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Actualités - CONFERENCES INTERNATIONALES

Ouverture hier à l'UNESCO du colloque mondialisation et francophone Pour une globalisation à visage humain

La francophonie comme un contrepoids ou une alternative à une mondialisation sauvage, qui exclut les pauvres et privilégie les riches et tend vers une homogénéisation des identités ainsi que vers «une dictature du marché» (selon les termes du père Sélim Abou, recteur de l’Université Saint-Joseph)? C’est un peu ce qu’ont tenté hier de promouvoir les participants au colloque sur le thème «mondialisation et francophonie» et à la table ronde consacrée «aux enjeux et défis de la globalisation». Chacun dans son domaine et à sa manière, les huit intervenants ont vivement dénoncé les méfaits de la mondialisation, qui réduit l’homme et le citoyen à un simple «consommateur», voire un contribuable, et qui, par réaction, provoque l’exacerbation des sentiments identitaires chez les groupes d’exclus. Ils ont aussi proposé la francophonie comme un instrument de lutte contre cette mondialisation, «comme un moyen de résistance» selon les termes de M. Riccardo Petrella. M. Petrella a toutefois précisé que s’il s’agit pour la francophonie de remplacer une mondialisation par une autre ayant les mêmes objectifs, ce n’est pas la peine d’agir. Ce qu’il faudrait donc, c’est trouver «une autre mondialisation» qui rétablisse les espaces publics de la citoyenneté au niveau mondial «et la primauté du politique sur l’économie et la finance...». Et si M. George Ross — qui s’est présenté «comme un Bostonien (de Boston aux Etats-Unis) francophone» (autrement dit, une espèce rare) — a mis l’accent sur certaines exagérations dans la diabolisation de la mondialisation, il n’en a pas moins pressé les institutions francophones d’agir, car «le monde anglo-américain est en train de faire la chasse aux scientifiques, afin de les avoir tous chez lui...». C’est donc à une réflexion en profondeur sur l’avenir du monde et celui de l’homme, à l’aube d’un millénaire qui s’annonce plutôt angoissant, qu’ont eu droit, hier, ceux qui ont assisté à la table ronde. Une de ces réflexions dont on sort la tête pleine d’idées et l’esprit enrichi ...en espérant ne pas retomber rapidement dans le désert intellectuel d’un quotidien lamentable. La séance inaugurale L’arrivée toutes sirènes hurlantes du président de la Chambre M. Nabih Berry au palais de l’UNESCO, hier matin, ne passe certes pas inaperçue. Ce qui pousse d’ailleurs un des intervenants à la table ronde à demander: «Pour quelles raisons est-il un personnage si important?». Nul n’a le temps de répondre puisque la séance inaugurale du colloque «mondialisation et francophonie» commence immédiatement. L’immense amphithéâtre, tapissé en partie de velours rouge, est pratiquement plein. Au premier rang, M. Boutros-Ghali ayant à ses côtés MM. Gervais et Guillou (respectivement président et directeur général de l’AUPELF), eux-mêmes entourés de plusieurs députés libanais, dont Mme Nayla Moawad, M. Michel Pharaon, MM. Camille Ziadé, Samir Azar et Abdellatif Zein, se lèvent pour écouter l’hymne national libanais. M. Michel Gervais prononce ensuite son allocution d’ouverture (VOIR PAR AILLEURS), dans laquelle il présente les trois tables rondes que regroupe le colloque, avant de céder la place au président de la Chambre M. Nabih Berry. Ce dernier met l’accent sur la responsabilité de la communauté internationale dans l’application des résolutions internationales et sur la frustration des Libanais alors que le monde s’apprête à pardonner à Israël ses crimes contre le Liban et les Arabes. M. Berry est longuement applaudi. Et après avoir échangé quelques mots avec M. Boutros-Ghali, il quitte l’amphithéâtre. La première table ronde sur «les enjeux et les défis de la globalisation» est ensuite ouverte. M. George Ross, de l’université de Harvard (aux Etats-Unis) prend la parole en premier. Avec un fort accent américain et beaucoup d’humour, il précise que bien qu’étant citoyen américain, il ne vantera pas la mondialisation. Il précise ensuite que dans son intervention il parlera de l’exagération des dangers de la mondialisation, de ce qu’elle signifie sur le plan économique et de ses conséquences sur le plan politique. Selon M. Ross, les exagérations sont dues aux décideurs qui cherchent ainsi à servir leurs propres intérêts. En diabolisant la mondialisation, la droite mobilise les citoyens autour de la peur (il donne comme exemple le cas de l’ancien président américain Ronald Reagan et celui du Front national en France) et la gauche justifie un protectionnisme qui atteint parfois le degré du volontarisme et du dirigisme. Capital hypermobile Sur le plan économique, M. Ross précise que la mondialisation n’est pas nouvelle. Aujourd’hui, le grand changement réside dans la circulation hallucinante du capital devenu hypermobile et dans la hausse des investissements étrangers. Il y a eu aussi un changement qualitatif dans le commerce, par le biais des sociétés multinationales. Toutes ces modifications obligent les Etats à tenir compte des marchés financiers internationaux. S’ils ne le font pas, ils en paient rapidement le prix. C’est, selon lui, ce qui s’est passé en Asie du Sud Est. Les Etats doivent aussi adopter une politique de stabilité des prix aux dépens de l’emploi et de la croissance. Et les grands perdants sont les travailleurs et les syndicats. M. Ross soulève ensuite le problème de la langue qui véhicule les nouvelles technologies. Comme il s’agit de l’anglais, la francophonie a beaucoup à faire dans ce domaine... Le père Sélim Abou, recteur de l’USJ, prend ensuite la parole pour évoquer les conséquences de la mondialisation sur l’identité des peuples et leurs cultures. Selon lui, l’idéologie qui sous-tend la mondialisation dans sa forme actuelle mérite au moins une lecture critique sur le plan socio-culturel. Pour le père Abou, la mondialisation actuelle parie «sur une réduction plus ou moins radicale des différences culturelles susceptibles d’entraver la marche triomphale de la globalisation de l’économie(...) et, partant, sur un haut degré d’uniformisation planétaire des modèles de comportement, de pensée et de sensibilité». Le recteur de l’USJ aborde ainsi trois volets: le nouveau concept de culture, la mise en question des identités et les stratégies linguistiques. «La tendance du marché vers une communauté globale entraîne, affirme le père Abou, la formation d’une culture globale», dont le principe est de combattre la diversité des cultures, frein de la standardisation des produits et des comportements. Mais pour le père Abou, cette démarche n’est pas forcément un succès, car, déclare-t-il, «il n’y a pas une modernité unique, mais des modernités métissées qui ont chacune sa configuration et sa logique». Il ajoute un peu plus loin que «grâce à la mondialisation de la communication et de l’information, les cultures tendent à se regrouper par affinités en des unités civilisationnelles supranationales». Ce qui pourrait entraîner des affrontements politiques potentiels. Cible: La nation Selon Abou, «la cible principale des théoriciens de la mondialisation dans sa forme actuelle est la nation». Il se demande ensuite à quelle instance l’individu peut alors s’identifier? D’après les théoriciens de la mondialisation, il faudrait dissocier l’exercice de la citoyenneté de l’appartenance nationale. Ce qui aboutirait à l’abolition de tout contrat social de nature politique. Une autre théorie réduit la citoyenneté à l’aspect purement juridique, sans aucune référence «à l’identité politique qui implique un attachement affectif à la culture et aux valeurs d’une société concrète». Mais, pour Abou, elle permet de «libérer des passions identitaires que l’Etat-nation contrôlait et qui, laissées à elles-mêmes, n’ont plus d’autres ressources que de s’exprimer dans le cadre de communautés primaires qui tendent à se radicaliser...». Le recteur de l’USJ pense que l’Europe devrait se charger d’élargir la définition de la citoyenneté, «en y révisant l’articulation des principes civiques et des principes nationaux ...». Sur le plan des stratégies linguistiques, Abou précise que «la langue française est ouverte aux différences et lorsqu’elle entre en contact avec d’autres langues, elle tend à promouvoir et à féconder les cultures correspondantes». Place ensuite aux quatre intervenants de la table ronde proprement dite, présidée par M. Komlavi Fofoli Seddoh, chef de la section «sciences de l’éducation» à l’UNESCO. La table ronde se résume en fait à quatre allocutions suivies d’un rapide débat. M. François Trémeaud, directeur général adjoint du Bureau international du travail (Suisse), évoque les réalités et les limites de l’économie mondialisée, M. Dominique Wolton (directeur de recherche au CNRS en France) parle de la pluralité et de l’uniformité en insistant sur l’absence de critique face aux nouvelles technologies, M. Mehdi Lahlou (directeur de recherche à l’INSEA au Maroc) annonce un triste avenir pour la terre de demain, à cause des déséquilibres entre le Nord et le Sud et des équilibres environnementaux et M. Riccardo Petrella (professeur à l’université catholique de Louvain en Belgique) définit une géopolitique des résistances. «Résister» Si les trois premiers intervenants dressent un constat plutôt triste de la situation actuelle et des conséquences de la mondialisation, M. Petrella, lui, pousse à l’action. Son allocution très tonique commence par montrer la nécessité de «résister» face à la mondialisation. «C’est une obligation, dit-il, surtout après la publication des six commandements de Davos: la mondialisation, la libéralisation, la dérégulation, la privatisation et la compétitivité». Pour M. Petrella, aujourd’hui, l’être humain est considéré comme une ressource dont le droit à l’existence dépend de la rentabilité. Il n’y a plus de société, mais des marchés. Selon lui, la résistance revêt plusieurs formes: la recherche d’une sécurité économique, la tendance vers une souveraineté politique des Etats face aux Etats Unis, le refuge dans les religions (selon lui, l’Islam est une forme de résistance) et...la francophonie. M. Petrella précise qu’il ne s’agit pas, pour la francophonie, de se montrer aussi compétitive que le monde anglo-américain, mais de trouver une «autre mondialisation», ce qu’il appelle «une nouvelle narration du monde» où l’accent serait mis sur l’humain. Il propose ensuite de déclarer l’eau «premier bien de l’humanité, non susceptible d’appropriation par les compagnies internationales. L’eau serait ainsi la première expérience de solidarité...». Un chercheur de Tunisie suggère alors d’inclure chez les enfants, à l’école, «une culture du partage» afin d’aider les pays en voie de développement à mieux maîtriser leurs ressources. Un professeur de Madagascar propose de son côté que les pays riches annulent les dettes des pays en voie de développement. «Comme ils les ont d’ailleurs longtemps pillés, ils devraient peut-être aussi leur payer des compensations». Un chercheur du Sénégal se demande jusqu’à quand les intellectuels francophones continueront à faire d’excellents diagnostics, sans agir. Un professeur de l’île Maurice soulève le problème de la régionalisation, comme alternative à la mondialisation. Un représentant de Roumanie lance: «Nous sommes des médecins autour d’un agonisant dont nous essayons d’alléger les souffrances». Bref, des auditeurs de tous les pays du monde francophone émettent leurs réflexions et expriment souvent leurs frustrations. Mais tous appellent à une action rapide dans l’espoir de donner à la mondialisation un visage humain, avant qu’il ne soit trop tard.
La francophonie comme un contrepoids ou une alternative à une mondialisation sauvage, qui exclut les pauvres et privilégie les riches et tend vers une homogénéisation des identités ainsi que vers «une dictature du marché» (selon les termes du père Sélim Abou, recteur de l’Université Saint-Joseph)? C’est un peu ce qu’ont tenté hier de promouvoir les participants au colloque sur le thème «mondialisation et francophonie» et à la table ronde consacrée «aux enjeux et défis de la globalisation». Chacun dans son domaine et à sa manière, les huit intervenants ont vivement dénoncé les méfaits de la mondialisation, qui réduit l’homme et le citoyen à un simple «consommateur», voire un contribuable, et qui, par réaction, provoque l’exacerbation des sentiments identitaires chez les groupes d’exclus. Ils ont...