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Social - L'Upel, 63 ans au service des mineurs et des délinquants Parcours atypique d'une association humanitaire(photos)
Par KARAM Kozette, le 09 septembre 1999 à 00h00
Peu de Libanais sont véritablement conscients du problème posé par les délinquants juvéniles dans leur pays. Comment ces enfants sont-ils traités ? Qui les prend en charge, notamment lorsqu’ils sont condamnés par la justice pour des délits divers ? Ont-ils la possibilité de bénéficier d’une quelconque réhabilitation, prélude à une éventuelle réinsertion dans la société ? Une organisation non-gouvernementale peu connue du public, «l’Union pour la protection de l’enfance au Liban» (Upel), joue un rôle de premier plan dans ce domaine. L’action de l’Upel comporte essentiellement deux aspects: le service social auprès des tribunaux de mineurs – accompli par les assistantes sociales de l’association – et la supervision de l’exécution d’un jugement. Cette association assure la charge du service social dans les six mohafazats. Selon la loi, tout procès de mineur est entaché d’illégalité sans la présence d’un délégué de l’Upel. L’assistante sociale est chargée d’étudier le cas de l’enfant pour présenter au juge des mineurs son rapport, proposant les mesures qu’elle estime nécessaires pour sa rééducation . Cinq «mesures éducatives», prévues par la loi, peuvent être prises par le tribunal: la «protection», la «surveillance», la «rééducation», la «correction» et la «sanction pénale atténuée». La «protection» est une mesure éducative qu’on applique aux mineurs pré- délinquants. Dans la plupart des cas, les parents qui ne sont plus en mesure de maîtriser leur enfant s’adressent à l’assistante sociale, au bureau de l’Upel situé dans leur région. Celle-ci mène alors une enquête et présente son rapport au juge. L’enfant prédisposé à la délinquance est transféré à une institution sociale désignée par le juge. Il y est hébergé jusqu’à l’âge de 18 ans, ou jusqu’à ce qu’il fasse preuve de maturité et d’une bonne conduite. Bien qu’il soit socialement libre, le pré-délinquant reste sous la tutelle de l’Upel. La «surveillance sociale» est décidée par le juge dans l’une des deux situations suivantes: si un enfant âgé de moins de 12 ans, ayant commis un délit ou un crime, est placé en «liberté surveillée», qui consiste à le remettre à sa famille sous la surveillance de l’Upel; si un mineur est placé dans une maison de rééducation en attendant d’avoir 18 ans. La surveillance sociale de l’Upel demeure requise au stade actuel en raison de l’absence d’une Maison de correction qui devrait prendre en charge les cas difficiles des adolescents majeurs qui ne peuvent être incarcérés dans la prison pour adultes de Roumieh. La modification de la mesure éducative est proclamée par le tribunal des mineurs, à la demande du directeur de la Maison de rééducation, sur base des rapports de l’assistante sociale qui a pris le mineur en charge. L’une des assistantes sociales rattachées à la Maison de rééducation de l’Upel, Mme Mirna Bou Habib, souligne sur ce plan en toute franchise que « la surveillance sociale n’est pas ce qu’elle devrait être, en raison du nombre très limité des assistantes sociales affectées aux tribunaux de mineurs (actuellement 12 pour tout le Liban), et des rétributions afférentes à la fonction, qui laissent à désirer». Quant à la Maison de correction qui devrait accueillir les jeunes de plus de 18 ans et être régie par des règlements plus stricts que ceux appliqués à la Maison de rééducation, elle a fait l’objet d’une étude préliminaire de la part de l’Upel. Une telle institution n’a toutefois jamais vu le jour, faute de locaux et de moyens financiers. La cinquième mesure éducative qui peut être prise par le tribunal des mineurs est la «sanction pénale atténuée» qui ne s’applique qu’aux délinquants âgés de 12 à 15 ans. L’adolescent est détenu dans une prison, mais le délit ou le crime commis est à moitié pénalisé. Théorie et activités pratiques Le décret 16 058 du 10/4/1964, autorisant le ministère des Affaires sociales à confier la direction et la gestion de la Maison de rééducation à une association privée, en l’occurrence l’Upel, a été promulgué par le président Fouad Chéhab. Avant la guerre de 1975, l’Upel avait à sa charge quatre genres d’institutions: le Centre d’observation pour les mineurs en détention préventive, la Maison de rééducation pour les mineurs ayant fait l’objet d’un jugement, la Maison de correction pour les cas difficiles parmi les adolescents et un foyer pour ceux qui, suffisamment rééduqués, étaient capables de travailler en usine, encadrés par des moniteurs. Les combats qui ont éclaté en 1975 n’ont épargné qu’une seule de ces institutions, la Maison de rééducation. Transférée à Fanar, celle-ci peut recevoir 30 mineurs, elle est actuellement dirigée par M. Georges Matar, éducateur spécialisé, diplômé de l’État libanais. Une assistante sociale, un psychologue, une infirmière, ainsi qu’un cuisinier intendant et des maîtres d’ateliers contribuent à la gestion de cette Maison de rééducation. L’enseignement y est divisé en deux sections : les leçons théoriques primaires (l’avant-midi) et les activités pratiques (l’après-midi). «L’exiguïté de notre local nous empêche de faire de grands travaux manuels, souligne M. Matar. Nous avions mis en place, il y a quelques années, une petite usine dans laquelle les mineurs exécutaient des travaux de menuiserie et de forgeage, mais l’entourage fut gêné par les bruits et la poussière qui en résultaient. Nous avons opté alors pour une autre pratique manuelle plus calme et plus “propre”: les travaux d’électricité». Ces sessions sont prises en charge par le Mouvement social qui en organise deux ou trois par an. Un certificat émanant de l’institution organisatrice de l’atelier est délivré aux «jeunes électriciens» à la fin de chaque session. «Un autre groupe de mineurs a été initié, par ailleurs, à l’art de la couture, souligne M. Matar. Mais là aussi, nous avons malheureusement été obligés d’arrêter cette activité au bout d’un an, car nous sommes incapables de financer l’entreprise». M. Matar précise qu’il s’emploie à engager un couturier qui serait prêt à gérer et à exploiter cet atelier tout en prenant en considération le mérite des adolescents. Une quinzaine de délinquants ont, par ailleurs, été envoyés à l’école du père Afif Osseiran, où ils ont appris l’ébénisterie. La Maison de Baassir La Maison de Fanar ne pouvant accueillir plus de 30 mineurs, et en raison de l’augmentation de la délinquance au Liban, l’Upel a ouvert une deuxième Maison de rééducation à Baassir (Chouf), grâce à un don de l’État décidé par M. Rafic Hariri. «Relevant d’une seule association et d’un seul comité, les deux maisons partagent un esprit et suivent les mêmes principes de base. Les différences se situent au niveau de certains points de détail», affirme M. Samih Osseiran, directeur de la Maison de rééducation à Baassir. Là, les avant-midi sont consacrés aux leçons de langue arabe et d’hygiène pour ceux qui savent lire et écrire, ou à l’instruction des illettrés, sans compter les ateliers techniques. Les après-midi sont consacrés aux activités de divertissement. Une ou deux heures sont consacrées à la télévision avant le coucher. Les cours sont suspendus durant les repos hebdomadaires et les jours fériés. Deux jours par semaine sont réservés aux visites des parents, et un jour à celles du médecin et du psychologue. En cas de problème de santé, les frais d’hospitalisation sont assumés par l’Upel pour les mineurs ayant fait l’objet d’un jugement ou par la direction des F.S.I. pour les mineurs en état d’arrestation. Des maîtres d’ateliers initient les enfants à la menuiserie, à la ferronnerie et à l’agriculture. «Nous faisons en sorte qu’ils acquièrent un savoir-faire manuel, leur permettant de mieux aborder l’avenir dans le monde du travail», souligne M. Osseiran. Au sujet de l’instruction des illettrés, M. Samer Kheil, instructeur en charge de l’alphabétisation, nous fait part de son programme, des résultats et des difficultés rencontrées. «J’essaie d’adopter une méthode simple et intéressante, affirme-t-il. En classe, nous nous mettons d’accord sur un thème, le “respect” par exemple. Sur ce sujet, chaque élève pense à une idée qu’il nous communique oralement et que j’inscris au tableau. Nous choisissons ensuite la phrase qui définit le plus le mot “respect” et nous effaçons les autres. De cette phrase, poursuit-il, nous choisissons un mot dont nous retirons une lettre de l’alphabet qui constituera l’axe central de la leçon». Selon M. Kheil, cette méthode d’enseignement collectif donne l’occasion à tous les enfants d’exprimer leurs pensées. «Autrement, ils seront sans doute ennuyés et n’assimileront plus rien». La classe est formée d’une vingtaine de mineurs analphabètes que M. Kheil initie à la lecture et à l’écriture trois jours par semaine, à raison de 2 heures par jour. «Toutefois, le fait d’héberger dans cette maison des mineurs jugés et des mineurs arrêtés sans avoir fait l’objet de jugements nous empêche d’établir un programme d’instruction à long terme, adapté à tout le monde», souligne M. Kheil qui précise à ce propos: «Les nouveaux adolescents accueillis dans cette maison ne peuvent pas poursuivre avec nous les leçons d’alphabétisation que nous avons entamées depuis des semaines déjà. Cela m’oblige à diviser la classe en deux groupes, suivant deux horaires différents. Mais certains adolescents arrêtés sans avoir été jugés ne tardent pas à nous quitter, n’ayant même pas eu le temps d’achever la moitié du programme», conclut-il. Il reste qu’au-delà de l’aspect purement pédagogique de cette prise en charge, le travail effectué par les responsables et les membres de l’Upel prend toute son ampleur du fait de l’affection et de l’intérêt manifestés à l’égard de ces adolescents . Car il n’y a pas de «criminel-né», comme le prétendait la théorie de Lombroso, médecin et criminaliste italien. C’est toute une série de facteurs personnels, familiaux, sociaux et surtout économiques qui sont à la base de la délinquance juvénile. Ces adolescents meurtris, avec un corps de 15 ans et un esprit de 40 ans, ont besoin d’amour autant que de l’air qu’ils respirent. Sinon, ils deviennent eux-mêmes incapables d’aimer en grandissant.
Peu de Libanais sont véritablement conscients du problème posé par les délinquants juvéniles dans leur pays. Comment ces enfants sont-ils traités ? Qui les prend en charge, notamment lorsqu’ils sont condamnés par la justice pour des délits divers ? Ont-ils la possibilité de bénéficier d’une quelconque réhabilitation, prélude à une éventuelle réinsertion dans la société ? Une organisation non-gouvernementale peu connue du public, «l’Union pour la protection de l’enfance au Liban» (Upel), joue un rôle de premier plan dans ce domaine. L’action de l’Upel comporte essentiellement deux aspects: le service social auprès des tribunaux de mineurs – accompli par les assistantes sociales de l’association – et la supervision de l’exécution d’un jugement. Cette association assure la charge du service...
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