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Actualités - INTERVIEWS

Le génie génétique modifie le monde Pour le Pr. Axel Kahn, le pouvoir c'est de guérir...

Invité à Beyrouth par la «Conférence internationale des Ordres des pharmaciens francophones», le Pr Axel Kahn, directeur de recherche en génétique et pathologie moléculaires de l’Institut national français de santé et de recherche médicale (INSERM), a fait le point pour L’Orient-Le Jour sur les dernières avancées de la recherche génétique.
Et il note d’abord que:
«La génétique est née à la fin du siècle dernier, lorsqu’un moine, Grégoire Mendel, a trouvé les lois de la transmission des caractères héréditaires. Après la Seconde Guerre mondiale, toute une série de progrès ont été faits. Tout d’abord on a vu que l’hérédité a comme support l’ADN des chromosomes. En 1961 on a découvert le code génétique qui permet d’aboutir à la structure des protéines à partir de l’enchaînement des bases azotées, représentées par les lettres A.C.G.T., qui constituent l’ADN. Ces protéines sont les molécules qui interviennent dans la forme et le fonctionnement de la cellule. Ce qui est fantastique, c’est que le code génétique est universel. Il est le même dans une plante, un microbe, un animal et chez l’homme. Et cela est à la base du génie génétique. Cela veut dire que si on prend un gène d’un homme et qu’on le transmet dans une plante, une fève par exemple ou un pois chiche, la protéine humaine va être fabriquée par la fève ou le pois chiche. En se servant de ces propriétés qui consistent à transférer un gène d’une espèce à une autre, d’une cellule à une autre, on a lancé le programme génome. Ce programme international a pour but de connaître tous les gènes qui constituent le programme génétique de l’homme mais également des végétaux et des animaux. Le code génétique donne ainsi accès aux propriétés et à la structure des cellules et notamment aux modifications de ces propriétés qui sont à la base des maladies. Le code génétique est donc aujourd’hui le moyen pratiquement irremplaçable de faire de la biologie. On ne peut pas faire de la biologie avec ses composantes médecine thérapeutique, compréhension des mécanismes des maladies sans utiliser le génie génétique. Ainsi, le génie génétique permet la découverte des mécanismes des maladies héréditaires, des maladies des muscles comme les myopathies, des maladies d’hémoglobine comme les thalassémies très fréquentes en Orient. D’autre part dans le domaine de la fabrication des médicaments, les diabétiques sont aujourd’hui traités avec l’insuline qui est produite par génie génétique. De même que l’hormone de croissance. Si demain on produit par génie génétique le facteur qui soigne les hémophiles, on pourra les traiter sans risque de transmission du Sida. De plus, si on a pu isoler le virus de Sida, si on a réussi à lui trouver un médicament (les anti-protéases) un peu efficace c’est grâce au génie génétique».

Ressources

Sur les modes de financement d’une recherche aussi nécessaire que coûteuse, le Pr Kahn dit:
«Aujourd’hui la recherche en génétique est financée de deux manières, publique et privée. Le second apport est considérable parce que derrière le génie génétique il y a un pan entier de ce qu’on appelle les biotechnologies. C’est-à-dire tout ce que l’homme fait avec la nature pour produire quelque chose: l’agriculture, la fabrication de la bière, le vin, les fromages… En améliorant les propriétés de ces produits par génie génétique, on peut faire des choses tout à fait nouvelles. L’ensemble des perspectives économiques de biotéchnologies est absolument considérable. On l’évalue, dans quelques années, à cent cinquante à deux cents milliards de dollars au niveau mondial. C’est donc l’un des domaines économiques les plus prometteurs de l’avenir. A partir du moment où il a des intérêts économiques en jeu, le financement ne manque pas. Et par ailleurs, la recherche dispose d’un financement public suivant les pays. Il y a des pays comme la France qui ont une vieille tradition de financement public, et d’autres qui l’ont moins. Mais globalement, ce n’est pas le secteur qui souffre le plus d’un manque de crédits».

Dangers

Les manipulations génétiques suscitent des réserves liées à la bioéthique. Ne peut-on pas autoriser les manipulations pouvant conduire à la guérison de maladies héréditaires dûment répertoriées sans tomber, chaque fois, dans les polémiques au sujet du clonage ou de la création hypothétique de «surhommes» et de «super-criminels»? Répondant à cette question, le Pr Kahn souligne que:
«Lorsqu’on parle de problèmes éthiques, il faut s’entendre. On va réserver le terme de bioéthique à ce qui touche à la dignité de l’homme. Faire des plantes transgéniques peut poser un problème de sécurité, ça ne pose pas un problème de bioéthique en soi. La thérapie génique par exemple est une manipulation génétique puisque le but est de transformer un organisme, un homme, une cellule d’homme malade en organisme, en cellule, en homme sain. Cette manipulation génétique-là, personne ne peut être contre. De même lorsqu’on fabrique de l’insuline humaine par génie génétique ou des médicaments qu’on ne pourrait pas obtenir autrement que par cette méthode. En revanche si on voulait se servir de ces méthodes pour codifier génétiquement l’homme, ça poserait un problème éthique et philosophique pour une raison très claire c’est qu’on sait ce que c’est qu’améliorer un poireau ou une fève, ou un animal parce que ces plantes l’homme les cultive, cet animal l’homme l’élève pour faire quelque chose. Alors qu’un homme n’est jamais un moyen, il est toujours une fin en soi. Utiliser le génie génétique pour soigner des cas ne pose aucun problème mais pour essayer de concéder un nouveau caractère génétique et faire un surhomme je ne crois pas qu’on y arrivera jamais.
Le vrai danger de la génétique n’est pas là. Le danger de la génétique réside dans ce que l’on fera sur l’information génétique que l’on aura sur l’individu. Aujourd’hui avec les programmes génomes, on fait des tests génétiques de susceptibilité à un très grand nombre de maladies, (propension au cancer du sein, du colon, à l’hypertension artérielle, à l’artériosclérose…). C’est ce qu’on appelle la médecine de prévision. Quand à partir de ces tests on peut prévenir c’est bien, mais dans certains cas on peut prédire sans pouvoir prévenir. Dans ces cas de figures, les assurances privées, les employeurs vont alors peut-être exiger d’avoir ces tests de manière à vous interdire d’avoir une assurance ou de rentrer dans la firme qu’ils contrôlent. Là l’utilisation de la connaissance génétique, du destin biologique des individus, pose problème. C’est là, le véritable danger de la génétique.
De plus, les tests génétiques montrent qu’on est tous différents. Dire qu’on est tous différents, d’une certaine manière, peut aider à lutter contre le racisme mais ça peut également renforcer le racisme. Beaucoup de gens travaillent par exemple sur les contrôles génétiques des fonctions supérieures, l’intelligence, l’inventivité, la créativité... Imaginez que certains prétendent avoir trouvé des gènes particuliers liés à une capacité mentale supérieure. Et qu’ils disent cette configuration génétique est inégalement répartie parmi les groupes ethniques. Cela risque de renforcer extraordinairement toutes les préventions racistes. Donc une certaine manipulation de la génétique risque de poser des problèmes à ce qui est vraiment la question éthique c’est-à-dire l’universalité de la dignité et des droits de l’homme».
Quelle meilleure conclusion peut-il y avoir...

Propos recueillis
par Zéna ZALZAL
Invité à Beyrouth par la «Conférence internationale des Ordres des pharmaciens francophones», le Pr Axel Kahn, directeur de recherche en génétique et pathologie moléculaires de l’Institut national français de santé et de recherche médicale (INSERM), a fait le point pour L’Orient-Le Jour sur les dernières avancées de la recherche génétique.Et il note d’abord que:«La...