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Actualités - OPINION

Regard "Georges Schéhadé, déménageur dans l'éternel" d'Antoine Boulad Le dernier mot

La poésie d’Antoine Boulad, comme toute poésie, est une utopie blessée. Déménageur dans le langage ou déménageur du langage, le poète n’a que faire de la raison et des raisons: en toute logique poétique, il n’est question ni de Georges Schéhadé, ni de déménagement dans les nouvelles Poésies d’Antoine Boulad, accompagnées de dessins et gravures de Hussein Madi et de détails de peintures de Mohammed el-Rawas. Sans feu ni lieu, sans foi ni loi, mais aussi sans appel, la poésie est une parole première et dernière, souveraine et définitive. Elle ne souffre pas de commentaire. Qui n’est, à la fin, comme disait l’autre, qu’un «comment-taire». Taire le propre, l’or et l’aloi du poème, ce concentré unique que toute glose dilue et dégrade. L’analyse le croit palpable, il est poignée de vent. Elle le croit cible ou astre, il est flèche furtive, étoile filante. Ce que disent deux lignes de poésie, deux tomes de prose peinent à le dire. Comment saisir l’inextricable papillonnement du son et du sens? Il ne reste alors, à l’instar du Petit Poucet avec ses cailloux plein les poches, qu’à tenter de se frayer un chemin dans la forêt des poèmes, en le jalonnant de phrases et de mots ramassées. Comme c’est la marche qui fait le chemin, libre à chacun de tracer le sien en flânant à sa guise à travers fourrés et clairières. 125 phrases en tout pour 18 textes variant de 2 à 11 phrases, avec une moyenne de 6,944444… phrases, ce n’est pas beaucoup. Mais les possibilités combinatoires sont immenses. Pour une raison simple: chaque phrase de ces poèmes en prose est un tout autonome, un petit poème dans le poème, une molécule de son et de sens. Bien que sertie dans des composés organico-poétiques, elle peut s’en extraire à volonté pour s’associer à d’autres molécules dans d’autres composés. Au lecteur de jouer, de prendre son chemin de poésie comme on prend un chemin de traverse parmi les innombrables chemins virtuels qui ne demandent qu’à passer de la puissance à l’acte. Rien de plus simple: prendre une phrase d’un poème, une deuxième d’un autre, une troisième d’un autre encore, et ainsi de suite. À composer ces hybrides courts ou longs, haïku ou qasida, sans doute trahit-on les poèmes — ou la poésie — encore plus que si on les avait commentés. Mais la trahison n’est-elle pas, au fond, l’essence de la poésie? Et le recueil d’Antoine Boulad n’aurait-il pas pu s’intituler: «Georges Schéhadé, Traître dans l’éternel»? L’éternel de la parole poétique inaltérable, incorruptible. Le poète trahit pour mieux écrire et le lecteur pour mieux lire. À la fin, peut-être est-ce de cela qu’il s’agit: les lire tout simplement ces poèmes, les relire, se laisser oxygéner l’esprit et l’imagination, s’imprégner de leur suc, sentir monter en soi leur sève, lui donner licence d’agir secrètement sous l’écorce pour nous transformer peut-être. Peut-être? Qui sait? La poésie n’a pas dit son dernier mot. Elle ne le dira jamais. Elle ne peut pas le dire.
La poésie d’Antoine Boulad, comme toute poésie, est une utopie blessée. Déménageur dans le langage ou déménageur du langage, le poète n’a que faire de la raison et des raisons: en toute logique poétique, il n’est question ni de Georges Schéhadé, ni de déménagement dans les nouvelles Poésies d’Antoine Boulad, accompagnées de dessins et gravures de Hussein Madi et de détails de peintures de Mohammed el-Rawas. Sans feu ni lieu, sans foi ni loi, mais aussi sans appel, la poésie est une parole première et dernière, souveraine et définitive. Elle ne souffre pas de commentaire. Qui n’est, à la fin, comme disait l’autre, qu’un «comment-taire». Taire le propre, l’or et l’aloi du poème, ce concentré unique que toute glose dilue et dégrade. L’analyse le croit palpable, il est poignée de vent. Elle le...