Actualités - OPINION
Carnet de route Histoire personnelle du Liban (suite) L'hôtel Massabki
Par NACCACHE Amal, le 19 novembre 1998 à 00h00
Immuablement, aux vacances de Pâques, une tapée de familles beyrouthines venaient aérer leur progéniture sous les peupliers de l’hôtel Massabki de Chtaura que bordait une rivière et dont le personnage central était un garçon à tout faire, William. Au petit déjeuner qu’il servait, on le voyait apparaître avec sa carabine et sans oiseaux : ça ajoutait au mystère. L’après-midi, autour de la table de «sabaa ou nouss» qu’il nous avait préparée, les appels fusaient : «William, sandwich zebdé bissekar!». C’était notre héros. Nous nous connaissions tous et nous nous mêlions de tout («s’il continue, Abalan va tomber de la balançoire», «Je vais dire à maman qu’elle ne se trompe pas de couleur ni de maille pour mon pull-over rouge et à cottes», etc.). Il y avait des Hochar, des Zouein, toujours une pelletée de Issa el-Khoury. Et ici je vais enfin me confesser de la jalousie poignante que j’éprouvais, tous les soirs avant dîner pour les trois sœurs Issa el-Khoury. Leurs parents les appelaient et elles montaient dans la chambre pour la «prière du soir», un rite auquel nous ne nous livrions jamais à la maison et que j’étais bien décidée à introduire en rentrant à Beyrouth. Encore croyante, j’avais été fascinée par la perspective d’une famille priant ensemble, moi qui étais enfant unique. Bref, une jalousie de tous les diables. Je réfléchis : si nous n’étions qu’une famille de trois, nous ferions venir, à l’heure voulue, Marie la cuisinière, Hélène la femme de chambre et pourquoi pas, aussi, Roosevelt, mon camarade de jeux arménien ? Rassérénée, je vis désormais disparaître les Issa el-Khoury presque sans broncher. Les jours se suivaient gaiement, avec les passages réguliers de William et de sa carabine bredouille. Je crois, en fait, qu’il ne tirait jamais : ce fusil était son talisman, et même au petit matin, personne n’entendit jamais un coup de feu. Dans cet hôtel célèbre pour abriter les nuits de noces, nous étions frustrés chaque fois qu’une voiture entrait dans la cour : les portes s’ouvraient invariablement sur des couples septuagénaires venus prendre le thé ou sur des gouvernantes montées à la rescousse des parents. Même si l’on nous avait prévenus que les mariées arrivaient sans leur voile, l’après-midi, nous les rêvions couvertes de fleurs d’oranger. Était-ce un complot ? Les Massabki faisaient-ils des réservations séparées (quinze jours pour les familles en vacances de Pâques, toute l’année pour les nouveaux mariés) ? Nous, en tout cas, nous rêvions notre adolescence. Un jour, deux voitures se présentèrent devant le perron, bardées, sur le côté, de becfigues. Commande de l’hôtel, on chargea William de les nettoyer. Ce fut la première fois qu’on vit celui-ci se départir de son flegme. «Ana la ouahdé bjib martein addon» nous lança-t-il quatre fois. Et nous le crûmes sans ciller. Nous n’allions pas aux mêmes écoles, nous n’avions pas tous les mêmes âges, mais nous étions le-groupe-Massabki-de-Pâques, bicyclettes et jeux de cartes, sandwiches au beurre et sucre, potins chuchotés à l’oreille (tel et telle s’étaient enfermés dans la même chambre, la mère de l’un les avait giflés tous les deux… tu te rends compte ?), larmes au moment de la séparation. «Et on se téléphone demain ?».
Immuablement, aux vacances de Pâques, une tapée de familles beyrouthines venaient aérer leur progéniture sous les peupliers de l’hôtel Massabki de Chtaura que bordait une rivière et dont le personnage central était un garçon à tout faire, William. Au petit déjeuner qu’il servait, on le voyait apparaître avec sa carabine et sans oiseaux : ça ajoutait au mystère. L’après-midi, autour de la table de «sabaa ou nouss» qu’il nous avait préparée, les appels fusaient : «William, sandwich zebdé bissekar!». C’était notre héros. Nous nous connaissions tous et nous nous mêlions de tout («s’il continue, Abalan va tomber de la balançoire», «Je vais dire à maman qu’elle ne se trompe pas de couleur ni de maille pour mon pull-over rouge et à cottes», etc.). Il y avait des Hochar, des Zouein, toujours une...
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