Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Médecine - Entre arrêt cardiaque et mort cérébrale Dons d'organes, transplantation : mythes et réalités (photo)

La médecine, comme tout autre profession, ne peut être conçue que sous l’angle d’une déontologie qui doit être religieusement respectée. Mais il est peut-être un domaine particulier où l’éthique médicale dépasse les simples valeurs humanitaires et altruistes pour inclure des considérations culturelles, religieuses et même métaphysiques. Le don d’organe pose ce genre, de problème, d’où les réticences dont on continue d’être témoin au Liban. Tout comme, il y a une vingtaine d’années en France, d’ailleurs, quand le programme de transplantation venait d’être lancé. Autre problème auquel se trouvent confrontés certains médecins qui militent en faveur de ce type de don : une méconnaissance totale en matière d’informations médicales de base. Cependant, et par-delà les hésitations des uns et des autres à souscrire à un don d’organe – et qui relèvent souvent de considérations socioculturelles et religieuses courantes dans notre Orient –, l’aspect philosophique ou mythique du problème n’en reste pas moins universel, puisque même en France (et probablement dans toute l’Europe), la bataille n’a pas toujours été aisée à mener. Aujourd’hui, elle est, certes, gagnée grâce au matraquage médiatique et à l’intervention étatique, mais le plus important reste que les esprits sont désormais prêts à l’admettre. Procédons par ordre Tout d’abord, un don d’organe suppose un donneur, un receveur et des équipes pour opérer la transplantation. À chaque niveau, des difficultés techniques et psychologiques, des préparations et une organisation monstre. Cela requiert non seulement de la volonté et beaucoup de travail (c’est-à-dire toute une logistique ainsi que l’institutionnalisation d’un véritable programme national de transplantation), mais également un travail sérieux sur les mentalités, ce qui, on le devine aisément, n’est pas chose facile. Mais où donc commence véritablement le problème ? Le Dr Mohammed Saab, spécialiste en chirurgie cardio-vasculaire et thoracique à l’hôpital Hammoud de Saïda et ancien chirurgien au centre cardio-thoracique de Monaco, est le premier Libanais à avoir opéré une transplantation de cœur au Liban, en janvier 1999. Il a déjà à son crédit une quinzaine de transplantations en France. «Premier obstacle : convaincre la famille d’un patient potentiellement donneur», dit-il. Cette démarche est d’autant plus ardue qu’elle nécessite beaucoup de courage de la part du médecin, «qui doit nécessairement jouir d’une notoriété et d’une crédibilité certaines» pour pouvoir aborder des parents accablés de douleur. «Cependant, enchaîne ce chirurgien, le problème majeur réside dans le fait qu’il existe une méconnaissance fondamentale de certaines notions médicales de base». En effet, les gens ignorent encore la différence majeure entre la mort cérébrale, le coma, et l’arrêt cardiaque, d’où confusion entre ces trois concepts. C’est que, à la suite d’une mort cérébrale, un patient ne peut en aucun cas revenir à la vie, d’où la possibilité de prélever ses organes, s’agissant par contre d’un patient comateux, qui même longtemps après a des chances de se réveiller et de reprendre une vie quasi normale, tel n’est pas le cas. De même, pour ce qui concerne l’arrêt cardiaque, estime le Dr Saab, on peut parfois rendre la vie à un patient qui a failli “y passer”. «Cela pour expliquer qu’il existe tout un mythe autour du cœur, considéré comme le centre de la vie. Il en est de même pour l’activité cardiaque, supposée être à la base de toute l’existence alors qu’en réalité, la base de la vie c’est l’activité cérébrale». Il est absolument important que toute la lumière soit faite sur ce point crucial, ajoute le spécialiste. L’origine de la confusion, dit-il, il faut la chercher dans le fait que l’on assiste à des états de mort cardiaque avec “résurrection”. «Un arrêt cardiaque signifie que le cœur ne bat plus et l’électrocardiogramme est plat. On a parfois recours au massage pour essayer de ressusciter le patient». Le chirurgien se souvient d’un cas où il avait passé une heure et demie à masser le cœur d’un malade avant de le ramener à la vie. «Par contre, reprend le Dr Saab, on ne récupère jamais d’une mort cérébrale». Le plus difficile pour la famille c’est de voir le «mort» avec un tube dans la bouche et relié à un respirateur. Il s’agit de ce qui peut être interprété comme «un dernier soubresaut» auquel la famille veut s’accrocher à tout prix. «Ils (les parents) vont relever que les médecins continuent de traiter le malade (pour garder ses organes en état de fonctionnement au cas où ils autoriseraient le don) et de s’occuper de lui. On a vraiment l’impression qu’il est vivant, alors qu’il ne l’est plus. Et voilà que l’on vous demande de prélever ses organes !», affirme le médecin, qui rappelle l’importance du «matraquage médiatique» afin que les gens comprennent la signification de la mort cérébrale et réalisent l’importance du don. Il y a aussi, ajoute-t-il, la confiance dans l’équipe médicale qui va assurer aux parents que le patient est en état de mort cérébrale. «D’ailleurs, dit le chirurgien, les critères sont juridiquement codifiés» et il ne peut y avoir aucun doute sur leur validité, pas plus que sur le diagnostic ou l’encéphalogramme. Cette confiance de la famille du “potentiel donneur” dans l’équipe médicale est en outre requise dès qu’il s’agit d’expliquer aux personnes concernées les modalités du prélèvement, de leur donner toutes les assurances possibles que le corps du ‘mort’ ne sera pas autopsié et que le prélèvement des organes est fait dans le strict respect et du mort et des règles techniques. Mais là encore c’est tout un ensemble de considérations psychiques, religieuses et même métaphysiques qui entrent en compte. Car, outre les assurances données par l’équipe médicale chargée de prélever un ou des organes, c’est un rapport direct avec le corps qui entre souvent en jeu, comme nous l’explique un psychanalyste, «ce corps dont on refuse jusqu’à l’idée même qu’il ne sera plus...». Toujours, selon ce spécialiste, il y aurait peut-être également des conceptions erronées concernant l’idée de résurrection, qui concernent au Liban les deux religions chrétienne et musulmane. Bref, il y a encore beaucoup à faire, mais l’important pour commencer est de comprendre avant tout qu’un don d’organe est un acte imprégné d’altruisme et de générosité qui permet de donner une dimension et un sens autre à notre vie. Un acte purement désintéressé, dont la noblesse fera peut-être oublier paralysie culturelle et craintes métaphysiques...
La médecine, comme tout autre profession, ne peut être conçue que sous l’angle d’une déontologie qui doit être religieusement respectée. Mais il est peut-être un domaine particulier où l’éthique médicale dépasse les simples valeurs humanitaires et altruistes pour inclure des considérations culturelles, religieuses et même métaphysiques. Le don d’organe pose ce genre, de...