Actualités - REPORTAGE
Elle est Julia Domna de Chérif Khaznadar au théâtre Monnot Mireille Maalouf : le théâtre, une passion et un travail acharné (photo)
Par GEMAYEL Aline, le 16 avril 1998 à 00h00
Mireille Maalouf est de nouveau à l’affiche à Beyrouth. Elle est «Julia Domna», femme et mère d’empereur, à la fois monstrueuse de cynisme et humaine dans sa peine... Cette pièce a été écrite pour le cycle «Liban 96» qui s’était déroulé à la Maison des cultures du Monde à Paris de mars à mai 96. Le texte est de Françoise Gründ et Chérif Khaznadar qui a signé également la mise en scène. Représentations au Théâtre Monnot, à 20h30: en français, ce soir et samedi; en arabe, demain vendredi (dans une traduction d’Arwad Esber). Après des débuts sous la houlette de Mounir Abou Debs, à la fin des années soixante, Mireille Maalouf s’installe en France en 1974. Interprète fétiche du célèbre homme de théâtre et de cinéma britannique, Peter Brook, elle a joué pendant quatorze ans dans ses pièces les plus marquantes. Elle raconte son parcours professionnel, un brin théâtrale... Julia Domna, d’origine syrienne, prêtresse d’Ishtar, était l’épouse d’un empereur romain d’origine lybienne, Septime Sévère, et la mère de l’empereur Caracalla. Elle raconte son histoire à une servante muette. Sur scène, c’est donc un «one woman show». Un défi que Mireille Maalouf a eu envie de relever. Ordinairement elle «n’aime pas les spectacles où un comédien est seul sur scène, il a le plus souvent tendance à vouloir montrer tout ce qu’il sait faire» souligne-t-elle. «La gageure c’est de pouvoir raconter une histoire...» L’intérêt d’interpréter ce rôle, «c’était d’abord de travailler un texte dans deux langues différentes, avec chacune sa sensibilité, sa musicalité. Ce qui m’a beaucoup intéressée, c’est le travail en profondeur sur les rythmes de chaque langue, sur les images que chacune déclenche, sur l’intensité...» Les différences sont importantes et les difficultés énormes. «L’arabe est difficile, il faut en porter les sons. Le placement de la voix est différent. Et chaque mot provoque une émotion. Alors que le français est plus raffiné du point de vue de la prononciation. C’est une langue dont le rythme est très intellectuel, dans laquelle il faut suivre la pensée...» Laquelle des langues préfère-t-elle? Elle confesse «un amour particulier pour l’arabe. Cette langue a une dimension formidable, ses sonorités sont divines...» Caractère riche En plus de la performance technique et linguistique, interpréter Julia Domna est un défi «émotionnel». «Julia est née à Homs» rappelle Maalouf. «Adoratrice d’Ishtar, elle est épouse et mère d’empereur. Elle a suivi son mari et ses enfants dans des expéditions guerrières. Elle a usé de tous les moyens pour arriver au pouvoir et s’y maintenir. Vivant dans une atmosphère de complots, d’assassinats, d’orgies... elle a, en parfaite politicienne, su manipuler à son tour. Elle a réussi à occuper, elle et ses enfants, le pouvoir pendant 42 ans. Mais c’était aussi une mère qui a vu ses fils, Caracalla et Geta s’entretuer sous ses yeux... Elle a une extraordinaire maîtrise de ses sentiments. Elle arrive à les masquer parce qu’il y a un but suprême, la continuité du pouvoir. Elle surmonte tout, elle va même jusqu’au suicide pour «retourner le destin». Mais il y a aussi ces moments de chuchotement, où elle évoque ses sentiments...» Pour arriver à ressortir cette dualité, cette richesse de personnalité, la comédienne a entrepris un important travail de préparation: «je me suis plongée dans les livres qui parlent de l’époque, je me suis rendue dans les endroits où elle a vécu, j’ai vu des images ou des sculptures d’elle et de ses proches, j’ai discuté avec des gens qui connaissent la matière...» Et l’intuition a mis de l’ordre dans tout cela. Le texte est un matériau de base qui se prête à toutes les manipulations. «Il faut le lire, le comprendre, le retenir et le mûrir. Et puiser dans sa propre expérience pour le faire passer» explique-t-elle encore. Comment arrive-t-on à interpréter un personnage monstrueux? «Pour approcher un personnage de cette dimension» dit Mireille Maalouf, «je me sers de certaines ficelles que j’amplifie dans mon imagination. Je ne cherche pas les zones d’ombre ou les zones monstrueuses en moi qui feront que je ressemblerais à Julia Domna...» Et pourtant, elle a recherché l’identification: elle s’installait et essayait d’imaginait comment mangeait l’impératrice pour l’imiter... Une heure quinze sur scène cela demande une concentration sans faille. «Juste après, je suis lessivée» dit-elle. «Mais je suis super éveillée, car pour suggérer une personnalité aussi forte, aussi intense que Julia Domna, j’ai provoqué un tremblement de terre intérieur. J’ai dû mettre mon âme au diapason de cette personnalité hors du commun; j’ai mis ma persona au service d’une autre personnalité. Et il faut un certain temps pour endormir cette personnalité». Succès Une pièce réussie, c’est une pièce qui a correspondu à l’attente du spectateur mais également à celle des acteurs. «Pour cette pièce, il vaut mieux que la salle soit silencieuse. Mais ce silence, les gens doivent en avoir envie, et c’est l’acteur qui leur donne cette envie. L’insuccès d’une pièce n’est imputable qu’au comédien ou au texte qui est trop fort ou pas assez...» estime Mireille Maalouf. Après Paris, où elle a été jouée pendant la première quinzaine du mois de mai 1996, «Julia Domna» a nomadé entre le Portugal, la Tunisie, la Syrie, Carthage... «Au Portugal, les organisateurs ont exigé que nous jouions les deux versions arabe et française. Je peux dire que le public semblait encore plus enchanté par la version arabe. Ils étaient fascinés par la musicalité de la langue». Pour Mireille Maalouf l’amour du travail passe avant le résultat. «La période des répétitions est très chère à mon cœur. Quand on joue c’est une autre aventure» affirme-t-elle. «Quand j’ai à jouer un personnage j’aime chercher toutes les couleurs, explorer chaque jour une nouvelle facette du caractère. Laisser mon imagination aller dans toutes les directions, me griser de recherches... Je n’ai aucun droit de donner au personnage une couleur sans les avoir exploré toutes». Elle se souvient d’une réflexion de Chakib Khoury, alors qu’elle préparait avec lui «Al-koukh al-mashour», au début des années quatre-vingt. «J’arrivais tous les jours avec une nouvelle version de la sorcière. Chakib me disait, écoute, on est à quelques jours de la première, quand nous donnes-tu la version définitive? Et c’est une des plus belles œuvres que j’aie faites. Chakib était assez ouvert pour me laisser y aller». Abou Debs et Brook La passion, le feu sacré, elle les a toujours. «Sinon, il faudrait s’arrêter» estime-t-elle. La chance l’a favorisée, mais elle a su également la saisir. «J’ai eu deux rencontres que je qualifie de destinales:j’ai eu une formation de base très forte, avec Mounir Abous Debs. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer un type magnifique, Peter Brook. J’étais déjà très proche de ce qu’il faisait». Elle commence sa carrière en 1968 dans «Les rois de Thèbes», avec Mounir Abou Debs. «Le déluge» en 1971, marque le sommet de leur collaboration. «Ce qui m’a intéressée dès le début chez Mounir Abou Debs, c’est le côté formateur, cette recherche expérimentale qui était à la base de tout le travail. Il avait une discipline et nous avons appris le sens du travail théâtral. C’est grâce à cette formation que j’ai pu aller plus loin, que j’ai pu comprendre ce que faisait Peter Brook». Elle découvre le travail du célèbre homme de théâtre britannique en 1972, en voyant son «Roi Lear» au cinéma. «Dans le film, il y avait exactement ce que je cherchais. Il y avait chez Brook à la fois une présence excessivement forte, à la «No» et une chose très simple, de la vie. L’interférence entre l’invisible et le visible. Cet homme a une curiosité et une passion de tout, de toute forme, de toute culture...» Avec «Timon d’Athènes» de Shakespearex, c’est le début d’une association qui s’étend de 1974 à 1988. «Ubu Roi», «La conférence des oiseaux», «Mahabharata» (créé au Festival d’Avignon 1985)... Pendant cette période, Mireille Maalouf fait un bref retour au Liban, de 1980 à la mi-1981. «Je suis venue pour vivre la guerre. Je considérais qu’en tant qu’artiste je ne pourrais remonter sur une scène libanaise si je n’avais pas vécu une tranche de vie avec les Libanais pendant cette période terrible. «Chabab 82» d’Antoine Ghandour pour la télé, «Al-koukh al-mashour» de Chakib Khoury au théâtre et des collaborations radiophoniques avec Antoine Kerbage». A part pour des travaux de recherche, Mireille Maalouf ne collabore plus avec Peter Brook depuis 1988. «Il est dans une démarche où il n’a pas besoin de moi» affirme-t-elle. Pendant dix-huit mois, supervisée culturellement par Adonis, elle a mis en scène des spectacles poétiques, «des textes arabes ou arabophones, aussi bien classiques que modernes». Il y a quatre ans, elle monte sur les planches du Georges V (Adonis) dans «Noise off» de Gabriel Yammine. «Une comédie à laquelle j’ai été heureuse de participer» dit-elle. Quant à ses apparitions, rares jusque là, sur des scènes libanaises, elle se dit «prête à jouer avec qui veut. Mais le problème avec les Libanais c’est qu’ils n’ont aucune planification: ils vous appellent et vous demandent de venir jouer le lendemain... On m’a souvent proposé des rôles, mais j’avais déjà d’autres engagements en cours». Et la mise en scène? «J’aimerais diriger des acteurs plus que signer une mise en scène, pour laquelle il faut s’y connaître en éclairage, en musique, en décors...» estime-t-elle. «Je pourrais aider les comédiens à faire une recherche sur un personnage, à mieux cerner une personnalité». Une expérience qui ne demande qu’à être partagée...
Mireille Maalouf est de nouveau à l’affiche à Beyrouth. Elle est «Julia Domna», femme et mère d’empereur, à la fois monstrueuse de cynisme et humaine dans sa peine... Cette pièce a été écrite pour le cycle «Liban 96» qui s’était déroulé à la Maison des cultures du Monde à Paris de mars à mai 96. Le texte est de Françoise Gründ et Chérif Khaznadar qui a signé également la mise en scène. Représentations au Théâtre Monnot, à 20h30: en français, ce soir et samedi; en arabe, demain vendredi (dans une traduction d’Arwad Esber). Après des débuts sous la houlette de Mounir Abou Debs, à la fin des années soixante, Mireille Maalouf s’installe en France en 1974. Interprète fétiche du célèbre homme de théâtre et de cinéma britannique, Peter Brook, elle a joué pendant quatorze ans dans ses pièces...