Actualités - CHRONOLOGIE
Le centenaire de Magritte, provocateur, poète et révélateur (photos)
Par TASSO France, le 28 avril 1998 à 00h00
Plus de 250 peintures et gouaches couvrant la totalité du style de René Magritte (1898-1967) sont exposées jusqu’au 28 juin au musée d’Art Ancien de Bruxelles. Elles proviennent d’une quarantaine de musées et de multiples collections privées. Cet événement mondial de première importance révèle toute la complexité de cette œuvre surréaliste. Dans la conception magritienne, la peinture essentiellement dramatique, appartient à une lignée philosophique qui prend ses sources dans la poésie. Elle est «Poiein» dans tous les sens du terme. Après avoir tenté — d’ailleurs sans succès — de s’intégrer au cubisme et au futurisme, René Magritte invente une rhétorique personnelle. Révolté par le système traditionnel et par les classes sociales, profondément marqué par «Le Chant de l’Amour» de Giorgio de Chirico, peintre métaphysique, son œuvre énigmatique s’étale sur quelque septante années. Ne prend-elle pas son envol le jour de sa naissance? Le surréalisme a existé chez Magritte avant la découverte De Chirico. Le peintre italien n’aura pas déterminé le parcours de son collègue belge: il l’aura seulement inspiré. On ne regarde pas un tableau de Magritte mais on l’assimile afin de sentir ce qui se passe derrière. A partir de «La Fenêtre» (1925), sa première peinture d’esprit surréaliste, l’exploration de l’envers obscur de notre environnement sera son principal souci. Elle fera de lui l’un des grands maîtres du surréalisme international. Sa peinture fait le lien entre deux grands mouvements: d’un côté l’Impressionnisme venu revendiquer la place du Classicisme et né en pleine période Art Nouveau; et de l’autre le «Non Sens» qui fait couler beaucoup d’encre. La visite du musée de Bruxelles s’effectue avec énormément d’attention. Elle appelle une réflexion profonde et rejette toutes les appréciations faciles. Extraordinaire, cette rétrospective enseigne une façon autre et nouvelle de réaliser par l’esprit, non plus par les yeux. Avec Magritte toute la dimension esthétique est à redéfinir et surtout à réorienter vers un but différent que celui destiné habituellement à une toile. Toute la complexité y élit domicile: l’œuvre est une exaltation de la Pensée surréaliste... à partir de personnages ou de détails peints de manière classique, mais actuelle. On lit un tableau de Magritte comme on lit une poésie et non comme un roman. Ici se confirme la prédominance de la poésie dans la littérature et dans l’art: nectar en puissance du pinceau et de la plume, elle inspire même la philosophie. Dans ce contexte, il semble nécessaire de prendre garde à la relation ambiguë du mot et de l’image. Elle émane d’une éjection immédiate à la suite d’un contact avec une toile. Il faut faire attention à bien mesurer des définitions personnelles ainsi que des légendes officielles des tableaux de Magritte. Parmi des objets qui ne se sont jamais donné rendez-vous, libre cours au spectateur de naviguer dans les profondeurs des idées suggérées. C’est l’enseignement de la face cachée des choses ou ce qu’elles peuvent provoquer... Les mots Dans la période située entre 1927 et 1931, René Magritte peint environ 66 toiles où figurent des mots. Ces tableaux posent de grands problèmes car les mots ne correspondent nullement aux représentations. Ce que l’on imagine être un conflit entre l’iconographie et la linguistique trouve déjà une explication de la part du peintre: «Les titres de mes tableaux sont une commodité pour la conversation, ils ne sont pas des explications». Au-delà de cette approche surréaliste, la relation équivoque entre le mot et l’image (dans les toiles de 1927-1931) n’est pas tout à fait dogmatique, ni tout à fait arbitraire. Dans l’ordre des choses, il est suggéré de prendre en considération toutes les émanations manifestées par le mot et par l’image: des caractéristiques similaires naissent impérativement. Plus généralement, si un mot représente directement une image, il n’est pas dit que ce même mot va donner toutes les explications de l’image qu’il désigne. Les conventions linguistiques ont voulu que les mots éveillent dans l’inconscient plusieurs aspects de l’image à représenter, ceci par la combinaison de quelques lettres. Pour Magritte, adepte du surréalisme, il y a un rejet total des conventions universelles. S’il pérégrine vers d’autres solutions, c’est exactement pour démontrer les autres possibilités d’interprétation. Un objet et son appellation différente convergent alors vers une même définition. Qui n’éprouve pas d’affinités pour Magritte est dans son droit mais nul n’est en mesure d’afficher de l’indifférence face à une œuvre parfois dérangeante. Voilà pourquoi ses toiles appellent chacune un procès. Contrairement à la provocation parfois très brutale de Francis Bacon ou de Gilbert et George dont l’aboutissement est un point final irréversible, chez René Magritte, la provocation est une révélation. Einstein disait: «Les idées sont rares». Magritte est un concepteur d’idées nouvelles en peinture. Inlassablement, ses toiles dévoilent la conception humaine dans ces deux aspects: physique et psychique. Comme avec une baguette magique, la Pensée de ce peintre transforme les compromis de l’esprit, pour approfondir de près les mystères de la création. Elle propose au monde de s’identifier et à l’être de mieux se connaître. C’est une Pensée dont l’observation est le principal moteur dénonciateur et libérateur. Dans la thématique magritienne, les couleurs ont alors une dimension spirituelle qui s’oriente dans les ondulations de la pensée. Deux couleurs suffisent pour créer un espace de liberté et de réflexion. Le bleu et le blanc par exemple, lorsque le pinceau trace les limites infinies du ciel et la légèreté discutable des nuages. Et maintenant comment ne pas faire la différence entre Magritte et Salvador Dali, cet autre géant du surréalisme? Les superbes toiles de Dali, à la créativité souvent fantaisiste, sont une projection fantasmagorique dont les sources relèvent directement de la paranoïa sélective et excentrique. Chez Magritte, par contre, la création favorise le système élitiste. Elle atteint la sensibilité, l’intelligibilité, parfois les deux en même temps. Elle peut aussi favoriser l’une au détriment de l’autre. De toute façon elle est connaissance... Pour en venir au but, René Magritte accroche le spectateur comme un trombone sur le rideau d’une scène chorégraphique. C’est alors au plus averti de prendre des notes et... de percevoir.
Plus de 250 peintures et gouaches couvrant la totalité du style de René Magritte (1898-1967) sont exposées jusqu’au 28 juin au musée d’Art Ancien de Bruxelles. Elles proviennent d’une quarantaine de musées et de multiples collections privées. Cet événement mondial de première importance révèle toute la complexité de cette œuvre surréaliste. Dans la conception magritienne, la peinture essentiellement dramatique, appartient à une lignée philosophique qui prend ses sources dans la poésie. Elle est «Poiein» dans tous les sens du terme. Après avoir tenté — d’ailleurs sans succès — de s’intégrer au cubisme et au futurisme, René Magritte invente une rhétorique personnelle. Révolté par le système traditionnel et par les classes sociales, profondément marqué par «Le Chant de l’Amour» de Giorgio de...