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(supplément) Le secteur bancaire : Premiers signes d'essouflement ?
Par MELKI Roger, le 27 septembre 1999 à 00h00
À contre-courant d’une ambiance globale dépressive, le secteur bancaire libanais a toujours fait preuve d’une grande vitalité et d’une immense capacité d’adaptation aux évolutions conjoncturelles les plus défavorables. Depuis fin 1992 et jusqu’à la mi-juin 1999, il est parvenu à multiplier par 24 ses capitaux propres, à faire passer de 6,6 à 32 milliards de dollars ses dépôts, et de presque doubler la part de sa contribution au PIB confirmant par là sa position de secteur économique à la plus forte valeur ajoutée. Mais pour la première moitié de 1999, la progression des chiffres dans ce secteur s’est fortement ralentie. L’augmentation enregistrée pour le bilan consolidé des banques est de seulement de 2,8% pour les 6 premiers mois de l’exercice en cours contre 22,1% pour l’ensemble de 1998. Les dépôts eux ne progressent que de 3,5% entre janvier et juin 1999, alors qu’ils avaient augmenté de 21,3% pour les 12 mois de 1998. Ce tassement des chiffres bancaires annonce-t-il la fin des années de vaches grasses du secteur ou est-il seulement un signe supplémentaire montrant encore plus l’ampleur de la crise à laquelle semble faire face le pays? Pour certains, les performances des dernières années sont quelque peu trompeuses, et sont le résultat d’une rente de situation liée à la généreuse politique d’endettement public puisque l’État devient, et de loin, le principal client des banques, qui lui accordent aujourd’hui plus de la moitié de l’ensemble de leurs avances. Et pour améliorer encore plus leurs résultats, les banques n’hésitent pas à pratiquer le «mismatching» en souscrivant aux bons du Trésor libanais à long terme alors que leurs dépôts sont essentiellement à court terme. Ce réconfort public serait tel que les banques libanaises sont moins pressées de prêter au secteur privé à un moment où ce dernier est en manque de liquidités, principalement en raison de l’absorption de l’essentiel du crédit bancaire par le secteur public. Si l’État avait été plus raisonnable dans ses dépenses, le secteur bancaire n’aurait-il pas été en dépression à l’image de l’ensemble des agents économiques du pays ? Pour d’autres, les performances du secteur sont loin d’être le seul résultat d’une générosité publique quelconque, et sont surtout liées à la profonde restructuration entreprise par la majorité des banques libanaises et à la nette amélioration de leur productivité. Les banques ont renforcé leurs fonds propres, ont massivement recruté parmi les cadres les plus dynamiques du pays, ont largement modernisé leurs outils d’exploitation et ont fortement diversifié leurs produits et leurs services. Les banques n’ont pas du tout négligé leurs clients privés. Bien au contraire, les agents privés solvables font l’objet d’une concurrence interbancaire très vive et sont courtisés par un grand nombre d’établissements bancaires. En fait, et devant la baisse des opportunités d’investissement en cette période de crise, les banques se doivent d’être très prudentes et sont tenues d’éviter les prêts risqués. D’ores et déjà, les débiteurs privés des banques ont beaucoup de difficultés à tenir leurs engagements de remboursements et de larges provisions sont prises par les banques pour éviter les mauvaises surprises. Les banques ne peuvent donc pas s’engager encore plus sans s’exposer à des pertes. En ce qui concerne le «mismatching», cette pratique doit être examinée dans le contexte particulier libanais avec une quasi dollarisation des avances bancaires au secteur privé alors que les dépôts en LL restent très importants. Les entreprises privés ne veulent pas s’endetter en livres libanaises et la seule opportunité de placement en monnaie nationale est liée aux besoins du secteur public. Cette politique est d’ailleurs menée (et encouragée ?) en étroite collaboration avec la Banque du Liban, qui pourrait soutenir les banques aux premiers signes de retournement de tendance. Ce «mismatching» se traduit favorablement sur les taux d’intérêt débiteurs privés, dans la mesure où il permet aux banques de réduire le «spread» entre taux débiteurs et créditeurs. En effet, la marge d’exploitation bancaire résulte traditionnellement de l’écart entre ces deux taux. Les contraintes de l’exploitation bancaire – réserves obligatoires importantes, sévères limitations des prêts en devises, risques pays et clients élevés, surpaiement des dépôts en devises… – sont autant de facteurs qui pousseraient les banques à relever leurs taux débiteurs. Les marges dégagées par le «mismatching» permettent de limiter cette hausse des taux débiteurs. Les banques ne sont en aucun cas responsables de la hausse des taux d’intérêt liée principalement à la politique d’endettement du secteur privé et à la politique de défense de la livre. Car, face à des taux d’intérêts débiteurs élevés, les banques servent d’un autre côté des taux créditeurs eux aussi très hauts. Leurs marges sont fixées en fonction d’un écart entre les taux d’intérêt débiteurs et créditeurs et non en fonction de leur niveau. Position paradoxale Contrairement à la rumeur colportée, la hausse des taux d’intérêts n’est pas du tout favorable aux banques. Des taux à deux chiffres limitent considérablement leurs opportunités de placement. L’endettement des entreprises est justifié par les marges d’exploitation qu’elles peuvent dégager. Si ces marges sont dévorées par les taux d’intérêt bancaires, les agents auront tendance à limiter leurs demandes de crédits bancaires. Dans de telles conditions, seuls les opérateurs à court de liquidités et à hauts risques sont demandeurs de facilités bancaires. Les banquiers sont peu pressés à satisfaire une telle clientèle. Il est clair que le secteur bancaire, plus que tout autre secteur économique, est sujet aux répercussions de l’environnement économique. L’endettement public peut avoir des effets bénéfiques sur certains agrégats comptables, mais il ne pourra en aucun cas assurer la pérennité d’une activité de plus en plus concurrencée. Mais d’autres secteurs, ou les dépenses de consommation des ménages au cours des dernières années, n’ont-ils pas été eux aussi soutenus par les excès des dépenses publiques ? Les banques ont une position paradoxale: d’une part, elles sont accusées de négliger les besoins d’un secteur privé en difficulté et de privilégier un financement public qui leur assure des marges très confortables et, d’autre part, elles constituent un recours pour un grand nombre d’agents qui les sollicitent pour de nouvelles formes de financement et pour des besoins de plus en plus diversifiés. Dans un environnement économique difficile, le secteur bancaire est certainement un recours, mais aussi il doit être très prudent pour éviter tout dérapage. Modernisation et diversification Avec le retour au calme et la normalisation au début des années, les banques ont très vite engagé le redressement. Elles ont eu à faire face à des problèmes internes de structuration et de développement humain et ont dû développer des ressources et des emplois. Ces efforts ont essentiellement porté sur trois axes: le renforcement des fonds propres, la réorganisation des structures internes d’exploitation et la diversification des opérations et des services bancaires. De moins de 145 millions de dollars en 1992, les capitaux permanents passent à 2,71 milliards de dollars en juin 1999. Ces fonds ne représentaient que 1,8% du total du bilan consolidé en 1992. Ils se situent actuellement à plus de 7,2%. Cette forte hausse s’explique par plusieurs facteurs. En premier, on retiendra la vigilance de la Banque du Liban qui, dans le cadre d’une consolidation des structures bancaires, a imposé aux banques libanaises des fonds propres minimum en fonction de leurs engagements auprès de leurs clients. Pour se conformer à ces directives, les banques ont réintégré une grande partie des bénéfices réalisés au cours des derniers exercices. Elles ont aussi procédé à la réévaluation de certains de leurs avoirs immobilisés, selon les normes prévues par les autorités monétaires et à la libération d’une partie des provisions constituées pour faire face aux créances douteuses antécédentes. Enfin, elles ont ouvert leurs capitaux à de nouveaux investisseurs et ont eu recours à des instruments de crédit divers sur les marchés financiers internationaux. Ce renforcement des fonds propres s’est souvent consolidé par des fusions, des acquisitions et des redéploiements bancaires. D’importants mouvements ont été observés au cours des derniers mois et pourraient s’accélérer à court et moyen terme. Parallèlement à cette consolidation des capitaux propres, les banques ont lourdement investi dans l’amélioration de leurs structures d’exploitation et la modernisation de leurs instruments professionnels, que ce soit les équipements, les programmes ou les procédures. Elles ont investi encore davantage dans les systèmes informatiques et les technologies des communications pour l’échange et le traitement des données. Elles ont continué à embaucher et surtout à former et recycler leurs ressources humaines. Tout en maintenant son activité d’intermédiation classique, le secteur bancaire a développé de nombreux produits bancaires, rattrapant souvent les retards dus aux longues années de crise. Les stratégies n’ont pas été identiques pour toutes les banques. Comme pour tout agent économique, la banque peut poursuivre plusieurs objectifs: croissance du chiffre d’affaires, maximisation des profits, modernisation des structures. Ils sont généralement menés de front, mais les priorités et les approches peuvent différer. Il est certain que le secteur bancaire a réalisé une grande modernisation répondant au mieux aux attentes des clients. Sur le plan des produits et des opérations bancaires, les banques libanaises ont procédé à de nombreuses innovations. En plus du traditionnel «wholesale» et du «private banking», les banques libanaises développent des produits bancaires nouveaux. Certains de ces produits sont orientés vers les consommateurs alors que d’autres s’adressent aux entrepreneurs. En effet, on assiste a une réorientation de la banque dans un souci d’équilibre d’exploitation vers une diversification des créneaux de placements afin d’accompagner la croissance économique. C’est dans cette perspective que s’inscrivent, par exemple, les nouveaux mécanismes de crédit et de financement à moyen et long terme pour l’habitat, les produits bancaires à la consommation, les cartes de crédits, les produits de l’assurance, le «leasing»... Cette diversification permet une meilleure gestion du risque tout en maintenant des taux d’intérêt avantageux. À signaler aussi qu’au cours des dernières années, les banques ont efficacement contribué, d’un côté à la réussite des émissions de bons en eurodollars pour le compte du Trésor, tant au niveau de la souscription que de la diffusion. Elles ont, d’un autre côté, géré avec succès plusieurs emprunts consolidés pour le financement de sociétés, d’entreprises industrielles, commerciales, touristiques et quelques projets de reconstruction comme elles ont aussitôt reprêté les fonds empruntés à l’IFC et aux banques qui y sont affiliées. L’introduction des produits nouveaux ne répond pas uniquement à un souci de rentabilité directe mais s’inscrit aussi dans le cadre de la politique de communication d’une banque. Souvent, l’annonce du lancement d’un nouveau plan d’épargne ou d’une innovation en matière de crédit à la consommation s’accompagne d’une intense campagne publicitaire thématique. POSTES DU BILAN Déc 1992 Déc 1993 Déc 1994 Déc 1995 Déc 96 Déc 97 Déc 98 Juin 99 ACTIF Réserves 364 839 1 692 2 219 2 821 4 077 4 319 4 141 Billets et monnaie divisionnaire 24 29 41 51 62 75 74 83 Dépôts à la BDL 340 810 1 651 2 168 2 759 4 001 4 245 4 058 Créances sur le secteur privé 2 614 3 447 4 736 6 466 8 175 10 119 12 389 13 290 En livres 237 369 618 801 1 046 1 301 1 375 1 508 En devises 2 376 3 078 4 118 5 665 7 129 8 817 11 013 11 782 Créances sur le secteur public 1 686 2 345 4 195 4 981 7 771 8 667 11 898 12 377 dont: bons du Trésor en LL 1 677 2 344 4 144 4 788 7 397 7 995 9 806 9 971 bons en devises 0 0 49 157 305 601 1 995 2 312 Créances sur l’extérieur 3 169 4 115 3 806 3 971 4 329 6 014 6 621 6 271 Non résidents 178 186 224 235 389 374 409 391 Banques non résidentes 2 942 3 860 3 509 3 647 3 772 5 322 5 642 5 245 Autres avoirs extérieurs 50 68 73 89 169 318 570 636 Immobilisations 78 151 247 463 742 833 1 086 1 225 Actifs non classés 51 96 70 106 121 175 180 221 TOTAL 7 962 10 993 14 745 18 205 23 958 29 884 36 493 37 524 PASSIF Dépôts du secteur privé 6 018 8 421 11 346 13 663 17 722 21 812 25 746 26 768 Dépôts à vue en livres 214 247 299 318 367 449 503 475 Autres dépôts en livres 1 738 2 434 4 341 5 071 7 891 8 246 9 610 10 204 Dépôts en devises 4 067 5 740 6 706 8 274 9 465 13 117 15 633 16 089 Dépôts du secteur public 58 89 155 164 184 142 229 227 Dépôts des non résidents 598 814 1 010 1 302 2 049 3 446 4 833 4 899 En livres 73 92 122 246 345 430 429 481 En devises 526 722 888 1 056 1 704 3 016 4 404 4 418 Engagements envers les banques non résidentes 326 385 570 761 941 743 1 076 867 Obligations --- --- --- --- 210 215 246 244 Capitaux permanents 144 259 410 718 1 252 1 958 2 401 2 710 Fonds propres de base 100 212 371 684 1 111 1 651 2 100 2 396 Fonds propres complémentaires 44 47 39 34 141 307 300 314 Passifs non classés 818 1 025 1 254 1 597 1 601 1 568 1 962 1 809 TOTAL 7 962 10 993 14 745 18 205 23 958 29 884 36 493 37 524 Taux de change LL/USD 1 838 1 711 1 647 1 596 1 552 1 527 1 508 1 508 Source: Bulletins trimestriels de la BDL pour les années 92 et 93 et rapports mensuels de l'Association des banques 1994-1999
À contre-courant d’une ambiance globale dépressive, le secteur bancaire libanais a toujours fait preuve d’une grande vitalité et d’une immense capacité d’adaptation aux évolutions conjoncturelles les plus défavorables. Depuis fin 1992 et jusqu’à la mi-juin 1999, il est parvenu à multiplier par 24 ses capitaux propres, à faire passer de 6,6 à 32 milliards de dollars ses dépôts, et de presque doubler la part de sa contribution au PIB confirmant par là sa position de secteur économique à la plus forte valeur ajoutée. Mais pour la première moitié de 1999, la progression des chiffres dans ce secteur s’est fortement ralentie. L’augmentation enregistrée pour le bilan consolidé des banques est de seulement de 2,8% pour les 6 premiers mois de l’exercice en cours contre 22,1% pour l’ensemble de 1998. Les...
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