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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Une conférence de Henry Laurens Napoléon et l'Islam : des rapports inégaux

Henry Laurens, spécialiste de la politique française au Moyen-Orient, professeur de Langues Orientales, donne une conférence au CCF sur les relations entre «Napoléon et l’Islam». De son adolescence, et en attendant campagne d’Egypte (1798-1799), Napoléon s’est intéressé à l’Islam qui pensait-il «allait lui permettre de réaliser ses ambitions». «La personnalité même de Bonaparte est étroitement associée à l’Orient», affirme l’historien. Remontant à l’enfance même de Napoléon, il constate que l’Orient apparaît très tôt dans ses lectures. «Il lit et annote en 1788-1789». Les mémoires sur les Turcs et les Tartares» du baron de Tott qui lui donne une vision du monde ottoman contemporain et l’«Histoire des Arabes» de Marigny qui, tout en étant un ouvrage de compilation assez médiocre, est un panorama de l’histoire islamique des origines jusqu’au XVIIIe siècle» dit M. Laurens. Bonaparte tire deux leçons, apparemment contradictoires, de ses lectures: «d’une part, il trouve une société arriérée, immobilisée sur la voie du progrès. De l’autre, il sent que l’Orient est la terre par excellence où un grand homme, conquérant et législateur, peut réaliser de grandes choses»... Volney En 1791 le jeune Bonaparte «entre en relations étroites avec le philosophe orientaliste Volney qui va être son mentor en affaires orientales». Profondément hostile à l’Islam comme à toute autre religion, Volney prédit l’explosion de l’Empire Ottoman en une série d’Etats-Nations. «Bonaparte adopte la démarche révolutionnaire de Volney, mais récuse son hostilité profonde envers l’Islam», explique le professeur Laurens. «Loin de croire comme l’idéologue français que le «Prophète est mort», il va tenter d’en occuper la place» sur le plan militaire comme sur le plan politique. M. Laurens s’est demandé si «l’expédition d’Egypte est une simple étape dans la carrière du conquérant ou la volonté de réaliser un rêve oriental depuis longtemps conçu.» Il remarque que «comme d’habitude chez Bonaparte, le calcul le plus précis et le plus réaliste des rapports de force coexiste avec l’ampleur des projets qu’il sert à réaliser». Son expédition en Egypte s’accompagne, à l’adresse des populations locales, d’une propagande «axée sur le fait que les Français sont les ennemis des catholiques et du pape de Rome». Il associe, par ailleurs, les ulémas au pouvoir, n’hésitant pas «à proclamer la supériorité de la loi islamique», supprimant les avanies des Mamelouks. Mais les Egyptiens, une fois remis du choc de l’invasion, résistent. Ils sont soutenus par la Sublime Porte qui «dénonce, dans l’expédition d’Egypte, un plan de destruction de l’Islam et d’extermination des musulmans. Les Français sont perçus comme des barbares qui ne respectent pas les règles de la civilisation islamique et qui n’hésitent pas à violer l’intimité des familles pour des raisons de sécurité, de taxation et de lutte contre la peste». Précurseur? Le conférencier constate que «les coloniaux français de la première moitié du XXe siècle feront de Bonaparte le grand précurseur de la politique musulmane de la France. Tout s’y trouve: politique des égards envers les institutions musulmanes, association des autorités indigènes à la domination française dans le cadre d’un stricte respect de ses pouvoirs; formation d’une ville française à proximité de la ville indigène; levée de soldats indigènes encadrés par des officiers français et constitution d’une force «noire» pour pallier le déficit d’effectifs européens. A cette première thématique de l’association s’ajoute celle de l’assimilation: Bonaparte prévoyait, si sa conquête avait duré, une politique culturelle d’occidentalisation-francisation». M. Laurens soutient que «Napoléon n’est cependant pas un précurseur de Lyautey. S’il fréquente les ulémas et les interroge sur leur religion, il cherche aussi à se présenter devant eux comme un véritable Mahdi des musulmans». Il fait des discours à la population du Caire où il «marie son culte personnel du destin et de la fortune avec la religion musulmane telle qu’il la perçoit». Bonaparte a-t-il songé à convertir son armée à l’Islam? «Il y songe un moment mais y renonce, au moins pour l’immédiat» affirme M. Laurens citant Bonaparte lui-même. Mais l’exaltation napoléonienne s’effondre avec le siège de Saint-Jean d’Acre (Akka, en Palestine). «A partir de ce moment, Bonaparte se rend compte que son aventure orientale est terminée et que son destin se situe en Europe. Dès lors, son intérêt pour l’Islam décline considérablement», note l’historien. Fascination Tout en reconnaissant lui-même une part de charlatanisme dans ses proclamations aux musulmans, Napoléon «a été fasciné par l’Islam et l’Orient». L’intérêt de Bonaparte pour l’Orient a été certes inspiré par des préoccupations politiques mais, il ne s’est «jamais dans l’ensemble de ses écrits et de ses paroles, montré hostile à l’Islam. Au contraire, il a pris souvent la défense de ses institutions sociales»... Notamment concernant la polygamie qu’il explique comme répondant à une nécessité d’ordre social. Napoléon écrivait que les Occidentaux se ressemblant, il a été possible de ne leur assigner qu’une compagne. D’après lui -et on peut sourire de tant de naïveté- les Orientaux diffèrent entre eux dans leurs couleurs: blancs, noirs, cuivrés, mélangés. «Il a fallu songer à leur conservation, à établir une fraternité consanguine, sous peine de les voir s’exterminer ou se persécuter, ce qu’on n’a pu obtenir qu’en établissant la polygamie»... Enfin, comparant les religions de l’Orient, Napoléon souligne que «Jésus-Christ était un prédicateur; il donna à ses apôtres le don de la parole. Moïse et Mahomet étaient des chefs de peuples qui donnèrent des lois et régirent les affaires du monde». M. Laurens conclut sa conférence en estimant que «la croyance en Dieu prend souvent chez lui (Napoléon) la forme d’une croyance dans le destin, dans la fortune. Il a trop peu de spiritualité pour pouvoir pratiquer sincèrement une religion (...). On peut reconnaître dans son traitement des Lumières, du catholicisme et de l’Islam un égal «charlatanisme», qui n’en traduit pas moins une expérience humaine qui dépasse toutes les autres». Dans la discussion qui suit, M. Laurens dresse le bilan de l’expédition d’Egypte estimant que pour l’Occident elle avait eu «un intérêt scientifique essentiel. Pour les sociétés du Proche-Orient, c’est un faux problème. Ces sociétés étaient entrées en mouvement depuis 1740, déjà, bien avant l’expédition. Mais ce qui change avec cette expédition, c’est que désormais le Proche-Orient est un enjeu. A partir de 1798, la région bascule dans un équilibre européen et mondial»... Et devient la «Question d’Orient»...
Henry Laurens, spécialiste de la politique française au Moyen-Orient, professeur de Langues Orientales, donne une conférence au CCF sur les relations entre «Napoléon et l’Islam». De son adolescence, et en attendant campagne d’Egypte (1798-1799), Napoléon s’est intéressé à l’Islam qui pensait-il «allait lui permettre de réaliser ses ambitions». «La personnalité même de...