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Fille du désert algérien, médecin, romancière Malika Mokeddem : l'écriture transforme la douleur en jubilation (photo)
Par SIKIAS Natacha, le 17 novembre 1998 à 00h00
Née dans le désert algérien, Malika Mokeddem est l’aînée de dix frères et sœurs. Médecin néphrologue, elle vit à Montpellier où elle exerce sept jours par mois seulement. Le reste du temps, elle écrit. Son cinquième roman, «La Nuit de la lézarde», vient de paraître chez Grasset. À Beyrouth pour le Salon du Livre, elle raconte son parcours, du désert à la Méditerranée. Petit bout de femme aux cheveux frisés, à la peau basanée et aux grands yeux noirs, Malika Mokeddem parle avec les mains. Et avec passion. « J’ai passé mon adolescence à lire, se souvient-elle. J’ai toujours refusé de me laisser écraser. Mes parents avaient été nomades, ils étaient très pauvres. Lorsque je repense à ma mère, je la revois toujours enceinte, débordée, entourée de gamins. Elle ne me parlait que pour me donner des ordres. Entre elle et moi, il y a toujours eu un livre. Je me cachais derrière mon bouquin pour qu’on me laisse tranquille, avec un œil sur la porte pour pouvoir m’échapper si, agacée, elle faisait signe de vouloir me frapper. Ou alors, j’emportais mes bouquins et allais m’installer au soleil, comme un lézard. Pas par courage, dit-elle, mais plutôt par tempérament». Malika Mokeddem a longtemps été incapable de lire les écrits des Maghrébins ou des auteurs arabes en général. «Je me disais : ils vont me raconter des choses que je sais, l’étouffement qui est le mien», explique-t-elle. Son baccalauréat décroché, elle quitte le désert pour Oran où, pendant cinq ans, elle «fait» médecine à l’université. «Je suis ensuite allée continuer mes études à Paris, en 1977, parce que j’étouffais», poursuit-elle. Là, elle se rend compte à quel point le soleil lui manque. Elle décide alors d’aller vivre au bord de la mer, à Montpellier. «Aujourd’hui, la Méditerranée a remplacé pour moi le désert, dit-elle. C’est elle qui m’a appris à aimer le désert». Réflexion En dehors de ces «moments bénis» qu’était la lecture pour elle, Malika Mokeddem se battait. «Pendant toutes ces années, j’avais toujours un but à atteindre, un combat, un défi, dit-elle. En France, je faisais des gardes au noir. J’avais besoin de travailler. Je n’avais pas voulu accepter de bourse du gouvernement algérien que je honnissais et auquel je ne voulais rien devoir . Parallèlement à cela, j’avais ma formation et d’éternels examens à passer». Une fois sa spécialisation terminée, Malika Mokeddem est obligée de faire un constat: «J’avais une belle maison et un beau métier, comme je l’avais rêvé, mais pourtant rien n’allait, dit-elle. C’est alors que toutes les questions que je ne m’étais pas posées auparavant – parce qu’il y avait toujours d’autres urgences –, me sont d’un coup tombées sur la tête. J’ai été obligée de les affronter, de réfléchir à ce que j’étais en train de devenir : une bourgeoise. Ce qui ne m’enchantait pas du tout». L’envie d’écrire devient un besoin. «J’ai remis en question tout mon parcours, qui avait été long et âpre. J’ai compris que ma place était plutôt dans une réflexion, dit-elle. Je me suis alors mise à écrire, à me réapproprier ce désert que je ne voulais pas regarder, à qui j’échappais par les livres. Et c’est avec la maturité que j’ai compris que si je suis ce que je suis, c’est sans doute aussi grâce au désert. Cette haine que j’ai pu éprouver pour le désert s’est transformée en amour». «Écrire m’apaise. Ce travail d’orfèvre sur les mots, le fait de se colleter aux mots au quotidien nous fait fouiller au fond de nous-mêmes et dépasser beaucoup de choses, dit encore Malika Mokeddem. En tant que médecin, j’essaye de soigner un certain nombre de personnes par mois. Le reste du temps, c’est l’écriture qui soigne toutes mes blessures. Elle transforme même les douleurs en jubilation». Paru en 1989, le premier roman de Malika Mokeddem, «Des Hommes qui marchent», obtient en mai de la même année le Prix Littré et le Prix collectif du festival du premier roman de Chambéry. Son second roman, «Le Siècle des sauterelles» (1992) lui vaut le Prix Afrique Méditerranée. «La Nuit de la lézarde», son cinquième roman, vient de paraître aux éditions Grasset. Comme dans ses ouvrages précédents, Malika Mokeddem y parle de désert. «C’est la douleur qui me fait écrire. Tant que la partie algérienne de moi-même me fera mal, je parlerai de désert»…
Née dans le désert algérien, Malika Mokeddem est l’aînée de dix frères et sœurs. Médecin néphrologue, elle vit à Montpellier où elle exerce sept jours par mois seulement. Le reste du temps, elle écrit. Son cinquième roman, «La Nuit de la lézarde», vient de paraître chez Grasset. À Beyrouth pour le Salon du Livre, elle raconte son parcours, du désert à la Méditerranée. Petit bout de femme aux cheveux frisés, à la peau basanée et aux grands yeux noirs, Malika Mokeddem parle avec les mains. Et avec passion. « J’ai passé mon adolescence à lire, se souvient-elle. J’ai toujours refusé de me laisser écraser. Mes parents avaient été nomades, ils étaient très pauvres. Lorsque je repense à ma mère, je la revois toujours enceinte, débordée, entourée de gamins. Elle ne me parlait que pour me donner des...