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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le ministre Georges Corm à l'Orient Le Jour Trois ans pour juguler le déficit et relancer la croissance

Avant la présentation du projet de loi de finances, il est prématuré de fixer les limites d’une action propre au gouvernement. Ce qui n’empêche pas de grands axes d’être définis, conformément aux déclarations faites devant le Parlement. Le passage d’un Cabinet à l’autre implique des changements dans les objectifs et la manière de gérer les affaires de l’État. Ces changements ne peuvent êtres opérés du jour au lendemain. Toutefois certains traits généraux existent. C’est ce que s’est proposé de faire M. Georges Corm, ministre des Finances, dans un entretien accordé à «L’Orient-Le Jour». Le jugement est sans appel : l’héritage est lourd et au ministère des Finances, un temps de pause a été nécessaire pour reconstituer les dossiers épars ou disparus, dans une administration sinistrée. Un premier bilan a d’ores et déjà permis d’estimer que la réduction annoncée du déficit budgétaire pour l’exercice 1998 ne tient pas compte de l’augmentation des salaires dans la fonction publique, des créances dues aux hôpitaux et des nombreuses indemnités d’expropriation qui n’ont pas été réglées, soit au total environ 600 milliards de livres libanaises. Pour le grand argentier, «il faut trois ans pour juguler le déficit et relancer la croissance». Il y a deux mois à peine, il avait fallu remettre sur pied le ministère des Finances, reconstituer une base fiable pour une administration aussi importante que délicate. Après l’incendie qui avait presque tout ravagé, on a aménagé des locaux très sobres, une informatique adaptée aux besoins de ce département a été installée et le personnel s’est attelé à la tâche avec une ardeur retrouvée. Ensuite, l’équipe de M. Corm s’est attaquée à l’urgence première : la gestion de la dette publique. Il a fallu tout d’abord intégrer dans le texte en préparation les engagements sur les augmentations de salaires, avec leurs conséquences sur les retraites. Le plafonnement des dépenses publiques a représenté, lui aussi, un élément primordial dans le dégraissage en cours. Là encore, la marge de manœuvre est étroite; il convenait d’éviter le recours à des moyens financiers susceptibles a priori de soulager la gestion de l’État, mais qui coûteraient très cher au pays. Les traitements Le service de la dette, qui représente un tiers des dépenses de l’État, reste le premier poste dont la gestion doit être revue. Les traitements des fonctionnaires représentent un autre écueil, mais de moindre importance, selon M. Corm. Sur ce point, une politique de rigueur a été certes lancée, mais une épuration en masse dans l’administration n’est pas envisagée. En réalité dans le nombre de 220 000 fonctionnaires qui a été avancé, il n’existe que 75 000 civils, le reste étant constitué de membres de l’armée et de retraités. Pour le ministre des Finances, il faudrait cadrer les éléments vacataires compétents d’un côté et, d’un autre côté, supprimer le maximum de postes temporaires. L’administration reprendrait alors le rôle qui était le sien avant l’apparition des administrations parallèles. La première étape est claire : le déficit budgétaire doit non pas forcément diminuer en valeur absolue, mais être réduit en fonction des revenus du pays, illustrés par le PIB (produit intérieur brut). Actuellement, toutes les prévisions s’accordent sur un taux de déficit d’environ 15 % du PIB. L’objectif durant les deux prochaines années serait d’abaisser ce taux à 5 ou 7 %, par une politique de rigueur. Par la suite, avec un retour escompté de la croissance, le taux devrait se situer autour de 3 %, un taux de référence pour l’adhésion des pays candidats à l’Union européenne. Ce plancher devrait etre atteint dans cinq ans. Cet élément permettrait des normes acceptables lors des négociations commerciales avec les partenaires européens. Une réduction des dépenses devrait abaisser le montant des factures de 99 à 85 % par rapport à 98, en tenant compte des postes imprévus qui font l’objet d’une enveloppe séparée. Deuxième moyen d’action : nombre de porteurs de bons du Trésor ont des dettes croisées. C’est-à-dire que les créances des uns et des autres peuvent êtres compensées entre détenteurs de bons. Sans créer de marché secondaire, cela permettrait un dégraissage important et efficace, sans risquer de créer un nouveau volume monétaire, source d’inflation. Pas de hausse des impôts Un autre moyen de réduire le déficit réside dans l’augmentation des recettes. Celle-ci se fera, dans un premier temps, par un élargissement de l’assiette de l’impôt. La collecte devrait être mieux organisée et des contrôleurs-percepteurs seront recrutés en masse. Actuellement, l’administration fiscale ne dispose que de 320 contrôleurs (un contrôleur pour 13 000 contribuables !), alors que 2 000 à 3 000 agents seraient nécessaires. Afin d’augmenter l’efficacité des collectes, des incitations fiscales seront établies. Une collaboration avec le Canada a déjà permis un début de réforme du système informatique. Un institut de formation franco-libanais se montre particulièrement efficace et bientôt, sera exécuté un imposant programme, en coopération avec l’Union européenne, en vue de la mise en place de la TVA. Cet impôt indirect, que l’on dit être équitable, est un outil important pour réaliser l’abaissement des barrières douanières avec l’Europe, mais aussi avec l’ensemble des pays de la région. Cela implique une structure complexe; deux années seront nécessaires à sa mise en place, délai prévu pour les négociations avec l’OMC (Organisation mondiale du commerce). M. Corm considère que «par la suite, une réforme pourrait être engagée sur l’impôt sur le revenu qui serait alors considéré au niveau du foyer et non au titre de chaque activité séparément». «Mais pour l’heure, indique le ministre, pas d’augmentation des taux d’imposition, au niveau des particuliers ou des sociétés. Dans le futur, si une augmentation de la fiscalité des entreprises est à envisager, elle serait aménagée concernant tous les secteurs d’investissements productifs (industrie, ouverture du capital, etc.)». La fiscalité libanaise doit pouvoir attirer les investisseurs étrangers pour M. Corm. «Toutefois, dit-il, si les investisseurs institutionnels se sont récemment désengagés des marchés émergents, tout doit être mis en œuvre pour que la diaspora libanaise retrouve sa confiance dans la mère-patrie. Nombre de Libanais à travers le monde, issus de la classe moyenne, ne se sont pas reconnus à travers le premier élan de reconstruction qui n’avait plus une taille humaine. Aujourd’hui, les courriers que je reçois sont édifiants quant à la volonté de cette population de participer à nouveau à l’essor du pays. La seule façon d’attirer ces épargnants, détenteurs chacun de quelques centaines de milliers de dollars, réside dans une fiscalité équilibrée, rassurante, c’est-à-dire qui prouve que l’État peut faire face à ses dépenses en entretenant une infrastructure efficace. Il ne sera d’ailleurs pas forcément nécessaire de relever l’impôt, si nous arrivons à gérer en bon père de famille ce pays qui est une mosaïque de petites entreprises. À ce propos, nous devons favoriser le micro-crédit au Liban qui permettra de développer un tissu productif dont nous avons besoin. Le Liban n’est pas Monaco ou résident seulement 300 000 habitants. Avec quelque 4 millions d’âmes, nous devons avoir une agriculture et une industrie et non uniquement des métiers de services, afin que chacun ait un emploi et des revenus. À l’instar de Singapour, le Liban doit se distinguer dans des créneaux industriels de hautes technologies». «La stabilité de la monnaie nationale, affirme encore M. Corm, est notre priorité et d’ailleurs, vu la dollarisation de l’économie libanaise, une dévaluation serait un non-sens. Nous travaillons donc dans le même sens, le gouverneur de la BDL et moi. Cela doit aboutir à un assouplissement de la politique monétaire, à la condition que les taux sur le dollar baissent. Les banquiers de la place devraient donc cesser les surenchères sur les dépôts en devises». Enfin, l’État a des ressources composées des fonds de la CNSS, entre autres. De plus, des crédits lui sont ouverts après de la Banque mondiale et des fonds islamiques. La dette extérieure n’est que de 5 milliards de dollars et pourrait être portée à 8 milliards, si le déficit était contenu à un niveau de 3 milliards de livres libanaises. Les privatisations Privatiser certaines entreprises publiques serait aussi une formule intéressante pour renflouer les caisses de l’État. Toutefois, M. Corm s’empresse de préciser que «l’enjeu n’est pas le même qu’en France par exemple et le parc des entreprises de ce type, réellement privatisable, est restreint. Nombre de régies sont tombées en désuétude et seules des dizaines présentent une réelle valeur. Parmi elles, le domaine des télécommunications est certainement le fleuron actuel ; viennent ensuite les offices des eaux, l’EDL qui pourrait être privatisée par tranches successives et la MEA dont le nombre d’employés est certes au-dessus des normes admises. Mais là encore, il ne faut pas tout centrer sur la seule gestion du personnel. Pour preuve, la MEA a déjà réduit son déficit, alors qu’aucune mesure de licenciement n’a été entamée. En fait, une privatisation réussie ne doit pas être une braderie vengeresse, inspirée par une idéologie quelconque, mais un consensus, un équilibre entre les acteurs économiques. Lorsque les formules auront été élaborées, elles seront proposées au Parlement dans un cadre législatif clair, prélude à des privatisations transparentes et réussies». Par ailleurs, ces privatisations pourraient aussi alimenter utilement la Bourse de Beyrouth qui jouerait alors un rôle public certain.
Avant la présentation du projet de loi de finances, il est prématuré de fixer les limites d’une action propre au gouvernement. Ce qui n’empêche pas de grands axes d’être définis, conformément aux déclarations faites devant le Parlement. Le passage d’un Cabinet à l’autre implique des changements dans les objectifs et la manière de gérer les affaires de l’État. Ces changements ne peuvent êtres opérés du jour au lendemain. Toutefois certains traits généraux existent. C’est ce que s’est proposé de faire M. Georges Corm, ministre des Finances, dans un entretien accordé à «L’Orient-Le Jour». Le jugement est sans appel : l’héritage est lourd et au ministère des Finances, un temps de pause a été nécessaire pour reconstituer les dossiers épars ou disparus, dans une administration sinistrée. Un...