Actualités - REPORTAGE
Malgré quelques divergences sur l'allégé Les gourmets tous d'accord : la qualité d'abord
Par GEMAYEL Aline, le 06 mai 1998 à 00h00
Aujourd’hui, c’est la journée internationale du no-diet. La cuisine, la vraie, avec ses produits du terroir, ses préparations traditionnelles, ses assaisonnements savoureux, est à l’honneur. L’occasion ou jamais de donner la parole à quelques-uns de nos plus fins gourmets. Plus qu’un simple hobby, c’est tout un art de vivre que confessent les fines fourchettes. Intarissables, volubiles, ils n’ont qu’une envie, vous enrôler. Voyage au pays des mordus, pour une leçon de savoir-vivre... Pour Michel Eddé, fine fourchette, «l’allégé tel qu’on le pratique dans certains cas c’est une horreur. Légumes à l’eau, sans assaisonnement et tutti quanti... Il y a une cuisine minceur qui, quand elle est bien faite, est très intéressante, assure-t-il. La graisse n’est d’ailleurs pas un critère de bonne cuisine». Qu’est-ce qu’un gourmet? «C’est un individu civilisé», répond le ministre. Féru d’histoire, il ajoute «la civilisation byzantine a été l’une des civilisations les plus remarquables; les Byzantins avaient une cuisine très réputée dont on retrouve les traces dans la cuisine grecque, la cuisine turque, et aussi la cuisine des cités du Proche-Orient; et en particulier Alep, Damas, Tripoli et Beyrouth. Un gourmet doit-il nécessairement savoir cuisiner? «Pas du tout. Le célèbre général romain Lucullus, qui est aussi connu pour sa phrase «Lucullus dîne, c’est Lucullus» n’avait jamais mis les pieds dans une cuisine, mais cela ne l’a pas empêché d’être le plus célèbre des gourmets de l’histoire» Et il poursuit, dans un éclat de rire, «si pour être gourmet il fallait aussi savoir cuisiner parfaitement , les gourmets se compteraient alors sur les doigts d’une seule main» La nourriture? «C’est un des plaisirs de la vie», s’exclame le ministre. Et pour preuve il cite pêle-mêle «une salade de haricots rouges plats, de la Békaa-Ouest, avec des cubes de tomates de saison, des oignons verts émincés, du persil haché fin, le tout assaisonné au citron et à l’ail, avec beaucoup d’huile d’olive extra- vierge, première pression à froid... Les pois chiches bouillis fondants assaisonnés au citron, à l’ail et à l’huile d’olive. Les fèves à la soudanaise fondants, parfaitement assaisonnés, avec une touche de cumin... Il y a de quoi avoir les larmes aux yeux!» Intarissable, volubile, à l’instar de tout gourmet, impétueux même au point de vouloir faire partager sa passion, il a l’appétit à fleur de lèvres. «Les gens ne savent plus manger, déplore-t-il. Ils pensent qu’à partir du moment où c’est cher, c’est bon. C’est une ineptie. Le secret d’une bonne cuisine, c’est de l’adapter au calendrier agricole: la viande d’agneau est meilleure pendant la période de Pâques, les trois mois d’avril, mai et juin surtout; le gigot est à cette époque petit, tout rond, et tout fondant. La tomate est un légume qui doit se consommer surtout en été lorsqu’elle est mûre et très aromatisée, et la «baladiyé» est irremplaçable. En France on compte près de deux cents variétés de pomme de terre: les unes sont bonnes pour les frites, les autres pour les soupes ou pour les ragoûts et d’autres encore pour des recettes particulières». « Les cuissons des poissons , des crustacés et de la viande joue- nt un rôle capital». «On ne sait pas chez nous que le poisson doit être servi rose, c’est-à-dire juste cuit. Il garde ainsi toute sa saveur. Les crevettes ou les homards doivent être trempés à peine quelques instants dans l’eau bouillante, sinon cela devient des morceaux de caoutchouc, immangeables. La plupart des poissons sont encore meilleurs quand ils sont consommés crus, émincés ou en tartare, juste marinés dans de l’huile et du citron avec du sel et du poivre. «Quant à la viande de boeuf, elle doit être consommée saignante ce qui n’est pas le cas de la viande d’agneau ou de porc qui peut être consommée rose ou cuite à point ». Gourmet, gourmand, ne font pas toujours la paire. «Le gourmet est souvent gourmand; le glouton n’est pas forcément et même n’est souvent pas gourmet», estime M. Eddé. «Sur une table, ce n’est pas le nombre de plats qui compte, mais c’est surtout une bonne préparation. Des assemblages qui ne pardonnent pas: une salade de choux au vinaigre est un non-sens alors qu’elle doit être assaisonnée au citron et à l’huile. Des côtelettes dans la marmite de feuilles de vigne farcies, c’est un crime parce qu’elles se dessèchent et perdent leur saveur. Les feuilles de vigne farcies sont surtout bonnes avec des pieds et des langues ou des tripes farcis... La Mouloukhiya doit être plongée deux ou trois minutes avant d’être servie, pour qu’elle garde sa couleur verte, fraîche. Présenter les salades et leurs sauces séparément est une absurdité. Les salades doivent être précisement «saladés», c’est à dire qu’elles doivent être enrobés par la sauce afin qu’elles rendent tout leur goût»... La meilleure cuisine, à son avis, c’est la libanaise qui est très variée et savoureuse. «La cuisine française est aussi bonne que la libanaise et aussi plus célèbre et se distingue par une multitude de sauces très appropriées qui sont ses caractéristiques principales ». Pour le ministre Eddé, être gourmet c’est une marque de civilisation et le signe d’une éducation de qualité. C’est une philosophie de la vie et une manière de vivre certainement plus qu’une passion. Pour Fouad Debbas, collectionneur, qui se qualifie lui-même de galant bourgeois, «on peut pardonner à un gourmet de manger. Mais la qualité passe, bien évidemment, avant la quantité». Suivant un régime macrobiotique depuis plus de quinze ans, il affirme que cela ne l’empêche pas d’être un vrai gourmet. «Quand on est fin gourmet, on le demeure, même si cela se réduit à un seul domaine». «J’ai éliminé, dit-il, de ma nourriture tout ce qui provient de l’animal: viandes et laitages, et je ne m’en porte que mieux. La cuisine libanaise est macrobiotique sans le savoir...» Fanatique du mezzé, Fouad Debbas assure que c’est «à l’origine un ensemble de plats froids et «âteh», c’est-à-dire maigre». Il n’est pas indispensable, à son avis, d’être cuisinier. Cependant, «un gourmet est quelqu’un qui sait composer un plat». Fouad Debbas considère que la nourriture est «un plaisir qui dure quand tous les autres s’en vont...» Le comble de la faute de goût, «c’est de boire du vin avec la salade. On peut vider quelqu’un de table pour cela», assure-t-il. Adepte de l’allégé, il trouve qu’il est «moins lourd, plus sain. Les régimes diet sont souvent des régimes où la nourriture est naturelle, elle est présentée sans transformations aucunes...» Son plat favori, «la arnabiyé et le mezzé authentique: 12 plats de légumes...» A peine macho, il affirme que le «mezzé est un plat d’hommes. Cet étalage de préparations différentes est une invitation à la convivialité. On a envie de discuter tout en picorant de-ci, de-là, plus que de manger». Et taquin, il ajoute, «quand les femmes sont à table, elles se jettent sur les plats. Je n’en ai pas rencontré qui sachent apprécier cette combinaison entre convivialité et saveur, qu’offre le mezzé...» Etre gourmet, c’est tout un art de vivre qui s’exerce à table, mais également ailleurs; qui dicte sa loi de la qualité aussi bien pour la qualité d’un mets que pour le grillage du «bézre», bref, les pépins qu’on trouve sur toutes les tables locales. «Il n’y a plus de bons torréfacteurs à Beyrouth» se plaint Fouad Debbas. Tout se perd! Madeleine Pierre Hélou estime qu’un gourmet est «une personne qui sait reconnaître la qualité de ce qu’elle mange». Il est recommandé qu’un gourmet ne soit pas gourmand, «ce dernier mange souvent n’importe quoi. Alors qu’un fin gourmet sait déguster à petite quantité...» La nourriture, «c’est un art merveilleux», s’exclame-t-elle. «C’est un art de convivialité. Le seul qui réunisse définitivement les gens, les incite à se retrouver ensemble. Ce sont des qualités rares et précieuses de nos jours». L’allégé n’est bon que pour «les personnes qui ont des pathologies, affirme-t-elle. Le pain a été reconnu d’utilité publique et on sait que le fromage doit être mangé à petites doses...» La qualité prime la quantité, évidemment. «Le décor d’une table, la disposition des assiettes, des verres... Dresser une table, c’est avoir envie de recevoir l’autre, dans les normes de la bienséance. C’est notre rapport à l’autre, le respect qu’on lui témoigne». Les assemblages impardonnables, de l’avis de Madeleine Hélou, il n’y en a pas. «Le goût, comme toute chose, a évolué. Des associations qui faisaient pousser des hauts cris il y a vingt ans, sont aujourd’hui tout à fait acceptées...» Quant à être partisan de ce genre de mélanges, il y a un pas de géant que Mme Hélou ne franchit pas. «J’aime les plats traditionnels. On peut les dégraisser un peu, mais leur saveur reste unique», estime-t-elle. Son plat favori, «la kébbé méchouiyé, celle du Nord, farcie à la graisse». Dans la cuisine occidentale, ce sont les plats mijotés qui pour elle remportent la palme, et surtout «la bouillabaisse». Quant à la meilleure cuisine, Madeleine Hélou assure que dans chaque cuisine «il y a un plaisir pour le palais». En gourmet gourmand, Lucien Dahdah, fondateur de l’Académie libanaise de gastronomie, estime qu’un gourmet «est quelqu’un qui sait choisir sa nourriture et qui en abuse... Cependant le contraire n’est pas vrai». Une fine fourchette n’est pas forcément aux fourneaux, mais «elle doit savoir de quoi se composent les plats. Quand on sait, on apprécie mieux». La cuisine diététique peut être gastronomique. «D’ailleurs, nous organisons avec l’Académie une semaine de gastronomie diététique à 500 calories. Mais si, c’est possible!» Lucien Dahdah juge, à prime abord, une table d’après son décor. «Comme dit l’adage arabe: «Il faut que l’œil se rassasie avant le palais»». Féru de nouvelle cuisine, à l’instar du grand chef Alain Sanderens, propriétaire du restaurant Lucas Carton, place de la Madeleine à Paris, Lucien Dahdah reconnaît que «la nouvelle cuisine a été portée à l’exagération. Il fallait assembler ce qui ne s’assemble pas. Essayer tout genre d’épices... Pour cela fallait-il encore avoir la main heureuse!» Son plat-roi, «nos anciens mets: une hrissé, une friquée...» Il ne boude pas pour autant les plats français. Une anecdote illustre bien, à son avis, le mode gastronomique français. Mordu de «sole Denis», il raconte s’être retrouvé un jour au restaurant «Chez Denis» à Paris. «Habituellement, quand je suis accompagné, je bois deux vins différents. Ce jour-là, mes invités n’étant pas amateurs de vin, je décidai de ne boire qu’une bouteille de rouge, un Beaujolais de tout premier ordre. Cela ne me gênait pas d’en boire avec le poisson. Le cuisinier arrive à ma table et me dit, «mais cela pourrait gêner la sole!» Selon M. Dahdah, il est de notoriété publique que les cuisines française et chinoise occupent la première et la deuxième place dans le monde. «Nous œuvrons à l’Académie pour placer la libanaise au troisième rang», promet-il. «On peut d’ores et déjà trouver sur la carte du Hilton de Paris un petit déjeuner... libanais»... A quand une «moujaddara» à «La tour d’argent»?
Aujourd’hui, c’est la journée internationale du no-diet. La cuisine, la vraie, avec ses produits du terroir, ses préparations traditionnelles, ses assaisonnements savoureux, est à l’honneur. L’occasion ou jamais de donner la parole à quelques-uns de nos plus fins gourmets. Plus qu’un simple hobby, c’est tout un art de vivre que confessent les fines fourchettes. Intarissables, volubiles, ils n’ont qu’une envie, vous enrôler. Voyage au pays des mordus, pour une leçon de savoir-vivre... Pour Michel Eddé, fine fourchette, «l’allégé tel qu’on le pratique dans certains cas c’est une horreur. Légumes à l’eau, sans assaisonnement et tutti quanti... Il y a une cuisine minceur qui, quand elle est bien faite, est très intéressante, assure-t-il. La graisse n’est d’ailleurs pas un critère de bonne...