... «Dans ce décor du Sérail, il faudrait sentir cela: la grandeur et la décadence, la pérennité et la trahison, la tentation de l’Occident factice, la cruauté et la gentille simplicité...»
(Francine Gaspar)
C’est dans une mise en scène très proche du théâtre politique oriental que le Palestinien François Abou-Salem, la quarantaine rayonnante, élève de Jamhour, a présenté au public de Salzbourg, dans le cadre du prestigieux festival du même nom, «L’Enlèvement au Sérail» de Mozart.
Arte le retransmet ce soir à 20h40: un enchantement garanti pour les amateurs et l’occasion de redécouvrir ce singspiel, transposé, avec maestria, par Abou-Salem à notre époque. Servi par des interprètes parfaits et par un Marc Minkowski à la tête de l’Orchestre du Mozarteum au meilleur de sa forme, il n’aurait pas été désavoué par Mozart lui-même. Celui de l’Amadeus de Milos Forman aurait même jubilé.
C’est en effet tout le côté anticonformiste de Mozart qui est mis en lumière par François Abou-Salem. Bassa Sélim qui jouit du pouvoir absolu possède aussi la sagesse. La vengeance — qui aurait été compréhensible — est remplacée par un geste d’humanité. Sur scène, il lira aux femmes de son harem — en arabe! — un texte de Hallaj (yâ sirra sirrî) «O conscience de ma conscience, qui te fais si ténue, que tu échappes à l’imagination de toute créature vivante!». Akram Tillawi dans le rôle du pacha exprime bien tout ce qui fait hésiter Konstanze. Ses contradictions et ses silences, ses regards et jusque sa retenue, sa détresse et sa sensualité rendent à la vie ce héros de Mozart jadis confiné dans un rôle pincé.
Deux acteurs arabes et des musiciens arabes ont investi le plateau de l’Enlèvement au Sérail et s’y sont retrouvés chez eux, grâce à une transposition théâtrale parfaitement maîtrisée par François Abou-Salem. N’est-ce pas dans ce monde, notre monde composite et hétéroclite, que se côtoient les gratte-ciel et les tentes en poil de chèvre, les robes palestiniennes et les visons du Koweït, les Rolex et les draps brodés par la fiancée... «C’est l’argent, les pétro-dollars, et l’austérité, l’ostentation et la simplicité, et puis la tradition omniprésente, si forte qu’elle resurgit toujours quelque part, malgré la pression de la modernité».*
On ne pourra pas manquer de retrouver tout cela dans la mise en scène d’Abou-Salem et de sentir que c’est vraiment ce qu’a voulu dire Mozart.
François Abou-Salem qui a présenté cette œuvre de Mozart entre le 26 juillet et le 28 août 1997 à la Residenzhof à Salzbourg et que nous questionnions sur ses projets a tenu d’abord à savoir si nous nous étions amusés pendant le spectacle.
Nous y avons en effet beaucoup ri. Il nous a alors avoué qu’il aimerait beaucoup se produire à Beyrouth à laquelle il n’est plus revenu depuis 1967 et qu’en attendant, l’année prochaine, il sera toujours à Salzbourg, dans le cadre du Festival. Avis aux amateurs.
* Francine Gaspar In «Die Entführung Aus Dem Serail» livret édité par Festpielhaus — Salzbourg — 1997.