plus défavorisés : Georges Haddad au nord, le Ring à l’est, et l’avenue des grands hôtels au sud, sans parler de la corniche maritime, qui constituera la boucle bleue de cette ceinture, ponctuée par les deux ports de plaisance. Un îlot, donc le centre-ville ? Peut-être, mais accessible à tous, tant que les rues resteront ouvertes. Ainsi, les deux mondes du Liban schizophrène pourront se côtoyer à défaut de se mélanger.
Désormais, la mer si bleue est au bout de toutes les rues, ruelles et avenues, en chantier, terminées ou encore à l’état d’esquisse. Beyrouth renoue avec la Méditerranée et avec son passé et c’est le centre-ville qui renaît, indifférent aux polémiques. Avec le retour des beaux jours, l’envie de promenades revient et le centre-ville se déploie soudain sous les yeux étonnés des...
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