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Actualités - OPINION

Hommage Georges Schéhadé, un soir, dans toute sa vérité

Que dire qui n’ait pas été dit – de l’inédit – en ce jour du souvenir, où il y a dix ans Georges Schéhadé entamait le long chemin de l’absence. Comment tresser une couronne de mots pour la déposer parmi des milliers d’autres au pied de la stèle commémorative imaginaire. Du flot des moments éphémères vécus en sa compagnie émergent trois traits forts et révélateurs sur des aspects ignorés jusqu’à maintenant par ses exégètes et biographes. Me trouvant un matin de 1974 à son domicile d’Achrafieh, non loin de la place Sassine, il me confia non sans quelque fierté qu’en cette saison sept compagnies théâtrales jouaient ses pièces à travers le monde dans des versions variées; à Tokyo, entre autres villes, en langue nippone. Subitement, il retire d’un rayon de sa bibliothèque un livre recouvert de signes hiéroglyphiques qu’il caresse amoureusement, puis me le tend. Nous restons fascinés devant la couverture bariolée de corps multiformes tracés au fusain. Les mots français s’étaient métamorphosés en d’étranges figures-sculptures. «Voilà de quoi me faire rêver à longueur de journée», me dit-il, des mots-images qui s’enchaînent à la manière d’arabesques ininterrompues». L’Orient et sa magie n’avaient cessé de l’habiter. Les honneurs l’effrayaient; il ne voulait pas que l’hommage se passe sous ses yeux. Le théâtre pour lui dans la vie était non de simulation mais d’improvisation. C’est pourquoi à une séance d’hommage de l’Ima à Paris je me tenais à l’écart dans la salle où des orateurs venaient de prendre la parole. Je le vois tout à coup quitter son fauteuil de premier rang et se ruer vers la porte de sortie. Lorsqu’il m’aperçoit, il se dirige vers moi tête en avant et me lance desemparé: «François, je veux me cacher derrière toi, je ne peux plus entendre ce qui se dit sur moi». Bien évidemment je trouve les mots qu’il faut pour le ramener à sa place et à son public. Rendant compte du dernier récital au Monnot de ses poèmes lus par Jean Piat et Roger Assaf, Joseph Tarrab dans ces mêmes colonnes relevait à juste titre que «tout Schéhadé» était, à part son attitude songeuse, dans «la dissimulation du visage». Quel était-il ce visage sinon celui révélé à nous durant cette soirée impromptue passée dans la belle et ancienne demeure de Gérard Khoury, à la veille des événements tragiques de 1975. Il y avait là, réunis autour d’un pot, le peintre surréaliste Jacques Hérold et le romancier Michel Butor, auteur à succés de «La Modification», tous deux invités par le Club des lettres pour une semaine d’animation culturelle. Avec Georges Schéhadé, qui avait été cité par André Breton dans ses «Entretiens», livre considéré comme son testament littéraire, en tant que représentant du théâtre surréaliste, c’est une petite famille spirituelle, traversée de querelles et de conflits, qui se retrouvait là. Hérold, fidèle parmi les fidèles reprochait à Schéhadé sa rupture avec le clan de Breton à un moment où ce dernier battait le rappel de tous ses amis. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, tous les deux ont, à travers leurs explications, passé en revue les péripéties de l’histoire mouvementée du surréalisme. Schéhadé tenait sans conteste le beau rôle. Conteur disert, pamphlétaire acerbe, ironique et enjoué à souhait, acteur hors-pair, il a ce soir-là déployé les multiples facettes de sa personnalité. Oui, ce soir-là, il se trouvait dans son élément. Hélas, les protagonistes de cette veillée mémorable ne devaient plus se revoir. Ceci dit, il ne me reste plus en la circonstance qu’à me replonger dans la lecture de ses poèmes, notamment les derniers inédits parus à Dar an Nahar. Et rêver de tout mon soûl.
Que dire qui n’ait pas été dit – de l’inédit – en ce jour du souvenir, où il y a dix ans Georges Schéhadé entamait le long chemin de l’absence. Comment tresser une couronne de mots pour la déposer parmi des milliers d’autres au pied de la stèle commémorative imaginaire. Du flot des moments éphémères vécus en sa compagnie émergent trois traits forts et révélateurs sur des aspects ignorés jusqu’à maintenant par ses exégètes et biographes. Me trouvant un matin de 1974 à son domicile d’Achrafieh, non loin de la place Sassine, il me confia non sans quelque fierté qu’en cette saison sept compagnies théâtrales jouaient ses pièces à travers le monde dans des versions variées; à Tokyo, entre autres villes, en langue nippone. Subitement, il retire d’un rayon de sa bibliothèque un livre recouvert de...