Actualités - CHRONOLOGIE
L'anorexie mentale, ou le refus de se nourrir (photo)
le 17 novembre 1998 à 00h00
Face à un enfant affamé, le visage baigné de larmes, réclamant de quoi manger, même le plus aguerri, le plus dur des adultes sent fondre son cœur de pitié... En revanche, devant une personne proche, apparemment en parfaite santé, qui refuse de se nourrir, on se sent agacés, excédés et finalement désarmés. Or, dans les deux cas, la détresse est la même. Si l’enfant affamé est torturé par le besoin impérieux de manger, le dégoût pour la nourriture cache d’autres faims que le plus savoureux des mets ne saurait apaiser. Se sentant mal-aimés, mal dans leur peau, mal adaptés, mal à l’aise dans le monde et surtout dans leur propre existence, les anorexiques, sans le savoir, ne recherchent qu’à s’effacer, s’estomper, disparaître... Ces suicidaires qui s’ignorent perdent toute notion réelle de l’image de leur corps, et même décharnés, ils se trouvent toujours trop gros. Si on les laisse faire, sans intervenir, ils finissent par atteindre leur objectif. D’où la gravité de ce problème très éprouvant pour le proche entourage. Dans un pays tel le Liban où la table constitue l’élément central de la vie sociale; où on s’interdit de ne pas partager, même avec un passant inconnu, la plus frugale des collations (ne crie-t-on pas «tfadal» en entamant sa part?), l’anorexie mentale devrait paraître proche d’une hérésie. Et pourtant... Médecins, enseignants, entraîneurs sportifs, parents tirent la sonnette d’alarme. La chasse aux kilos, la phobie du poids, la guerre aux graisses, bénéfiques pour certains, masquent une augmentation sensible des cas d’anorexie mentale. Les batteries de régimes et les mesures restrictives qui les accompagnent, auprès des sujets psychologiquement fragiles et livrés à eux-mêmes, peuvent déclencher des processus catastrophiques. L’adolescence, en premier, semble être la période la plus propice. Par crainte de prendre du poids ou en voulant en perdre, ou éliminer les graisses et on se met au régime. Mais vite, très vite, maigrir devient une obsession. La conduite du sujet face à l’alimentation dépasse bientôt le simple trouble. La privation de nourriture devient une lutte obstinée contre la faim. Un véritable duel avec son propre corps. Les conséquences, si on laisse faire, peuvent être tragiques. Mais les soins appropriés pour éliminer tous les risques dépassent la vigilance et les possibilités familiales. D’autant plus que, généralement, la restriction alimentaire s’installe graduellement et peut passer inaperçue à ses débuts. Des signes révélateurs L’aspect des anorexiques devient bientôt révélateur : corps décharné, chevelure terne, yeux cernés, peau sans éclat, défraîchie, fripée. Comme prématurément vieillie. Fait étonnant, l’anorexique garde longtemps un dynamisme incroyable, tout en ne se nourrissant pas. C’est d’ailleurs cette hyperactivité qui finit par mettre en danger la vie de la personne atteinte. Un gros effort peut entraîner la mort d’un organisme affaibli, ereinté par le jeûne. L’anorexie s’accompagne, en fait, d’un rapport très curieux à la nourriture. Le malade (car il en est effectivement un) ne mange pas lui-même, mais il aime s’occuper de la nourriture des autres : la préparer, fignoler des recettes, s’occuper de la préparation des mets... Il existe, certes, divers grades de gravité. De simple et passagère réaction anorexique (échec aux examens, deuil familial, évènement traumatisant), elle peut évoluer à des formes de dénutrition dramatiques, à issue fatale. Apparue au 16e siècle (1589) l’anorexie tire son nom de la langue grecque («manque d’appétit»), mais en fait ce n’est pas du tout l’appétit qui est en faute, contrairement à ce que les anorexiques invoquent. L’appétit est présent mais c’est l’anorexique qui méprise, ignore ou dépasse sa faim, parce qu’il ne veut pas, inconsciement, se nourrir. Pour les médecins, il existe trois étapes manifestées par des symptômes correspondants : a) restriction volontaire de toute nourriture, b) amaigrissement dépassant de 16 % le poids initial, c) l’arrêt des règles (aménorrhée) chez les filles (parfois cette manifestation peut précéder l’amaigrissement. Connaître la cause Compte tenu du fait que l’anorexie survient surtout à l’adolescence laisse déduire que le lien entre l’une et l’autre n’est pas fortuit. En effet, la puberté est cette période de la vie où apparaissent de nouvelles pulsions, et le corps se transforme. Une période difficile à vivre et impossible à gérer puisque riche en pulsions souvent contradictoires. Les psychologues voient dans l’anorexie mentale une tentative irraisonnée de maîtriser son propre corps qui est en train de changer sans qu’on puisse avoir aucune prise sur ce processus. Le désir acharné de maigrir, accaparant et omniprésent, constitue une hyperactivité qui absorbe tout temps mort dans le quotidien. Elle empêche ainsi de méditer sur ce qui se passe sur sa propre personne en transmutation. Le rejet de la sexualité se réflète, selon les spécialistes, par l’arrêt des règles. L’acquisition de l’autonomie, période charnière de l’adolescence que les adolescents vivent avec grande difficultés, surtout les anorexiques. La maladie donc permet un certain ascendant sur tous (soins, surveillance, intérêt accru manifeste de la part de tous, (surtout de la mère) mais aussi entraîne insensiblement une certaine manipulation de l’entourage par l’anorexique. Ainsi, pour se former une idée précise du cas et évaluer avec précision sa gravité et les soins appropriés à dispenser, seul l’examen de l’anorexique n’est pas suffisant. L’observation de l’entourage familial s’impose, car il joue un rôle très important dans l’éclosion de la maladie. Les différentes études démontrent que dans l’anorexie mentale on retrouve avec constance certains types de caractères: perfectionnisme, dépendance affective, souci de plaire. Une enfance surprotégée, un climat familial renfermé où les enfants n’existent que pour combler les ambitions et les attentes des parents font également partie de ces constantes. D’après diverses expérimentations, la séparation du milieu familial s’avère, dans certains cas, nécessaire. Cette méthode permet une modification des habitudes et l’apprentissage de nouveaux rythmes de vie. Malheureusement cette coupure, qui pour être efficace doit durer quelques (sinon plusieurs) mois, reste éprouvante pour la famille, qui a besoin d’aide aussi. La prise en charge psychologique est indispensable, et au terme de ce long temps de lutte contre rechutes et problèmes annexes, un tiers des anorexiques guérit, un tiers reprend un poids normal mais conserve des difficultés d’ordre psychologique, et un tiers des cas connait des évolutions défavorables. Il s’agit, donc, d’un trouble sérieux qu’il faut à tout prix éviter de traiter avec désinvolture ou négligence. Prétendre que «ça passera avec l’âge» c’est ouvrir la porte à beaucoup de souffrances sinon au malheur.
Face à un enfant affamé, le visage baigné de larmes, réclamant de quoi manger, même le plus aguerri, le plus dur des adultes sent fondre son cœur de pitié... En revanche, devant une personne proche, apparemment en parfaite santé, qui refuse de se nourrir, on se sent agacés, excédés et finalement désarmés. Or, dans les deux cas, la détresse est la même. Si l’enfant affamé est torturé par le besoin impérieux de manger, le dégoût pour la nourriture cache d’autres faims que le plus savoureux des mets ne saurait apaiser. Se sentant mal-aimés, mal dans leur peau, mal adaptés, mal à l’aise dans le monde et surtout dans leur propre existence, les anorexiques, sans le savoir, ne recherchent qu’à s’effacer, s’estomper, disparaître... Ces suicidaires qui s’ignorent perdent toute notion réelle de l’image de...