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Infrastructure - Un pylône à haute tension dans une école de la Békaa... Quand développement rime avec rigidité bureaucratique
Par KHALIFEH Paul, le 18 novembre 1998 à 00h00
Le développement censé améliorer les conditions de vie de la population peut, s’il est mal conçu, avoir un effet contraire. Les élèves de l’école Saint-Élie de Taalabaya ont pu en avoir la preuve lorsque leur établissement a failli fermer ses portes à cause de l’implantation dans la cour d’un pylône électrique à haute tension. Une énergique campagne de protestation lancée par les responsables de l’école, les élèves et des habitants de la région avec l’appui de personnalités politiques et spirituelles a permis d’ajourner la mise en œuvre de ce projet dont l’exécution aurait dû commencer vendredi dernier. Des dizaines de personnes se sont massées devant le sérail de Zahlé, où l’entrepreneur chargé d’exécuter le projet était venu demander le concours des forces de l’ordre pour se rendre sur le site du futur chantier. Le mohafez de la Békaa, Farid Corm, a reçu une délégation des protestataires conduite par le père Paul Browers, recteur des écoles jésuites dans la région, qui lui a remis une pétition signée par 5 000 personnes. Le texte, qui circule actuellement dans toutes les écoles du Liban, réclame le gel du projet et la modification du tracé du réseau de transport du courant électrique passant dans la cour de l’école. Devant l’ampleur du mouvement de protestation, le mohafez n’a pas donné suite à la requête de l’entrepreneur et s’est montré «très compréhensif» avec la délégation, selon une des personnes reçues par M. Corm. L’affaire du «pylône de Taalabaya» ne date pas d’hier. Il y a deux ans, le ministère des Ressources hydrauliques et électriques décide d’installer un réseau à haute tension allant de Dahr el-Baïdar à Ksara (Zahlé), en passant par Taalabaya. Le tracé prévoit l’installation d’un pylône de 220 kilowatts à l’intérieur de la cour de l’école Saint-Élie, un des plus grands établissements gratuits du Liban avec 1 154 élèves. En dépit des protestations des responsables de l’établissement, un décret d’expropriation portant le numéro 11 048 est adopté le 20 septembre 1997, éliminant ainsi les derniers obstacles devant l’exécution du projet. Les avocats de l’école ripostent en présentant un recours en invalidation du décret auprès du Conseil d’État, estimant que l’installation du pylône risque de provoquer «la fermeture immédiate» de l’établissement. Le dossier des avocats s’appuie notamment sur une expertise signée par M. Fawzi Brax, désigné par le juge des référés de Zahlé le 25 juin 1997. Dans la page 4 de son rapport, l’expert indique qu’il a rencontré, au lendemain de sa désignation, l’ingénieur André Rizkallah, à son bureau au siège de l’Électricité du Liban (EDL) à Zahlé pour s’informer des effets des lignes à haute tension installées dans des régions résidentielles. L’ingénieur a «oralement» répondu qu’une personne située à 2,5 mètres d’un pylône à haute tension risque d’être mortellement frappée par le courant électrique. À huit mètres, les radiations émises par l’électricité peuvent provoquer des «maladies dangereuses». «Les ondes maléfiques» Le dossier présenté au Conseil d’État ajoute que l’installation du pylône provoquerait la fermeture automatique de l’école en raison de la violation, ipso facto, des mesures de sécurité imposées par le gouvernement aux établissements scolaires. D’ailleurs, l’article 60 de la réglementation française dans le domaine des établissements scolaires dont s’inspire largement la réglementation libanaise précise que «les supports (des pylônes) ne doivent pas être implantés à l’intérieur des établissements d’enseignement et des installations d’équipements sportifs (…)». D’autre part, les câbles à haute tension provoquent un ronronnement continu très gênant pour la concentration des élèves. Et s’ils venaient à se rompre, les conséquences pourraient être catastrophiques. On ne connaît pas encore les retombées exactes des lignes à haute tension sur la population. Les avis des spécialistes sont partagés à ce sujet. L’édition de novembre (n° 974, p 34) de la revue française Sciences et Vie aborde ce problème. Dans un article intitulé «Les ondes maléfiques», l’auteur, Didier Dubrana, indique que «les champs électromagnétiques (CEM) engendrés par les lignes à haute tension provoqueraient des anomalies de la distribution du fer dans le corps». C’est ce qui ressort d’analyses sanguines effectuées chez 91 habitants d’un village du nord de la France traversé par une ligne à très haute tension. En dépit de toutes les raisons invoquées par les défenseurs de l’école, le ministère, paralysé par la bureaucratie administrative, n’a pas voulu modifier le tracé. Quoi qu’il en soit, le mohafez de la Békaa a préféré ne pas prendre de risques. Et privé du soutien des forces de l’ordre, l’entrepreneur n’a pas pu entamer les travaux d’installation du pylône. M. Corm est entré en contact avec le ministère de Ressources qui a promis de dépêcher des experts sur le terrain pour «étudier la question». À Taalabaya, le danger n’est plus imminent. Mais il n’est pas écarté définitivement.
Le développement censé améliorer les conditions de vie de la population peut, s’il est mal conçu, avoir un effet contraire. Les élèves de l’école Saint-Élie de Taalabaya ont pu en avoir la preuve lorsque leur établissement a failli fermer ses portes à cause de l’implantation dans la cour d’un pylône électrique à haute tension. Une énergique campagne de protestation lancée par les responsables de l’école, les élèves et des habitants de la région avec l’appui de personnalités politiques et spirituelles a permis d’ajourner la mise en œuvre de ce projet dont l’exécution aurait dû commencer vendredi dernier. Des dizaines de personnes se sont massées devant le sérail de Zahlé, où l’entrepreneur chargé d’exécuter le projet était venu demander le concours des forces de l’ordre pour se rendre...