Actualités - CHRONOLOGIE
Nicaragua - Des étendues lunaires parsemées de cadavres Les coulées du volcan Casitas rendent peu à peu leurs morts
le 13 novembre 1998 à 00h00
C’est un bûcher dressé au milieu d’un paysage sans fin de boue sablonneuse à demi séchée. Masque sur le visage, gants aux mains, ils sont cinq. Cinq pour poser dans les flammes une demi-douzaine de corps dans une odeur pestilentielle. Une colonne de fumée noire s’élève dans le ciel. Douze jours après le passage du cyclone Mitch, les coulées de boue du volcan Casitas, dans le nord-ouest du Nicaragua, continuent de rendre leur macabre cortège de cadavres. Sur la berge d’une rivière dont le lit s’est creusé jusqu’à cinq bon mètres de profondeur sous l’effet du déluge, Freddy Avendano dirige un groupe de quatre habitants de Tololar Uno, un village proche de Chichigalpa, à 120 km au nord-ouest de Managua. Machette en main, ils dégagent les tas compacts de branches, troncs d’arbres et buissons que le flot a jetés un peu partout. «Quand nous tombons sur un corps, nous le chargeons dans la camionnette et l’emmenons pour l’incinérer». Freddy Avendano parcourt quelques dizaines de mètres, et du bout de la machette désigne une forme humaine, enchevêtrée dans un amas. La coulée de boue, longue de plusieurs kilomètres et divisée en plusieurs branches, a enseveli cinq villages le 30 octobre, tuant plus de 2 000 personnes. Par crainte d’épidémies, les sauveteurs ont paré au plus pressé, incinérant parfois des corps en plein champ, au lance-flammes. Les étendues lunaires laissées par la catastrophe sont parsemées de restes carbonisés. Des cadavres d’animaux domestiques gisent, à demi enterrés, dans une puanteur favorisée par une chaleur écrasante. «On s’en occupe quand on peut. D’abord les gens», dit Freddy Avendano. Sur la plaine de boue, dans laquelle le marcheur s’enfonce, quelques signes de la présence humaine passée. Ici une chaussure, là une casserole. Un tronc d’arbre de plus de 1,5 mètre de diamètre planté dans le sol témoigne de la violence de la catastrophe. La coulée a coupé au travers d’un champ de maïs, et la végétation reprend comme par miracle à quelques centimètres de la dévastation. C’est ainsi que plusieurs villages n’ont été qu’inondés alors que leurs voisins étaient rayés de la carte. Des cadavres partout Au milieu de la désolation, quelques pans de murs indiquent l’emplacement d’une maison. Une autre habitation est encore debout. L’intérieur est ravagé, empli de boue sur une hauteur d’un mètre. Juan Corteano, jeune père de famille de 23 ans, passe la tête. Habitant d’un village voisin épargné par le désastre, il regarde le visiteur avec attention. «Je connaissais des gens ici, mais maintenant ils sont morts. Que pouvons-nous faire? Vous le savez? Comment vivre ici?». À quelques kilomètres de là, à Chichigalpa, Martin Quezada, médecin-chef de la ville, retire son masque et ses bottes en arrivant à l’hôpital. «On en a encore incinéré 14 ce matin. Mais on trouve des cadavres partout. C’est impossible de les brûler ou de les enterrer tous». Les yeux bouffis par la fatigue, il énumère ses problèmes. «Il nous faut du combustible, des bottes, des équipements de protection. Et il me faut de la nourriture saine pour mon personnel, pour qu’il résiste aux maladies». Le docteur Quezada se prépare à un nouveau bûcher pour l’après-midi. Une nouvelle colonne de fumée noire dans le ciel autour du volcan Casitas.
C’est un bûcher dressé au milieu d’un paysage sans fin de boue sablonneuse à demi séchée. Masque sur le visage, gants aux mains, ils sont cinq. Cinq pour poser dans les flammes une demi-douzaine de corps dans une odeur pestilentielle. Une colonne de fumée noire s’élève dans le ciel. Douze jours après le passage du cyclone Mitch, les coulées de boue du volcan Casitas, dans le nord-ouest du Nicaragua, continuent de rendre leur macabre cortège de cadavres. Sur la berge d’une rivière dont le lit s’est creusé jusqu’à cinq bon mètres de profondeur sous l’effet du déluge, Freddy Avendano dirige un groupe de quatre habitants de Tololar Uno, un village proche de Chichigalpa, à 120 km au nord-ouest de Managua. Machette en main, ils dégagent les tas compacts de branches, troncs d’arbres et buissons que le flot a...