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Environnement - Eau polluée, carrières dévastatrices, constructions anarchiques Le saccage de la nature : appât du gain et absence de civisme (photos)
Par KARKABI Sami, le 21 avril 1999 à 00h00
Comment se fait-il qu’un pays comme le Liban, fier de ses écoles, de ses universités et de ses facultés, donnant régulièrement naissance à de nombreux urbanistes, architectes, ingénieurs, écologistes, géologues, hydrogéologues, avocats, sociologues, anthropologues, archéologues, médecins, historiens, économistes, politologues..., n’ait pas pu, par l’intermédiaire de ses diplômés, prévenir les exactions faites à son environnement ? Il est vrai que quelquefois, un titre universitaire, qui permet d’accéder à un poste de prestige social, ne suffit pas à éveiller la sensibilité requise permettant d’observer, aimer, sauvegarder le paysage qui nous entoure. C’est pour cela qu’au-delà des diplômes, la «culture», sans vouloir la dissocier du «savoir», implique un comportement particulier, régissant réflexion et sens civique, propres à concourir à la sauvegarde de l’environnement. Il est vrai que celui-ci reste un sujet constant d’inquiétude au Liban où la nature est soumise à une permanente agression de la part de nombre de citoyens. La presse libanaise a toujours été le porte-parole fidèle de ceux qui ont tenté d’attirer l’attention des responsables sur la déprédation de la côte, de la montagne, des plaines et des sites naturels. Nous ne reviendrons pas là-dessus, ce dossier est trop important pour être traité en quelques lignes. Notre but n’est pas de culpabiliser nominalement ceux qui ont à un moment ou à un autre contribué au processus de dégradation de notre milieu naturel, mais tenter d’analyser la situation née d’un procédé dont les causes restent à déterminer. Faut-il les trouver dans l’insouciance du devenir, de celui d’une modernisation alliée à la politique locales ou plus simplement dans l’appât du gain facile (économique), évidence que nul ne contestera ? Afin de ne pas encombrer ce dossier, nous ne prendrons qu’un exemple illustrant notre démarche : la pollution des eaux souterraines. – Le Liban souffre depuis des années d’épidémies d’origine bactérienne, dues aux eaux de source impropres à la consommation. Prenons le cas du Kesrouan où les preuves fournies quant à la contamination des eaux de la rivière souterraine de Jeita remontent à 1923, auxquelles nons joindrons le constat des dernières analyses bactériologiques des sources de la région, établies en 1989. 1923. Le général Weygand réclame, par exécution de la décision N° 1998 du 26 juillet 1923, une étude du régime des eaux du Nahr el-Salib dans ses rapports éventuels avec le bassin inférieur de Nahr el-Kalb. La raison en est d’arbitrer un conflit né entre la Société des eaux du Liban et la Compagnie des eaux de Beyrouth. La première ayant concession de distribution des eaux destinée à l’irrigation des villages du Kesrouan jusqu’à Ghosta, en provenance de Nahr Bou-Roqaa qui coule au pied de Meyrouba, la seconde prétendant que ces mêmes eaux s’infiltrent dans le lit de cette même rivière pour réapparaître dans celle souterraine de Jeita privant dans ce cas la capitale libanaise d’un apport supplémentaire d’eau potable. Afin de vérifier les faits, une coloration à l’uranine eut lieu du 4 au 6 septembre 1923 dans le Haut Kesrouan. Elle a réapparu dans Jeita 6 jours plus tard. Nous n’en voulons pour preuve que la lettre adressée le 11 septembre 1923 par M. Albert Naccache, ingénieur délégué de la Cie des eaux de Beyrouth, à M. Peyrabon, président de la commission d’étude de Nahr el-Assal, dans laquelle il témoigne de la présence du colorant et réclame la consignation de cet événement dans un procès-verbal. Ce constat nons indique clairement qu’il existe un lien direct entre les calcaires du Haut et du Bas Kesrouan. Le bassin versant de Nahr el-Kalb est, de par son extrême perméabilité, soumis à des infiltrations superficielles et devient dès lors un important véhicule de contamination dont la principale victime serait la rivière souterraine de Jeita. Pour quelles raisons, à partir de cette information, n’a-t-on point pris, depuis, les précautions nécessaires pour prévenir ce fléau en interdisant aux immeubles et villas de cette région d’évacuer leurs eaux usées dans des fosses à fond perdu ? Plus criminel encore, pourquoi a-t-on permis que les eaux usées de deux grandes agglomérations du Haut Kesrouan soient acheminées et déversées dans des ouvertures naturelles (gouffres) polluant irrévocablement de nombreuses sources du massif en question ? Fallait-il attendre 1988, soit 65 ans plus tard, pour qu’une étude globale des sources du Kesrouan réalisée sur 25 point d’eau, sous les directives du Dr Joseph Hatem et publiée dans la revue al-Ouatouate (N° 4 1989), démontre que 84% de ces sources sont considérées comme un danger actuel et potentiel du point de vue de la santé publique? Nous passons sous silence le drainage à ciel ouvert de certaines fosses dites septiques ou de leur débordement sur la voie publique, dans les terrains avoisinant les habitations ou encore carrément dans les cours d’eau pérennes. Ces négligences sont-elles une responsabilité d’ordre public ou personnel ? Certes les deux à la fois, car il est improbable que leurs auteurs n’aient point pris conscience de leur action néfaste. Modernisation et politique locale Chez les sociologues, le mot modernisation continue d’être l’objet d’une discussion sémantique serrée. Les géographes tiennent, pour leur part, compte dans leurs hypothèses des implications temporelles de l’organisation de l’espace, comprenant des éléments d’ordre économique, social ou politique. Au sens large du terme, on pourrait aussi retenir celui de l’organisation de l’espace conforme aux besoins d’aujourd’hui. Ces définitions théoriques ne correspondent que latéralement aux conditions libanaises. L’exploitation de l’espace sous couvert de modernisation se fait, en de nombreux cas, au détriment des intérêts économiques et publics donc de l’environnement. Venons-en aux faits : tels, gros bonnet, personne argentée, député ou ministre, décident de percer une route en un lieu boisé hors de toute agglomération rurale ou urbaine pour leur convenance au dans le but de rendre service à des amis, électeurs potentiels. L’autorisation du ministère concerné est accordée sans délai, ceci est monnaie courante. Que se passe-t-il puisque généralement on envoie un tracteur ou un bulldozer avec un conducteur dont le souci dernier est de protéger le site, travaillant rapidement nonobstant le saccage des lieux ? Quelquefois, et c’est souvent le cas, le site est abandonné, sillonné de profondes cicatrices, alors que les arbres, dont les racines sont mises à nue, sont irrémédiablement perdus. La montagne libanaise, pour peu que l’on prenne la peine de l’observer, est de ces exemples. Ce scénario peut avoir une suite. La route percée, macadamisée à la va-vite, sera bordée de maisons, d’immeubles souvent inachevés qui trancheront à leur tour face à un environnement bâti traditionnellement. La modernisation de l’habitat doit tenir compte des impératifs du confort et de l’hygiène alors que l’on produit des bâtiments prétendûment modernes copiés sur les concepts occidentaux. Admettons (à contrecœur) que tout va pour le mieux. Peut-on nous dire, puisque le courant électrique est également signe de modernisme, les raison pour lesquelles on a flanqué à travers tout le Liban, telles des chenilles processionnaires, ces dizaines de milliers de poteaux électriques de couleur jaune, dont certains sont démunis de câble et qui constituent une véritable insulte à l’harmonie de la nature ? Les techniques nouvelles de transport électrique ont sans doute échappé à nos commanditaires, à moins que... Et là, nons glissons lentement vers le troisième point que nos aurons à soulever : l’économie ou l’exploitation abusive de l’espace géographique au détriment de l’environnement. Le gain facile Urbanisme sauvage, domaine public défiguré, carrières dévastatrices... environnement à la dérive... L’œil s’est-il adapté au laid ? Ou le laid n’est-il qu’une illusion de notre vision du beau ? Les espaces habitables dans lesquels nons vivons (en avons-nous le choix ?) ont, suivant la loi, été exécutés selon des critères bien établis sous la surveillance d’urbanistes et d’architectes. Pourrions-nous savoir quel est le modèle, non point du beau car tout est relatif, mais de celui de l’équilibre des formes, de leur harmonie et le leur intégration à l’environnement, auxquels les promoteurs se sont référés ? Quelle justification donner à ceux qui habitent les collines surplombant la baie de Jounieh (ou ailleurs) qui, du jour au lendemain, ont vu le paysage de la mer et de la montagne éclipsé par un immeuble surgi face à leurs fenêtres et balcons ? Quant au littoral, le bord de mer, les plages de sable ne sont plus qu’un vague souvenir depuis que la côte a été défigurée, privatisée et éhontément exploitée. Il est vrai que le bronzage ne nécessite qu’une dalle de béton et que la natation hors piscine n’est réservée qu’aux marginaux. Faut-il rappeler la construction de certaines jetées ensevelissant et débordant sur des sites archéologiques, mémoire de notre civilisation ? Désintégration de l’environnement et mépris de l’autre forme de culture. Les carrières, à l’origine de la destruction de sites préhistoriques et de la pollution de l’atmosphère et des cultures avoisinantes, auraient définitivement réduit à l’état de ruine le paysage du Liban n’était la persévérance de certains groupes à défendre l’environnement. La mission de ces groupes bénévoles est loin d’être terminée. Sans doute difficile à accomplir. Lutte inégale entre le vénal et la modicité de l’intervention, entre le vénal et l’acculturation. Pour clore ce rapide aperçu, voici un témoignage personnel sur l’intransigeance et le refus d’un ex-ministre du Tourisme quant à la réhabilitation d’une carrière en zone touristique. Il s’agit de celle d’Antélias qui a tant fait couler d’encre, et pour cause... Son propriétaire, suite à la découverte d’une grotte parcourue par une rivière souterraine, a décidé de transformer les lieux en attraction touristique. L’étude préliminaire a été confiée à des spéléologues chevronnés, architectes de métier, et spécialistes en aménagement souterrain. Le projet comprenait, outre la visite des grottes, la restauration du site à l’instar de son environnement initial, à savoir la plantation d’agrumes qui faisait la célébrité de la vallée d’Antélias, associée à la construction d’un amphithéâtre géant, profitant de la géographie des lieux, d’un centre sportif, de restaurants, de routes intérieures communiquant avec les différents centres d’intérêt, etc. Le projet fut rejeté par le ministre en personne. Crainte d’une concurrence avec une autre grotte célèbre de la région; ou faut-il chercher la cause ailleurs ? Nous terminerons sur un souhait qui peut-être redonnera quelques espoirs quant à la sensibilisation de la jeune génération à la nature et à l’environnement : rendre obligatoire l’enseignement civique et la découverte de la nature dans les classes primaires et secondaires, avec cours pratiques sur le terrain. De nombreux volontaires répondront à l’appel.
Comment se fait-il qu’un pays comme le Liban, fier de ses écoles, de ses universités et de ses facultés, donnant régulièrement naissance à de nombreux urbanistes, architectes, ingénieurs, écologistes, géologues, hydrogéologues, avocats, sociologues, anthropologues, archéologues, médecins, historiens, économistes, politologues..., n’ait pas pu, par l’intermédiaire de ses...
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