Actualités - ANALYSE
Macroéconomique - Un état des lieux controversé Les espoirs fondés sur le nouveau régime
Par DE HAUTEVILLE Gérard, le 30 novembre 1998 à 00h00
À la veille de la formation d’un nouveau gouvernement, les responsables du secteur privé s’interrogent. Quelles vont être les options des dirigeants, en place pour quelques années ? Comment vont-ils mesurer l’impact de leurs décisions sur l’avenir économique du pays ? Dans un pays où les chefs d’entreprise restent les principaux animateurs de la croissance économique, force est de constater que la conjoncture héritée des précédents gouvernants, sans être négative, suscite tout de même quelques interrogations majeures sur l’état des finances. En fait, il est évident que le Liban vit au-dessus de ses moyens. Mais de cela, l’État n’est pas seul responsable. Selon les spécialistes, la question de l’endettement du Liban et des Libanais oblige maintenant à une prise de conscience de tout un chacun. L’appel à l’austérité lancé par le président Lahoud a trouvé un écho pour le moins favorable au sein de la population . Les indicateurs économiques sont présentement bons. Pour qu’ils le restent, un effort national de gestion des déficits est exigé. Aujourd’hui, tous les espoirs sont fondés sur le nouveau régime, à condition que le cap d’une économie de rigueur soit maintenu et qu’il soit tenu compte, s’agissant du volet social, de l’état dans lequel se trouve le Trésor. Alors la confiance, unique facteur manquant, sera au rendez-vous et la croissance se poursuivra. «Le miracle libanais touche à sa fin», déclarait il y a quelques mois un économiste, rédacteur d’un grand journal français. De l’avis de tous les observateurs locaux, cette réflexion semble se vérifier au fil des mois. Néanmoins, la sentence peut aussi signifier que l’économie atypique du Liban a vécu et laisse place à un système dont les règles sont calquées sur celles des pays développés . Peut-être conviendrait-il de voir, à travers cette normalisation, une résistance enfin du Liban face aux fléaux de l’argent facile, de la manne perverse de l’intermédiation. L’heure est aux revenus issus des secteurs productifs. Hélas, cela a un prix qui s’ajoute à celui de la reconstruction. En outre, cela nous vaut un endettement important, sans cependant atteindre un seuil critique. En effet, la dette publique totale est d’environ 17 milliards de dollars ; la dette interne compte pour environ l’équivalent de 11 milliards, mais la dette externe (seule dangereuse) n’est , elle, que de 6 milliards. Ce montant représente environ 25% du PIB, ce qui est encore raisonnable, à comparer avec les économies des pays de même taille qui affichent un endettement moyen d’environ 35% de leur PIB. La BDL au secours de l’État Par contre, se pose la question de la gestion de cette dette publique et notamment la tranche des deux milliards de dollars signée à blanc par le Parlement sous l’ancien gouvernement. Si la démarche qui a consisté à dévier une partie de la dette interne (en livres libanaises) vers des euro-bons en dollars a constitué une bonne initiative, il reste qu’elle a été opérée dans un contexte — crises en Asie et en Russie — défavorable aux marchés émergents. La souscription a donc été partagée et effectuée par tranches de 350 à 500 millions et il semble qu’une partie importante des eurobons ait été souscrite par les principales banques libanaises. Or ces banques croulent souvent sous des dépôts de plusieurs centaines de millions de dollars qu’elles doivent rémunérer à un taux allant jusqu’à libor + 3. Dans ces conditions, n’est-il pas dangereux, en cas de crise politique grave, que de telles souscriptions aient été réalisées de l’intérieur et non par des investisseurs extérieurs ? Ne risque-t-on pas de se trouver devant une situation d’illiquidité sur les bons du Trésor ? Il semble d’ailleurs que certaines banques aient déjà pris l’option de ne pas détendre les taux d’intérêt sur les devises étrangères de peur de perdre des liquidités qui pourtant grèvent de beaucoup leur rentabilité. Interrogés par L’Orient Le Jour, plusieurs spécialistes ont été unanimes à reconnaître que grandes sont les chances de réussite sous les auspices du nouveau gouvernement. La confiance reste le maître mot. Cette confiance des Libanais et des investisseurs extérieurs naîtra à l’évidence de la réduction volontaire du déficit budgétaire de l’État. Cette confiance recouvrée devrait avoir pour première conséquence pratique une réduction de l’écart des taux d’intérêt entre les différentes devises et la monnaie nationale. Le déficit du service de la dette s’en trouverait réduit et la nécessité d’un recours à l’émission de nouveaux bons du Trésor s’en trouverait réduite. Les investissements réapparaîtraient alors et la croissance, amorcée de nouveau depuis l’été 97, poursuivrait sa courbe ascendante. Mais d’ores et déjà, l’accroissement des réserves en devises de la Banque centrale (quelque 6 600 millions de dollars au 30/10/98) permettrait d’amortir les effets d’une crise politique, même durable. Mais jusqu’à quand ? Danger d’un virage trop social Quoi qu’il en soit, le bilan positif des différents gouvernements depuis 1994 réside dans la politique monétaire menée de concert avec les responsables de la Banque centrale. L’inflation, qui était de 120% en 1992, a été aujourd’hui contenue aux alentours de 5% par an. Cela permet au Liban de traiter dans de bonnes conditions financières avec l’ensemble de ses partenaires économiques. Cette politique monétaire ne devrait toutefois pas être bloquée par un dérapage inflationniste qui résulterait d’une augmentation des salaires et des charges y afférentes. Si certaines mesures «intelligentes et non coûteuses» peuvent être prises, il n’en reste pas moins que l’État devra tenir compte de la modicité de ses moyens financiers. Pour l’heure, la décision de rattrapage et les augmentations des salaires dans le secteur public ne représentent pas moins d’un milliard de dollars et restent sans financement probant. D’autres mesures dans ce sens s’avèreraient bien entendu catastrophiques, exception faite de la suppression, ou à tout le moins de la réduction des dépenses somptuaires des ministères. La baisse du déficit budgétaire, lequel est encore d’environ 40%, est donc la pierre angulaire de l’entreprise qui attend le prochain gouvernement. Pour autant, le montant total des dépenses (État, entreprises et citoyens confondus) représenterait, selon les dernières estimations de spécialistes, deux fois celui du PIB, pourtant de 15 milliards de dollars par an. Le Liban vit donc bien au-dessus de ses moyens. Le gouvernement n’est pas seul concerné ; il incombe aussi au citoyen de devoir réduire son train de vie. Fin du miracle libanais oblige.
À la veille de la formation d’un nouveau gouvernement, les responsables du secteur privé s’interrogent. Quelles vont être les options des dirigeants, en place pour quelques années ? Comment vont-ils mesurer l’impact de leurs décisions sur l’avenir économique du pays ? Dans un pays où les chefs d’entreprise restent les principaux animateurs de la croissance économique, force est de constater que la conjoncture héritée des précédents gouvernants, sans être négative, suscite tout de même quelques interrogations majeures sur l’état des finances. En fait, il est évident que le Liban vit au-dessus de ses moyens. Mais de cela, l’État n’est pas seul responsable. Selon les spécialistes, la question de l’endettement du Liban et des Libanais oblige maintenant à une prise de conscience de tout un chacun....